Batailleuse, voyageuse et inspirante, la presse livres de l’été ! Pour leurs numéros doubles datés juillet-août, les magazines littéraires n’ont pas mégoté sur la quantité ni sur la qualité. Il y a de vraies belles idées de lecture, inattendues, enthousiasmantes, à piocher dans leurs pages. Il y a aussi de la houle et du débat… C’est d’ailleurs par là que nous allons commencer, histoire de terminer sur des notes douces, en même temps stimulantes et réconfortantes, plus en accord, vous avouerez, avec notre humeur de futurs vacanciers…
« Les 100 qui comptent pour « Transfuge » »
Très engagé, militant, le numéro 100 de « Transfuge » ! Pour cet anniversaire, le magazine propose une sélection des « 100 qui comptent »… pour lui. « Ceux qui pensent qu’à « Transfuge » on a la dent dure ont raison », prévient d’emblée dans son édito Vincent Jaury. « Il n’y aura pas dans ce classement Michel Houellebecq et Virginie Despentes, les deux élus des médias et des Français, poursuit-il. (…) Le premier est surestimé tant son ambition de révolutionner la langue est nulle. (…) Quant à Despentes, pas plus que David Foenkinos, Philippe Djian, Amélie Nothomb, elle ne mérite le qualificatif d’écrivain, tant ses romans sont de gare et clichetonneux ». Wow, carrément ! Qui sont les auteurs adoubés par le journal ?, vous demandez-vous… La liste, bien sûr, est trop longue pour être énumérée en détail. Nous n’en donnerons que quelques exemples. A côté d’acteurs (Mathieu Amalric, Louis Garrel), de réalisateurs (Christophe Honoré, Valérie Donzelli), de journalistes (Léa Salamé, Augustin Trapenard), d’éditeurs (Françoise Nyssen, Anne-Marie Métailié), le journal reconnaît comme « siens » des écrivains tels que Simon Liberati, Catherine Millet, Christine Angot, Frédéric Beigbeder, Philippe Sollers ou Edouard Louis. « On ne se trompe jamais », écrit François Bégaudeau, qui a participé à la sélection. Faut-il le prendre au troisième ou au premier degré ? C’est vous qui voyez !
« Alain Finkielkraut n’est pas un philosophe »
Et puisqu’on parle de François Bégaudeau, l’écrivain-journaliste se penche, dans le même numéro 100 de « Transfuge », sur le cas Finkielkraut, intronisé sous la Coupole en janvier, comme vous le savez. D’après Bégaudeau, l’auteur de L’identité malheureuse (Gallimard) « n’est pas un philosophe ». Il se fait fort de le démontrer. Comme il l’avait fait pour Christiane Taubira il y a deux mois (voir la revue de presse livres de mai), Bégaudeau a étudié l’usage que l’Académicien fait des citations. Finkielkraut fait du « bachotage », écrit-il : « le travail de penser (est) délégué à de grands anciens ». Pourquoi ? Parce qu’il ne fait « pas le poids », à l’instar de « BHL, Glucksmann, Bruckner, Ferry-Renaut », explique-t-il : « Il se pourrait bien que les nouveaux venus, conscients qu’ils ne faisaient pas le poids, aient évité la confrontation avec les prédécesseurs, préférant changer de terrain plutôt que de combattre sur le leur. Et donc se soient résignés à déserter le champ conceptuel, sur lequel ils savaient que leur faiblesse serait patente. Le titre célèbre d’un des premiers livres de Finkielkraut sonne comme un aveu : la défaite de la pensée, c’était la sienne, consentie bon gré mal gré », conclut Bégaudeau. Ouch ! Ca fait mal, ça !
