Quoi de neuf, dans la presse livres de ce mois de mai ? Quelques petites prises de bec, de jolies choses aussi, curieuses et nourrissantes. Mais, pour commencer, jetons un œil côté coulisses — du livre, de l’édition —, histoire de nous mettre en jambe, hmm ?
Moix sous pression ?
Reprenant une info des « Inrocks », « Le Magazine littéraire » indique dans un entrefilet que les éditions Grasset seraient « agacées » par les chroniques de Yann Moix dans l’émission « On n’est pas couché ». D’après le journal, la maison de la rue des Saints-Pères, qui publie l’écrivain, « ferait pression pour qu’il épargne » ses petits camarades. Parmi eux, Michel Onfray, invité chez Ruquier en septembre, à qui Grasset « aurait communiqué les questions du chroniqueur » afin qu’il puisse s’y préparer. Hé bé !
« Books » sauvé
Le patron de « Books » Olivier Postel-Vinay nous le disait en janvier : « Pour ceux qui aspirent à produire de la bonne information et à la faire payer à son juste prix, les temps sont durs » (voir la revue de presse livres de janvier). Comme tous ses confrères de la presse papier, le « magazine qui éclaire l’actualité avec les livres du monde entier » souffre de la concurrence du Net et a dû se résoudre, le mois dernier, à lancer une campagne de crowdfunding pour sortir la tête de l’eau. Bonne nouvelle ! Ce 21 mai, « Books » a annoncé sur son compte Twitter qu’il avait récolté « 1154 soutiens, 71 465 € et de nouveaux abonnés ! » Comme quoi, le Net n’a pas que du mauvais, il peut aussi contribuer à aider la presse papier…
Des vrais libraires sur Amazon
Et puisque nous parlons « cuisine » et ficelles du métier, « Lire » publie ce mois-ci un gros dossier consacré à Amazon. Surprise ! Dans un article signé Jérôme Dupuis, on apprend que « le géant américain n’est pas le seul à vendre des livres sur son site ». Si certains particuliers recourent aux services de « la plus grande librairie du monde » pour revendre des ouvrages moyennant « une commission de 15 % », ceux-ci ne représentent qu’ « une goutte d’eau dans l’océan d’Amazon », nous dit le journaliste. Plus étonnant : des libraires, des vrais, se servent du site pour vendre des ouvrages — plutôt « pointus » — qu’ils n’ont pas pu écouler dans leur magasin. La librairie lilloise « Autour du monde a déjà vendu plus de dix mille livres et cartes via Amazon en six ans », rapporte Jérôme Dupuis. Sans cet apport, « il y a des mois où je ne serais pas à l’équilibre », raconte la libraire d’Aix-les-Bains Virginie Rigot. De là à privilégier les achats auprès de petits libraires quand on va sur Amazon, il n’y a qu’un pas… Mais prudence ! « Sur Amazon, avertit le journaliste, certains noms omniprésents de librairies, qui fleurent bon la France (…) cachent en réalité de très puissantes officines ». Un lecteur averti en vaut deux…
Annie Ernaux et le travail de mémoire
La sortie d’un livre d’Annie Ernaux est toujours un événement, pour le lecteur comme pour la presse. A l’occasion de la parution de Mémoire de fille (Gallimard), « Le magazine littéraire » publie un long entretien avec l’écrivain, où la question de la mémoire tient logiquement une place prédominante. « Il y a une autre fonction de la mémoire, très précieuse, dit Annie Ernaux : réentendre des bruits, une chanson, s’immerger dans une photo. La mémoire est un moyen de connaissance. Le titre, « Mémoire de fille », le dit : ce livre