Manosque, il faut y aller et surtout y revenir afin de savourer au maximum des Correspondances au programme de plus en plus étoffé, de plus en plus varié avec pour vedette le livre et l’art d’écrire. Toutes ces écritoires plus étonnantes les unes que les autres, disséminées dans la ville et même dans quelques communes voisines poussent petits et grands à découvrir ou à retrouver le goût d’écrire une lettre ou une carte postale, tout cela acheminé gratuitement en partenariat avec La Poste.
Jean Giono serait très fier de voir la ville où il a grandi, s’animer ainsi. Lo Paraïs, sa maison accrochée au flanc du Mont d’Or, à quelques dizaines de mètre de la Montée des Vraies Richesses, domine la ville et il ne fallait pas laisser l’occasion de la visiter puisque cela était organisé cette année, en off, toute la semaine.
Fabienne, du service culturel de la ville est une guide parfaite, passionnante et compétente. Non seulement, elle rappelle la vie de celui qui fut Jean Le Bleu, mais elle fait revivre toute sa famille dans cette bastide agrandie au fil des ans. Jean Giono changea cinq fois de pièce pour établir son bureau mais Élise, son épouse faisait résonner, dans toute la maison, le bruit de la machine à écrire pour dactylographier les pages écrites la veille. Ses plumes, ses pipes et ses objets familiers sont rassemblés dans le bureau le plus vaste et c’est très émouvant de découvrir des lieux conservés en l’état par Sylvie (1), sa fille, puis par Les Amis de Giono, avec les 8 500 livres de l’auteur de Regain, occupant beaucoup de murs et d’étagères. Ces moments indispensables restent inoubliables. C’est une visite essentielle qui donne envie de se replonger aussitôt dans l’œuvre de Giono… mais reprenons le fil de ces cinq journées de bonheur littéraire.
Sylvie Giono a publié en 2013 un superbe livre Le goût du bonheur ; la Provence gourmande de Jean Giono (Belin), savoureux et magnifiquement illustré de photos de la vie familiale des Giono.
Mercredi ...
La sieste littéraire : Pour nous mettre en forme, nous avions commencé par… une sieste et j’avoue qu’il m’a été bien difficile de somnoler. Bastien Lallemant, J.P. Nataf, Maëva Le Berre et David Lafore nous envoûtent avec la douceur de leurs guitares et de la contrebasse accompagnant des chansons d’excellente qualité. Ils laissent Arnaud Cathrine et Julien Delmaire nous régaler de leurs textes qu’ils savent bien mettre en valeur. Lorsque David Lafore se lève et chante un hommage à la petite culotte, impossible de fermer les yeux tellement c’est drôle. L’ensemble donne un moment de grâce indispensable.
Laura Kasischke : Maya Michalon et l’auteure étatsunienne Laura Kasischke ont le redoutable privilège d’offrir le premier entretien public de ces Correspondances. Valentine Leÿs traduit les propos de celle qui publie : Si un inconnu vous aborde (Page à Page). L’auteure de ce recueil de nouvelles est née en Louisiane puis a vécu dans le Michigan. Elle enseigne à l’université. Ses romans sont édités par Christian Bourgois mais nouvelles et poèmes paraissent chez Page à Page. Elle a été nourrie par le cinéma de David Lynch et par le cinéma européen puis forcée, par ses enfants, à s’intéresser au monde extraordinaire de Pirate des Caraïbes. Même si la beauté de la prose de Virginia Woolf a changé sa vie, c’est un poème extrait de Mariées rebelles qui est lu d’abord en anglais par l’auteure puis en français par Maya Michalon. Glaçant !