« The Girls », le premier roman dont vous allez entendre parler
Suffit, les grosses discussions et les sujets de friction ! Dans son numéro juillet-août, « Lire » propose, à côté d’une sélection de livres pour l’été, une nouvelle inédite signée Ian McEwan et « en exclusivité », s’il vous plaît ! La rentrée littéraire démarrant dès le 15 août, le magazine propose également, et toujours « en exclusivité », des extraits de quinze romans signés Véronique Ovaldé, Jean-Paul Dubois, Karine Tuil, Laurent Gaudé, Serge Joncour, Andreï Makine, Laurent Mauvignier, Amélie Nothomb, Léonora Miano, Yasmina Khadra, Eric Vuillard, Céline Minard, Jean-Baptiste Del Amo, Henning Mankell et Emma Cline. Que penserait « Transfuge » de cette liste d’écrivains ? On ose à peine y penser… Une chose est sûre : « Lire » a misé sur des noms connus et bien établis, des auteurs « attendus », comme on dit. Une seule exception : la jeune Américaine Emma Cline, 27 ans à peine, dont le « premier roman époustouflant », nous dit le mag, a « fait tomber la presse en pâmoison », outre-Atlantique. En librairie le 25 août, The Girls (La Table ronde/Quai Voltaire) « raconte l’histoire d’une adolescente qui, à l’âge de 14 ans, rejoint la secte de Charles Manson, communauté hippie rendue célèbre pour avoir, en 1969, perpétré une série d’assassinats sanglants ». Brrrrr ! Ca fait frissonner… A en juger par l’extrait publié dans le journal, c’est aussi et assez paradoxalement très finement écrit. En un mot : ça fait envie ! Si on n’attendait pas si ardemment les vacances, on s’écrirait presque « Vivement la rentrée ! » Mais chaque chose en son temps, hmmm ? D’abord, le soleil, l’air frais — et la grosse pause méritée de l’été.
Les poches à emporter cet été
Pour nous aider à faire notre sac — à le remplir aussi utilement qu’agréablement —, « Le magazine littéraire » publie un « spécial livres de poche » sacrément bien ficelé. A côté de recommandations attendues comme Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud, Goncourt du premier roman 2015 (Babel), le mag propose un échantillon d’ouvrages dont la presse a moins parlé et qui aiguisent l’appétit. Si les coulisses d’Hollywood vous intriguent, vous devriez trouver votre bonheur avec La vallée des poupées de Jacqueline Susann (10/18) et Retour à Babylone de Kenneth Anger (Tristram, « Souple »). Les amateurs de peinture se tourneront, quant à eux, vers La claire fontaine de David Bosc (Verdier/poche), « une évocation aussi resserrée que sensuelle des dernières années » de Gustave Courbet. Plus âpre, Enfants de nazis de Tania Crasnianski (Grasset) explore le destin tragique, torturé, des rejetons d’Hermann Göring, Rudolf Höss, Albert Speer ou encore Josef Mengele « au fil d’une enquête fascinante », dixit le journal. Pour finir, enfin, deux récits consacrés à des femmes exceptionnelles et peu connues : L’ombre d’une photographe. Gerda Taro de François Maspero (Points) sur « l’alter ego » féminine de Robert Capa et Le roman des voyageuses françaises (1800-1900) de Françoise Lapeyre (Petite Bibliothèque Payot). Il y est question des « écrivaines, missionnaires, reporters, chercheuses d’or, épouses de savants » qui parcoururent le globe au XIXe siècle, souvent dans « des contrées hostiles, au terme de traversées éprouvantes ». Comme des vrais hommes, quoi !