est un travail de fragmentation de la mémoire, à partir de toutes les images, comme un film. (…) Si on s’abstrait du monde, du présent, on peut rejoindre des images, s’y replonger, et retrouver les mots qui vont être suscités par ces images. Ce qui a été oublié s’est dissous, mais on peut retrouver le reste. C’est une opération d’excavation (…). En décomposant la scène de la première nuit, j’ai rencontré, presque, un sentiment de perfection dans cette anamnèse de l’écriture. Le sentiment de ne pas pouvoir faire mieux, d’être allée le plus loin que je pouvais ». Wow ! Un tel sentiment d’achèvement, d’aboutissement, c’est rare, chez un écrivain…
Annie Ernaux, « fausse valeur »
Imaginez, du coup, notre surprise quand, en une de « Transfuge », on a découvert ce titre : « Fausse valeur : Annie Ernaux » ! La grande Annie Ernaux, une « fausse valeur » ? Houlà, que se passe-t-il ? Dans l’article d’Oriane Jeancourt Galignani, le terme « fausse valeur », bizarrement, n’apparaît plus. Intitulé « Annie Ernaux, mémoire d’une jeune fille trop rangée », le papier se présente sous la forme d’un échange par mail entre la journaliste et « une amie ouzbèke » qui avoue sa déception face à ce « Mémoire de fille » « si célébré chez vous ». « C’est peut-être l’air de Tachkent, dit-elle, mais je ne me retrouve pas dans cette conscience de jeune fille prédéterminée par l’arrivée de ses règles et ses rêveries amoureuses. Je crois qu’un être, une jeune fille, se constitue d’un nombre plus grand d’expériences, de réflexions, qui dépassent l’attente du drame de la première fois ». Ce que « Transfuge », en gros, reproche ici à Annie Ernaux, c’est de s’apesantir sur la douleur, « le drame de la première fois », les femmes vivant bien d’autres choses, et de plus joyeuses. L’article, d’ailleurs, se termine sur un éloge d’ Une autobiographie allemande d’Hélène Cixous (Christian Bourgois) pour qui la femme « n’est ni douloureuse, ni mystérieuse, ni fatale ». Etait-il nécessaire de titrer « Fausse valeur : Annie Ernaux » en couverture pour dire cela ? On vous laisse juges, hmmm ?
Christiane Taubira, faux écrivain
« Taubira est-elle un fake littéraire ? », s’interroge François Bégaudeau, toujours dans « Transfuge ». Pour l’écrivain-journaliste, l’usage que l’ancien ministre fait des citations — surabondantes dans ses discours comme dans son livre, Murmures à la jeunesse, publié en janvier chez Philippe Rey — est louche, voire même très louche… « La citation est à la littérature ce qu’un Annabac est à « Madame Bovary » : un raccourci pour éviter le labyrinthe sans issue d’une lecture intégrale, écrit Bégaudeau. (…) Un littéraire authentique ne cite jamais ». Et bang, sur la tête à Christiane ! Plus gênant : « Débitée en citations, poursuit le journaliste, la littérature est ravalée en matière première d’un discours. (…) La littérature n’intéresse Taubira qu’en tant qu’elle alimente son sermon, comme le charbon un train à vapeur ». En clair, l’ancienne Garde des sceaux agit moins en écrivain qu’en politique. Et, surprise !, pas en politique « de gauche », selon Bégaudeau : « Si sa langue était une politique, écrit-il, elle serait autoritaire. Il se dit qu’après trois ans et demi de présence dans un gouvernement de droite, elle l’a quitté par désaccord avec le Premier ministre. Pourtant leurs clairons sont très bien accordés », conclut-il. Ouille, ouille, ouille !