Ludivine Sagnier, lecture de Si un inconnu vous aborde (Laura Kasischke) : Seule au milieu de la scène, Ludivine Sagnier est assise derrière une table, livre en mains, carafe d’eau à sa droite. Elle bénéficie de l’accompagnement musical très discret de Mathieu Baillot et lit quelques nouvelles de Laura Kasischke. C’est prenant, angoissant, intrigant car l’auteure sème des indices, des fausses routes qui finissent de captiver l’auditeur, donc le lecteur. C’était la première grande soirée de ces Correspondances 2017 dans un Théâtre Jean le Bleu qui affichera complet chaque soir.
Jeudi ...
Après la visite de la maison de Jean Giono, toujours sous un soleil généreux et un ciel superbe, se poursuit cette seconde journée. Ici, les transports publics sont gratuits et il faut en profiter pour soulager la ville d’un trafic automobile trop dense. De nombreux groupes d’élèves sillonnent la vieille ville, profitant des animations qui leur sont destinées et constatant toute la passion que déclenchent les livres chez leurs aînés. Sur la place Saint-Sauveur, le stand d’Amnesty International permet au plus grand nombre d’écrire à un ou plusieurs prisonniers politiques dans le monde entier.
René Frégni : C’est avec un autre écrivain manosquin, bien vivant celui-là, que la journée littéraire débute. Il y a de plus en plus de monde pour écouter René Frégni répondre aux questions de Sophie Quetteville à propos de son dernier livre : Les vivants au prix des morts (Gallimard). Dès le matin, devant son bol de café, il écrit sur des cahiers mais : « C’est le roman qui me choisit, comme cette petite chatte blanche qui me regardait dans mon jardin. » Sans qu’il le veuille, son dernier roman a basculé dans le roman noir après un coup de fil d’une personne détenue qu’il avait eue comme élève dans un atelier d’écriture, aux Baumettes. Là-bas, il n’avait que douze personnes sur les deux mille incarcérées « alors qu’on devrait commencer par ça, pour la réinsertion ! » René Frégni affirme que la prison est l’université du crime car elle renforce le criminel et détruit toute trace d’humanité. Son langage est ferme, sans ambiguïté. C’est un homme qu’il faut écouter et donc lire car sa vision de notre société permettrait d’éviter beaucoup d’erreurs.
Miguel Bonnefoy et Thomas Gunzig : Ils sont jeunes tous les deux, le premier est franco-vénézuélien et sera l’écrivain résidant à Manosque pour l’année à venir alors que l’autre est belge. C’est Yann Nicol qui mène cet entretien croisé, en toute décontraction, bien aidé par deux auteurs passionnés et passionnants. Miguel Bonnefoy, avec Sucre noir (Rivages), n’en est pas à son premier roman. S’il pense et rêve en espagnol, il s’exprime avec talent en français et sa verve conquiert l’auditoire. Le Venezuela lui est très cher et il en parle avec amour afin de combattre tous les clichés qui circulent actuellement. Dans cette ferme-distillerie de Santa Teresa, à deux heures de Caracas, on élabore un rhum parfait. Ses personnages sont de chair et d’os et ce sont eux qui changent le cours de l’histoire. Sa lecture des premières pages de Sucre noir pousse vraiment à lire la suite…
Si Thomas Gunzig paraît plus discret, il fait quand même sa place et a bien raison lorsqu’il affirme : « Un bon livre doit vous arracher à vous-même, sinon c’est raté. » Dans son dernier roman, La vie sauvage (Au diable vauvert), son héros a tout lu en Afrique où il a grandi. C’est pourquoi il est furieux d’entendre tous les clichés qui circulent à propos de l’Afrique lorsqu’il se retrouve dans une petite ville d’Europe du nord. Si Thomas Gunzig avoue que le travail d’écriture est un artisanat « un dur boulot », il déclenche les rires et une belle salve d’applaudissements à la fin de sa lecture d’une scène se passant chez la psychologue, dans une école.
Joël Baqué et Hervé Le Tellier : Avec son petit air tristounet, Joël Baqué trompe bien son public. Il suffit de l’écouter parler de la banane pour découvrir son formidable humour… l’air de rien. Il publie La fonte des glaces (POL), un roman qui nous emmène dans la solitude fondamentale de Louis qui va devenir malgré lui une icône planétaire de l’écologie à cause d’un coup de foudre pour un manchot empereur empaillé !