Le mystérieux naufrage annoncé du Lusitania
Et puisque nous parlions à l’instant de voyage, « Books », en cette heure estivale, a eu l’heureuse idée de consacrer son numéro de juillet-août à « L’homme et la mer ». Par-delà les problèmes d’ordre environnemental, ce thème permet d’embrasser bien des sujets, de soulever bien des questions. « La mer, rappelle en effet Olivier Postel-Vinay, a fondé la civilisation occidentale », et cela parce qu’elle a permis les échanges entre les peuples, le commerce, notamment. La mer est aussi l’objet de croyances, de superstitions. Elle est enfin une « source d’inspiration pour les peintres, les photographes et les écrivains ». Autant dire que le numéro « spécial été » de « Books » est riche et fécond ! Il est aussi intrigant, à l’image du « naufrage annoncé du Lusitania », le paquebot le plus rapide, le plus beau et le plus moderne de son temps. Moins connu que celui du Titanic, il est survenu le 7 mai 1915 alors que les Allemands avaient prévenu six jours plus tôt, tandis que le navire quittait New York, que « les passagers de tout navire battant pavillon ennemi (le Lusitania appartenait à des Britanniques) voyageaient « à leurs risques et périls » ». Comme annoncé, les Allemands, fidèles à leur parole, n’ont pas hésité à torpiller le paquebot. « Sur les 1959 personnes à bord (…), dont un grand nombre d’enfants, seules 764 ont survécu », relate le mag. Pourquoi n’a-t-on pas donné ordre au bateau de rester au port ou de changer d’itinéraire ? Tout le mystère est là, qu’Erik Larson explore dans Lusitania 1915 qui vient de paraître au Cherche-Midi. A en juger par l’article de « Books », le livre, ses révélations et ses conclusions, font autant voyager que sérieusement gamberger…
Jack London, nu
Pour son numéro d’été, daté juillet-août, « Le Matricule des anges » s’est dépassé ! Accrocheuse, sa couverture, où Jack London, beau comme un astre, paraît nu, les bras levés, croisés, à la fois fier, provoquant et offert ? Attirante — ô combien ! — et belle, tout simplement. A peine livré ce mardi 12 juillet, le journal s’est littéralement envolé : « Vous avez bien fait de téléphoner, nous a dit le libraire de Delamain, place Colette, à Paris. La pile que nous avons reçue a fondu en quelques heures. Nous n’en avons presque plus ». Simple effet de couv ‘ ? Ah, que non ! Si ce n’est « l’été » — « l’appel du grand large »… — nulle actualité, a priori, ne justifiait le dossier que « Le matricule des anges » consacre dans son nouveau numéro à l’auteur de Martin Eden , publié en 2010 chez Phébus/Libretto. Reste… reste que Jack London est un « rebelle ». « Lui, qui ne connaît que l’argot des matelots mais ressent la poésie par instinct, note le mag, se voit parmi les bourgeois « navigateur à la dérive sur une mer inconnue, sans boussole ni compas » ». Force est de le constater : ce sentiment de perdition, de « dérive », n’est pas sans faire écho à celui que l’on peut ressentir aujourd’hui — dans la France de 2016, tout particulièrement…
Jack London, rebelle stimulant
« Virulent, à coup de mots rageurs, belliqueux, il massacre le système capitaliste, les patrons d’usine et leur appât du gain (…), écrit Martine Laval ; il fustige l’université qui (déjà !) pond des moutons ; il met en pièces (déjà !) l’industrie de la presse, les journalistes, ces « chiens de gardes », tous incompétents, tous collabos (…) ». Et, ce faisant, note-t-elle, il « œuvre (…) pour réveiller le lecteur, lui donner du fil à retordre, à savoir une conscience (politique), un libre-arbitre, des sentiments ». Plus fort : à travers son double, Martin Eden, Jack London « ne renonce pour autant pas à son désir, « dire la beauté » du monde, écrire : « Le travail n’était rien pour lui. Ce n’était pas du travail. Il découvrait le langage. Toutes les splendeurs qu’il avait contenues pendant des années, dans un mutisme forcé, jaillissaient à présent avec la force d’un torrent ». Pour sortir de l’hébétement, de la peur et de la paralysie, pour retrouver le goût du beau, du vrai, du profond, les livres sont encore là — c’est rassurant. Bonnes vacances, et bonnes lectures ! Que l’été vous abreuve joliment, « avec la force d’un torrent » !
© Barbara Lambert
Je suis d'accord sur la liste des non-aimés,. Pour ma part, je rajoute Beigbéder.
Rectification Jack London n'est pas nu mais torse nu comme sur la couverture de son beau livre "La force des forts" chez Phébus Libretto. Effectivement c'est une belle photo de Jack london semble-t-il qui était aussi (bon) photographe.