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Liste spéciale "Nuits de la lecture 2024" : le corps sous les projecteurs

Cinq romans du moment, qui décortiquent brillamment notre rapport au corps

Liste spéciale "Nuits de la lecture 2024" : le corps sous les projecteurs

Du 18 au 21 janvier se déroulent les Nuits de la lecture, un événement propulsé depuis huit ans par le Centre National du Livre. Cette année ne déroge pas à la règle, des milliers de rassemblements littéraires prendront vie au cours du week-end avec le corps pour thématique 2024.

Une occasion de se plonger dans cinq romans qui auscultent ce prisme de bien des façons.

 

Couverture du livre « Créatine » de Victor Malzac aux éditions Scribes

Lorsque l’on évoque le corps, difficile ne pas penser aux événements sportifs qui animeront la France cet été et durant lesquels des femmes et des hommes se mettront au service d’une pratique pour tenter d’obtenir une médaille. Dans le premier roman de Victor MalzacCréatine (éditions Scribes), il est aussi question d’une course, celle à la virilité, et d’une passion dévorante pour Arnold Schwarzenegger. Le narrateur, peu gâté par la vie physiquement, se trouve en pleine adolescence face à la découverte de la sexualité et une impossibilité à aller vers les femmes, ou à se faire simplement remarquer. Parqué dans une vie monotone où père et mère le confrontent sans cesse à ce qu’il est, la tendance s’inverse le jour où il découvre Schwarzie dans Conan le Barbare. Cet homme tout de muscles bâti devient pour lui la clé de la virilité. Le narrateur débute frénétiquement une routine sportive ayant pour unique but d’obtenir un jour le même physique et contrer la solitude saisissante de son quotidien loin des femmes. D’une écriture vive et saccadée, l’écrivain et poète dresse un texte mordant où virilisme et détresse mentale forment un tout. Un extrême associant développé couché et épisode psychotique tout en questionnant notre rapport au corps et au regard des autres à travers les lignes. Un incontournable de la rentrée littéraire d’hiver.

 

 

Couverture du livre « Vierge » de Constance Rutherford aux éditions Harpercollins Constance Rutherford a elle aussi exploré le sujet - cependant par le prisme des femmes, dans son roman Vierge (éditions Harper Collins), une sortie de la rentrée de septembre. Maxine a vingt-cinq ans lorsqu’elle se confronte à ce qui semble être une problématique de taille à son âge : elle est encore vierge et observe les gens, bien souvent des personnes plus jeunes qu’elle, découvrir le corps de l’autre avec une avidité qui la dépasse. Mal dans son enveloppe dont elle tente difficilement d’explorer les courbes, sa grand-mère l’inscrit pourtant à des cours de théâtre auxquels elle se rend à contrecœur.  Là-bas, on lui attribue le rôle d’une prostituée, un comble absolu pour la jeune femme qui se questionne sur l’interprétation qu’elle pourra en faire sans avoir la possibilité de se projeter un minimum dans l’état d’esprit d’une femme qui connaît le corps de l’autre et s’en désaccorde. Cette attribution sera pourtant le début d’un long parcours intérieur, d’un corps qui se réveille et prend vie dans tous les sens du terme. Débute alors un voyage psychique et physique dans des contrées inexplorées que Maxine, prospectrice de sa propre société, ira faire jusqu’aux Pays-Bas. Constante Rutherford dresse un récit à la fois réaliste et onirique ainsi qu’un personnage plein d’humour et attachant, pour illustrer un grand mal de notre époque. Une vraie réussite.