Toutes les familles heureuses ((JC Lattès) propose les souvenirs recomposés par Hervé Le Tellier, des portraits sans concession de personnages romanesques qui composent pourtant sa famille. Ado, il se préparait au deuil de ses parents alors qu’il pouvait lire et acheter tous les livres qu’il voulait. C’est ainsi que, très jeune, il a découvert les dysfonctionnements de sa famille malgré une éducation en vase clos. Entre une mère d’origine paysanne et un beau-père de souche aristocratique, l’auteur, membre de l’Oulipo, captive ses lecteurs avec ce dernier roman très remarqué.
Vendredi ...
Marx et la poupée (Le Nouvel Attila), Goncourt du Premier roman, n’est pas un livre à réserver à la jeunesse. Je le recommande fermement aux adultes car Maryam Madjidi fait partager sa vie d’émigrée iranienne en parlant d’abord de son enfance. Voilà encore un éclairage différent de ce qui a déjà été publié par Negar Djavadi ou Chahdortt Djavann, par exemple. Ses parents, militants communistes, voulaient appliquer concrètement leurs idées au quotidien et demandaient à leur fille de donner ses jouets aux autres gosses du quartier… Difficile à accepter. Le travail de conscience et de mémoire de l’auteure est très important afin de ne pas oublier que, dans ce pays, ses meilleurs enfants sont soit exécutés, soit en exil. Pour Maryam Madjidi, les racines, ça n’existe pas. Elle le prouve dans ce livre après plusieurs naissances et renaissances.
Richard Morgiève et Philippe Jaenada : Richard Morgiève, avec Les Hommes (Joëlle Losfeld), nous emmène dans le Paris voyou des années 1970, jusqu’à l’élection de François Mitterrand, en 1981. « Il n’y avait que moi qui pouvais l’écrire cette histoire, » avoue l’auteur. Il parle de fraternité et d’amour avec cette enfant qui choisit l’auteur pour qu’il soit son père, Les joies, les peines de la vie mais aussi les voitures et la vitesse se retrouvent dans les soixante chapitres qui ont tous un titre.
La lecture de La petite femelle laisse des traces. Lorsque son auteur, Philippe Jaenada sort La serpe (Julliard), son dixième roman, je ne peux qu’être intrigué et fortement intéressé par l’histoire d’Henri Girard, qui deviendra ensuite Georges Arnaud, se rendant célèbre avec Le salaire de la peur, paru en 1950 et dont l’adaptation au cinéma par Henri-Georges Clouzot a marqué les mémoires. Fidèle à son habitude, l’auteur s’est lancé dans des recherches très poussées pour décortiquer la vie d’un sale gosse au début, devenu quelqu’un qui s’est battu toute sa vie contre l’injustice. En 1941, dans un château sinistre de Dordogne, son père, sa tante, la bonne et lui sont enfermés pour la nuit. Le lendemain matin, trois morts gisent, massacrés à la serpe. Henri Girard appelle les secours mais il est le coupable idéal et sera… acquitté deux ans plus tard. Philippe Jaenada parle de sa quête et de ce restaurant chinois de Périgueux, désopilant ! L’émotion reprend le dessus lorsqu’il évoque les lettres d’Henri Girard à son père : « Je n’ai jamais rien lu d’aussi bouleversant. Je pleurais comme une nouille. » C’est l’amour filial et paternel qui est au cœur d’un livre à lire d’urgence.