Carole Martinez fan de « Game of Thrones »
Mais oublions les sujets de discorde et les affaires sensibles, laissons-nous emporter par le grand vent de la fiction et… du suspense « à rebondissement ». Ce mois-ci, « Le magazine littéraire » consacre son dossier de couverture aux « séries cultes des écrivains ». L’auriez-vous imaginé ? La lauréate du Prix Goncourt des Lycéens avec Du domaine des murmures Carole Martinez, qui publiait en août dernier La Terre qui penche chez Gallimard, est, comme nous, fan de « Game of Thrones » ! « Ce qui se tisse entre le désir et la mort me fascine particulièrement dans l’univers de « Game of Thrones », où la mort n’achève rien, mais n’est qu’une péripétie comme une autre, dans une histoire qui se poursuit sans eux. Comme dans la vie ! Voilà qui ajoute un réalisme sidérant à la chose », s’exclame-t-elle. Et de conclure : « Le feuilleton survit à la mort du héros, pas à celle du désir ». Ah, que c’est bien dit, tout ça ! On se sent, du coup, moins bête de céder à notre irrépressible frénésie, on y voit un sens, une explication, peut-être même, une justification…
« Game of Thrones » inspiré par « Les rois maudits » de Maurice Druon
Actu « Game of Thrones » aidant, ou oblige, « Books » se penche aussi, ce mois-ci, à sa façon, sur le feuilleton adapté des romans de George R.R. Martin. Dans la première saison de la série, remarque le mag, le roi Robert Baratheon, souverain des Sept-Couronnes, meurt éventré par un sanglier… exactement comme Philippe Le Bel dans « Les rois maudits ». Hasard ? Coïncidence ? D’après le journal, George R.R. Martin aurait lui-même reconnu qu’il s’était inspiré de l’œuvre de Maurice Druon pour écrire sa saga. « « Le Trône de fer », note cependant « Books », est incommensurablement supérieur à son modèle : mieux construit, mieux écrit, plus riche, plus subtil, bien plus prenant et tellement moins académique ! » Vrai ? Faux ? Une chose est sûre : le travail qui se tisse d’une œuvre à l’autre, du papier à l’écran, est impressionnant — à la fois mystérieux et surprenant ! Cela ne donne que plus envie de plonger, de s’immerger dans les livres. Le bonheur est là, assurément !
(c) Barbara Lambert
Aih apparemment on ne peut pas supprimer un texte posté deux fois par inadvertance.....
Bonjour, intéressante chronique Je n'ai pas bien compris l'histoire de la critique ouzbèke qui aurait vu dans le dernier livre d'Ernaux des rêveries de jeune fille bien rangée ce n'est pas vraiment ça ou disons que c’est un peu plus et pas du tout ça mais je pense qu’il faut avoir lu plus de livres d’Annie Ernaux pour comprendre et dépasser ces « mémoires de fille ». Je ne trouve pas non plus qu’elle soit très célébrée en France même si on a pu faire des thèses sur son travail, ses livres restent assez peu connus du grand public. Il suffit de voir le nombre très raisonnable de gens qui viennent pour une signature d’Annie Ernaux au salon du livre alors que dans le même temps la file est 20 fois plus grande pour une signature du dernier Levy! Dans cent ans qui de Levy ou d’Ernaux sera encore lu, là est la question….
Bonjour, intéressante chronique Je n'ai pas bien compris l'histoire de la critique ouzbèke qui aurait vu dans le dernier livre d'Ernaux des rêveries de jeune fille bien rangée ce n'est pas vraiment ça ou disons que c’est un peu plus et pas du tout ça mais je pense qu’il faut avoir lu plus de livres d’Annie Ernaux pour comprendre et dépasser ces « mémoires de fille ». Je ne trouve pas non plus qu’elle soit très célébrée en France même si on a pu faire des thèses sur son travail, ses livres restent assez peu connus du grand public. Il suffit de voir le nombre très raisonnable de gens qui viennent pour une signature d’Annie Ernaux au salon du livre alors que dans le même temps la file est 20 fois plus grande pour une signature du dernier Levy! Dans cent ans qui de Levy ou d’Ernaux sera encore lu, là est la question….
Bien agréables ces potins littéraires, et oserais je dire que je suis un petit peu beaucoup d'accord sur le crime de lèse majesté qui est de critiquer défavorablement A. Ernaux: j'ai apprécié en leurs temps ses premiers romans,mais franchement maintenant je ne peux plus.
J'ai apprécié l'ensemble de cette chronique.
EXCELLENT ! Merci