 

Boulette Le corps a aussi cette propension à encaisser les chocs et les difficultés que la vie peut parfois mettre sur notre passage. Quand le verre déborde, des troubles naissent parfois. C’est dans ce contexte qu’évolue Boulette, personnage éponyme du roman de Joëlle Varenne publié aux éditions Grasset. L’adolescente est placée en famille d’accueil dans laquelle elle fait la connaissance de Grosse-Dame. Parfois, elle se rend aussi chez sa mère et fait face à la dure réalité de son état, elle qui est prise en charge dans un hôpital psychiatrique. Loin du carcan familial rassurant, elle observe pourtant le monde qui s’offre à elle avec curiosité. Tout en semblant se tenir à côté de sa propre vie, Boulette entretient une puissante passion pour la nourriture en se délectant vivement de chaque aliment, enfournant toujours plus de mets dans sa bouche. La nourriture lui procure une stabilité, un carré de confiance et d’apaisement qui mène rapidement l’adolescente sur le chemin de l’obésité et des moqueries. Mais comment penser à son corps et panser cette existence à la fois ? Joëlle Varenne propose d’ausculter l’une des nombreuses racines des troubles du comportement alimentaire (TCA) avec une immense justesse et beaucoup de compassion.

 

Couverture du livre « Sur les chemins perdus » de Stephane Chaumet aux éditions Globe De son côté, Stéphane Chaumet nous embarque à plusieurs milliers de kilomètres, Sur les chemins perdus (éditions Globe) de Bogotá, en Colombie. Dans la poussière, la violence et le vrombissement constant des voitures, Karen, le personnage principal de son court roman, vient tout juste de sortir de cinq années d’emprisonnement. Condamnée pour rébellion et appartenance à un groupe armé illégal, la jeune femme reprend peu à peu possession de la liberté que le monde lui offre à nouveau. Au contact de Sacha, l’homme qu’elle fréquente, des souvenirs referont brutalement surface. D’abord ceux de l’incarcération, cet endroit où « tu glisses dans un infra-monde où on va tout faire pour te dépouiller de ta dignité, faire de toi un déchet humain », et ceux de sa jeunesse où, lors d’une soirée arrosée, elle est droguée par son propre cousin, violée par plusieurs hommes, puis laissée inerte et à l’abandon dans un squat. Un membre de sa famille qu’elle sera contrainte de voir chaque dimanche à sa table. Difficile alors, de faire désormais confiance à l’autre, de ne pas interpréter chaque geste comme celui d’un potentiel bourreau, de ne pas non plus laisser exploser sa colère et ses angoisses à chaque instant. Ce roman est celui des chemins sinueux de la reconstruction mentale et corporelle, loin de la facilité et des idéaux. L’écrivain y dresse un portrait de violence et de résilience en un même temps tout en illustrant une justice colombienne au comble de son dysfonctionnement.

 

Couverture du livre « Blanches » de Claire Vesin aux éditions La Manufacture De Livres Pour terminer cette sélection, difficile de ne pas mentionner Blanches (éditions La manufacture de livres), le premier roman de Claire Vesin, qui nous plonge dans l’essence même des soins vitaux apportés à notre corps. Profondément ancrée dans l’actualité, la primo-romancière propose une immersion dans le milieu hospitalier actuel en suivant le quotidien de plusieurs personnages, Jean-Claude, un chirurgien mélancolique en proie à l’alcoolisme, Aimée, une brillante interne fragilisée par son ancienne relation amoureuse, Laetitia, infirmière, ou encore Fabrice, médecin au SAMU. Tous ont en commun de pratiquer leur activité à l’hôpital de Villedeuil, une commune de région parisienne incarnant « la beauté torturée des banlieues ouvrières ». Le bâtiment, lui, tombe en décrépitude absolue par manque de budget, les internes ne veulent plus s’y rendre, le sous-effectif fait rage et la tarification à l’activité tente d’achever l’hôpital public. Chapitre après chapitre, les personnages se succèdent avec les affres, révoltes et espérances secrètes qui les animent, mais des questionnements les rassemblent invariablement : comment continuer à soigner dignement dans ce contexte ? Comment prendre le temps et répondre aux attentes des patients face à leurs pathologies ? Comment donner au corps humain tout le respect qu’il mérite, et cela, peu importe son genre et son ethnie ? Ce roman est un coup de poing apporté à cette rentrée d’hiver et un regard véritablement acéré sur les inégalités qui touchent les patients comme les professionnels de santé.

Marie Jouvin

 

Pour découvrir le programme complet des Nuits de la lecture 2024,

rendez-vous sur le site officiel !

 

 

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