Lettres à Anne ; 1962-1995 de François Mitterrand, lecture par Laurent Poitrenaux : Un acteur peu connu mais qui figure dans de nombreuses œuvres que ce soit au théâtre, au cinéma et à la télévision, a conquis le public du théâtre Jean le Bleu. Certes, il y a le style impressionnant et l’amour profond pour Anne Pingeot de celui qui fut quatorze ans Président de la République mais encore faut-il le rendre, seul en scène, devant une salle comble. Laurent Poitrenaux a réussi une performance extraordinaire, convaincant les plus sceptiques à propos de cette publication : Lettres à Anne ; 1962-1995 (Gallimard). Débutant en 1962 et s’achevant en 1995 juste avant la mort de son auteur, les années défilant en chiffres énormes sur l’écran, au fond de la scène, cette correspondance éblouit, émeut, fait sourire, touche profondément celui qui l’écoute, révélant l’intimité d’un homme public que tout le monde croyait connaître et donne envie de plonger dans ce livre.
Samedi ...
Rencontre avec Louis-Philippe Dalembert : Ce samedi matin, quelques lecteurs sont réunis dans une salle du Centre Jean Giono, autour du lauréat 2017 du Prix Orange du Livre. C’est le seul prix qui rassemble un jury composé d’écrivains dont le lauréat de l’année précédente, de libraires et de lecteurs, sans oublier le vote des internautes sur Lecteurs.com. Pour sa 9ème édition, ce jury présidé par Erik Orsenna a récompensé Louis-Philippe Dalembert pour Avant que les ombres s'effacent (Sabine Wespieser). Né à Port-au-Prince, cet homme très sympathique en est à son huitième roman. Dans celui-ci, Ruben Schwarzberg, très âgé, quelques jours après le terrible tremblement de terre qui a dévasté Haïti, raconte sa vie qui fut extraordinaire. Depuis la Pologne, origine de sa famille, il nous emmène jusqu’en Haïti en passant par Berlin, Hambourg, Buchenwald et Paris. Le récit est passionnant, très prenant, très bien documenté sur le plan historique. Il rappelle que, pour un Haïtien, l’inégalité des races n’est pas possible. Ce petit pays qui avait réussi à se débarrasser du colon français, a déclaré la guerre au IIIe Reich le 12 décembre 1941. Tous les Juifs qui le voulaient pouvaient prendre la nationalité haïtienne et ils étaient accueillis là-bas alors que les USA fermaient leurs portes de peur de voir arriver des espions… Ce livre est étonnant, captivant, plein d’humour, érotique parfois avec ces années folles qui, comme par hasard, précèdent les guerres. L’auteur sait manier l’humour, toujours sur la corde raide et il le réussit magnifiquement.
Dans ce même Centre Jean Giono, à proximité de la porte Saunerie, les organisateurs ont eu la bonne idée de placer cette année le Point Info du festival. À l’étage, une très belle exposition, Mains d’écrivains, signée Patricia Bouchet (photos et textes) permettait de constater que les mains de nos auteurs favoris disent beaucoup de choses.
Silence on lit ! Comme d’habitude, toutes les places sont prises longtemps à l’avance, sur les nombreuses chaises disposées devant la scène, place de l’Hôtel de Ville. C’est le moment choisi par l’association Silence, on lit ! pour distribuer des livres offerts à ceux qui voulaient les garder et donner le signal pour cinq minutes de silence et de lecture. Impressionnante cette place où tout brouhaha a cessé ! Cette très bonne initiative qui se répand un peu partout aurait pu durer plus longtemps, sans problème.
Louis-Philippe Dalembert et James Noël : Nous retrouvons Louis-Philippe Dalembert avec un autre écrivain haïtien, James Noël qui publie Belle merveille (Zulma). Michel Abescat anime un entretien qui permet d’en savoir plus sur ce terrible tremblement de terre du 12 janvier 2010. Après avoir publié des poèmes, James Noël propose son premier roman qui met en scène Bernard, un survivant du séisme. Il croise Amore, une Italienne membre d’une ONG. Coup de foudre immédiat : « Je l’écrivais en tremblant car c’est du vécu, » reconnaît l’auteur qui dénonce aussi ce choléra apporté par les Casques bleus de l’ONU et donne à voir la grande complexité de son pays. Ce roman choral sublime le désir de vie.
