Manosque inscrit la littérature à son programme pendant cinq jours lors des Correspondances , festival littéraire au cœur de la Provence, dans la ville natale de Giono.
Dans le centre historique de Manosque sont organisées des rencontres, des débats en extérieur auxquelles le public assiste en déambulant de place en place, le tout au milieu de la vie du village avec les cris des enfants qui jouent dans le parc voisin et le marché le samedi matin, un festival au cœur de la ville et de la vie. Un festival à taille humaine qui offre une grande proximité avec les auteurs invités que l'on peut croiser au détour d'une rue, à la terrasse d'un restaurant... L'installation d'écritoires tous plus originaux les uns que les autres et les nombreuses citations des écrivains présents peintes sur les murs complètent le décor de ce festival.
Il m'est difficile de faire un choix parmi les multiples moments de pur bonheur qui m'ont encore été offerts cette année durant trois jours du vendredi 23 au dimanche 25 septembre.
Je voudrais d'abord souligner la place importante réservée aux primo romanciers cette année. Elisa Shua Dusapin (Hiver à Sokcho), Négar Djavadi (Désorientale), Catherine Poulain (Le grand marin), Gaël Faye (Petit pays), Guy Boley (Fils du feu), Thiery Froger (Sauve qui peut), Ali Zamir (Anguille sous roche) et Jérôme Chantreau (Avant que naisse la forêt) faisaient partie des auteurs à l’honneur.
Serge Joncour qui a présidé cette année le prix « Envoyé par la poste » a rendu un bel éloge aux premiers romans en parlant de son plaisir d'entendre une voix pour la première fois et en soulignant la qualité et la diversité des premiers romans parus cette année.
Engagée dans l'aventure des « 68 premières fois » qui a pour objectif de faire découvrir le plus largement possible des premiers romans, j'ai particulièrement apprécié de rencontrer ces auteurs. J'ai été attendrie par leurs maladresses, leur timidité parfois face aux questions des journalistes comme Elisa Shua Dusapin qui ne parvient dans un premier temps qu'à balbutier un merci. Plusieurs ont exprimé leur étonnement face au succès de leur roman, Gaël Faye dit attendre le clap de fin d'une caméra cachée nationale, Négar Djavadi dit être encore dans l'étonnement d'avoir trouvé un éditeur...
Parmi les rencontres les plus marquantes de ces trois jours je retiens
Une rencontre avec Serge Joncour, Repose-toi sur moi, et Guy Boley , Fils du feu, au cours de laquelle éclatait une jolie complicité entre eux, tous deux ont évoqué une même envie de parler de la mutation de la société, du passage d'un monde à un autre et un même intérêt pour la ruralité. Guy Boley voulait au départ écrire un roman sur ses parents qui chantaient de l'opérette pour leurs voisins, il a essayé pendant 30 ans d'écrire ce roman et conclut la rencontre par une magnifique phrase "J'ai trouvé avec l'écriture le centre apaisé de moi-même", cet auteur qui a exercé parmi de multiples métiers celui de funambule compare l'écriture d'un roman au funambulisme "Des mois de travail et ça tient debout ou ça tombe".
La rencontre autour du livre de Luc Lang, Au commencement du septième jour, m'a marquée par l'analyse très pointue du style de narration de l'auteur par la journaliste Maya Michalon. Luc Lang ne décrit pas les paysages, il ne fournit que la perception qu'en a son héros, il utilise des ellipses qui annoncent des drames en très peu de mots pour induire chez le lecteur la même sidération que le héros a ressentie au moment où le drame lui a été annoncé. Luc Lang ne veut pas que le lecteur lise un livre mais qu'il vive une expérience, pour lui « l'auteur n’est pas là pour donner le sens des choses ».
La rencontre avec Nathacha Appanah, Tropique de la violence, et Ali Zamir, Anguille sous roche, a montré l'admiration réciproque entre ces deux auteurs qui ont publié deux romans extrêmement complémentaires et m’a permis de découvrir avec Ali Zamir un auteur à la forte personnalité qui tient à ce que son roman soit inclassable.
La fougue, l'enthousiasme débordant et la grande érudition d'Éric Vuillard m'ont impressionnée lors de la présentation de son roman 14 juillet que j’ai maintenant très envie de lire.
La question de la double culture a été souvent au centre des débats. Dans son roman hiver à Sokcho, la franco-coréenne Elisa Shua Dusapin, aussi douce et sensible que l'est son écriture, a souhaité montrer le contraste entre sa France paternelle et sa Corée maternelle en comparant les plages de Normandie à celles de Sokcho. Pour mieux faire ressentir le décalage entre les deux cultures elle a écrit certains dialogues en coréen pour les traduire ensuite en français.
La franco-iranienne Négar Djavadi a évoqué la nécessité de se désintégrer pour pouvoir s'intégrer et dit avoir mêlé dans son roman Désorientale l'histoire de l'Iran et une histoire de PMA pour parler à la fois de la France qu'elle connait aujourd'hui mais aussi de l'Iran qu'elle a connu dans son enfance. Son roman offre de nombreux points communs avec Petit pays de Gaël Faye, tous deux parlent d'exil, ont une part autobiographique, commencent dans le temps présent et mettent en scène des héros qui trouvent une aide dans la culture, les livres pour l'un, la musique pour l'autre.
Une lecture très vivante par le comité de lecture de Marcher droit et tourner en rond d'Emmanuel Venet nous a menés à la rencontre d'un jeune homme atteint du syndrome d'Asperger décrit avec beaucoup d'humour par l'auteur qui connait bien le sujet puisqu’il est psychiatre.
Pour clôturer le festival j’ai assisté au concert littéraire « Condor Live» d'après le roman Condor de Caryl Ferey, une plongée en apnée très sombre dans le Chili d'après Pinochet, une interprétation magistrale de Bertrand Cantat, Marc Sens et Manusound qui donne la chair de poule.
© Joëlle G
Merci Joëlle pour ce superbe reportage.
N'oubliez pas de lire également l'article de Jean-Paul Degache, que vous trouverez ici !
Tout savoir sur le partenariat que nous vous avons proposé et sur Les Correspondances 2016, du 21 au 25 septembre
J'ai lu avec plaisir votre reportage et je constate que nous nous complétons bien avec, bien sûr, des points communs. Je regrette de ne pas avoir pu vous rencontrer mais le programme était tellement dense et prenant que ce n'était pas facile, hélas. Peut-être à l'année prochaine car, à Manosque, dès qu'on y vient, on a tout de suite envie d'y revenir !