Brigitte Giraud et Jean-Marie Blas de Roblès : Ils sont nés tous les deux à Sidi-Bel-Abbès mais à seize années d’intervalle et les voilà réunis avec Sophie Joubert pour parler de l’Algérie au travers de leurs romans au matériau autobiographique important. Brigitte Giraud publie Un loup pour l’homme (Flammarion) et parle de ses parents, un père qui ne voulait pas porter les armes et s’est retrouvé infirmier. Sa mère a quitté appartement, travail, famille pour rejoindre celui qu’elle aime, en Algérie. Même si elle reconnaît que cela a été compliqué d’écrire sur la vie de ses parents avant sa naissance, elle a réussi un récit vivant, précis, au cœur de la vie du moment.
Dans l'épaisseur de la chair (Zulma), Jean-Marie Blas de Roblès laisse raconter Thomas qui tente de faire parler son père de la guerre d’Algérie mais c’est impossible car il reproche à son fils de ne pas être un vrai pied-noir… Pourtant, ce père qui est chirurgien à l’hôpital de Sidi-Bel-Abbès, n’hésite pas à dire ce qu’il a fait durant la seconde guerre mondiale, lui le fils d’un immigré espagnol, né en Algérie. L’auteur livre ainsi tout un pan de l’histoire de ce pays dans un style toujours très soigné qui lui avait valu le Prix Médicis, en 2008, avec Là où les tigres sont chez eux.
Justine Augier et Mazarine Pingeot : La fin de la journée approche et l’affluence est énorme, place de l’Hôtel de Ville lorsque Maya Michalon présente deux écrivaines qui publient cette année un nouveau livre. De l'ardeur ; histoire de Razan Zaitouneh, (Actes Sud) nous emmène en Syrie sur les traces de Razan Zaitouneh, cette avocate militante et dissidente disparue en décembre 2013, enlevée avec son mari et ses enfants. Justine Augier en parle avec émotion et conviction pour lutter contre cette horrible pratique de la disparition. Razan Zaitouneh est une figure majeure de la révolution syrienne et elle avait recensé tous les crimes commis par le pouvoir. C’est après avoir contacté ses proches, sa famille que l’auteure parle de cette femme qui refusait de quitter son pays malgré les menaces qui pesaient sur elle.
Dans le Paris de 1982, Josèphe dont le surnom, Théa, a donné le titre du roman de Mazarine Pingeot (Julliard), tombe amoureuse d’Antoine, un Argentin qui a fui une dictature utilisant aussi la disparition pour éliminer les opposants. Elle écrase les gens à l’intérieur et envoie les autres à l’extérieur. Cet exil est tragique. On abandonne et on est abandonné c’est pourquoi Antoine est obsédé par l’archivage des témoignages mais disparaît à son tour. Intriguée, Théa enquête et voit surgir les drames de la guerre d’Algérie qui a touché sa propre famille.
Dimanche ...
Rencontre Lecteurs.com avec Marie-Hélène Lafon : C’est avec Marie-Hélène Lafon qui publie Nos vies (Buchet/Chastel) qu'est convié un groupe de Lecteurs.com dans une salle du Centre Jean Giono. Pas besoin de questions pour que cette professeure de lettres classiques se lance et passionne son auditoire tout en faisant virevolter ses mains et fait penser à l’exposition de Patricia Bouchet. Marie-Hélène Lafon adore les rencontres avec les lecteurs car chacun déploie le livre avec ce qu’il est : « Autant de lecteurs, autant de livres. » Ses personnages vivent leur vie mais ce sont de vraies personnes au départ et elle trouve son inspiration dans la vie réelle pour écrire soit une nouvelle, soit un roman. Celle qui vit depuis 37 ans à Paris après avoir passé les 18 premières années de sa vie dans le Cantal parle de la minéralité de la vie : « Ville ou campagne, ce n’est pas la même écriture. Le rythme intime de la phrase change. »
Alice Zeniter : « Voilà un roman indispensable pour les hommes politiques qui nous gouvernent ». Maya Michalon donne le ton d’entrée devant une assistance encore plus impressionnante ce dimanche après-midi. L'art de perdre (Flammarion) se déroule sur trois générations, jusqu’à Naïma et Alice Zeniter est fière de le présenter devant ses parents et une délégation de harkis, elle qui ne connaissait pas l’Algérie, comme Naïma. Alors qu’elle était en résidence à Manosque, elle a découvert par hasard que ses parents avaient vécu près tout près, à Ongles où un musée permet de comprendre l’histoire de ces familles déracinées et enfermées en France, dans les mêmes camps qui avaient privé de liberté les Espagnols fuyant la dictature franquiste, à Rivesaltes, entre autres. Au travers de trois générations, elle montre que l’intégration touche chaque seconde de la vie d’un immigré : « Ça englobe la totalité d’un être, la totalité d’une vie. » Rejetés par l’Algérie, non intégrés en France, ils n’étaient pas des rapatriés ni des Français musulmans car certains étaient athées ou chrétiens mais des harkis, à la mauvaise place pour toujours. Si les premiers arrivés sont restés analphabètes, c’est parce qu’on ne leur a pas appris à lire et à écrire. Avec la troisième génération, Alice Zeniter, 55 ans après, remet les choses en place pour que le mot harki ne soit plus synonyme de traitre, afin que tout s’apaise.
Sébastien Spitzer : Après avoir beaucoup travaillé au Proche-Orient, Sébastien Spitzer a mené une longue quête, une longue enquête sur la fin du IIIe Reich. Historien de formation, journaliste par nécessité, il est allé aussi au Rwanda et a appris l’arabe, toujours dans l’idée de devenir écrivain. Ces rêves qu'on piétine (L’Observatoire) est un premier roman particulièrement réussi. L’histoire de Magda Goebbels l’ennuyait jusqu’au moment où il a découvert qu’elle avait été élevée par Richard Friedlander, un juif, qu’elle a laissé mourir dans un camp de concentration. C’est au Mémorial de la Shoah qu’il a plongé au cœur de cette histoire écrite avec passion et un talent remarqué. Un livre à lire absolument.
Ce que je sais de la mort, ce que je sais de l'amour et les chansons de Philippe Katerine : C’est la dernière soirée des Correspondances 2017. Le théâtre Jean le Bleu met plus de temps qu’à l’accoutumée à se remplir mais il ne reste plus une place lorsque Philippe Katerine, moulé dans un pull très coloré qu’on a le droit d’aimer, entre en scène. L’instant est sérieux car il s’agit d’une conférence parue sous le titre Ce que je sais de la mort. Ce que je sais de l’amour (Hélium). Les dessins de l’artiste sont projetés sur grand écran et les visages se dérident aussitôt avant que des rires déroulent en cascade à cause des propos d’un homme à l’humour très décalé. Ce n’est pas très long mais, pour notre plus grand bonheur, arrive son complice, Philippe (encore un !) Eveno, guitare en mains. Les chansons, de véritables sketches ravissent une salle conquise qui en veut toujours plus. Aussi, Philippe Katerine revient, seul, torse nu, pull jeté négligemment sur les épaules, et emporte encore l’adhésion de tous, nous permettant de finir cette 19e édition avec un énorme sourire. Le bonheur, quoi !
Merci à Jean-Paul Degache pour ce reportage !
Je découvre ce texte en 2021! Je suis allée aux Correspondances pour la première fois en 2018; je séjournais dans l'appartement que m'avait laissé mon ami René Frégni; sur la place de l'hôtel de ville. J'ai beaucoup apprécié et j'y suis revenue en 2020: un des rares festivals maintenu malgré le virus, car l'essentiel se passe en plein air.
J'y retourne cette année!