Jean Giono serait très fier... Reportage aux Correspondances 2017, pour mieux comprendre le bonheur des lecteurs !
C'est l'histoire de ce qui se passe dans la tête d'un homme. Ou le roman vrai de Manuel Cortès, rêvé par son fils - avec le perroquet Heidegger en trublion narquois de sa conscience agitée -, Manuel Cortès dont la vie pourrait se résumer ainsi : fils d'immigrés espagnols tenant bistrot dans la ville de garnison de Sidi-Bel- Abbès, en Algérie, devenu chirurgien, engagé volontaire aux côtés des Alliés en 1942, accessoirement sosie de l'acteur Tyrone Power - détail qui peut avoir son importance auprès des dames...
Et puis il y a tout ce qui ne se résume pas, tous ces petits faits vrais de la mythologie familiale, les manies du pêcheur solitaire en Méditerranée, les heures douloureuses du départ dans l'urgence, et celles, non moins dures, de l'arrivée sur l'autre rive de la mer, de cette famille rapatriée.
Dans l'épaisseur de la chair est un roman ambitieux, émouvant, admirable. Qui s'ancre d'abord dans l'amour, l'estime infinie d'un fils pour son père.
En bref... C'est, à travers l'histoire personnelle d'un homme, tout un pan de l'histoire de l'Algérie, depuis l'arrivée des grands-parents, venus d'Espagne, jusqu'au retour en France, au début des années 60. Et ça commence par une apostrophe terrible, lancée par le père à son fils - Tu n'as jamais été un vrai pied-noir ! - doublée d'une question en écho : Qu'est-ce qu'un vrai pied-noir ?
Le récit est enlevé, brillant, philosophique, drôle (on y retrouve Heidegger, le perroquet de Là où les tigres sont chez eux), émouvant bien sûr, sur une période encore peu explorée dans le roman contemporain...
Et avant tout, le magnifique hommage d'un fils à son père.
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Ce livre est l'histoire de la famille Cortès émigrée d'Andalousie pour trouver une meilleure vie dans l'ouest algérien vers la fin du 19° siècle. L'auteur se la remémore dans des circonstances tragiques alors qu'il est tombé à l'eau lors d'une partie de pêche solitaire au large de Toulon et qu'il ne parvient pas à remonter sur son bateau. L'ascension sociale de ces espagnols misérables, leur travail âpre dans le "bush " algérien, souvent méprisés par les français, menacés par des rebelles arabes, est racontée de façon truculente. Des conditions climatiques terribles, une existence spartiate, mais une joie de vivre et une volonté de s'intégrer. Plus tard commence l'histoire de Manuel, le père de l'auteur,, qui va devenir chirurgien, faire d'abord la campagne d'Italie et celle de France jusqu'aux Vosges. Une guerre atroce vécue de manière presque insouciante par un jeune homme séducteur et courageux. Ensuite la guerre d'indépendance où il est menacé des deux côtés et le rapatriement en France. Il y terminera sa carrière en temps que "seulement " généraliste pour assurer ses obligations familiales et se consacrera ensuite à temps plein à la pêche, devenue un art de vivre et même une sorte de religion.
J'ai retrouvé le Pagnol de " La gloire de mon père", des anecdotes qui circulaient dans ma famille, des souvenirs personnels avec ces détails si admirablement restitués. L'auteur admire son père, se querelle certes parfois avec lui, mais l'aime très fort parce que c'est un homme qui ne s'est jamais apitoyé sur lui-même, a franchi tous les obstacles et est demeuré toujours fidèle aux siens et à ses idéaux.
"Ecoute- moi, André, se tromper ce n'est pas à coup sûr faire preuve de bêtise, mais persévérer dans son erreur, c'est pas souvent un signe d'intelligence."
Thomas, blessé par la remarque de son père "tu n’as jamais été un vrai pied noir" part en bateau et tombe par accident dans l’eau. Saisi par le froid, son esprit vagabonde et tente de répondre à cette question "qu’est-ce qu’un vrai pied noir ?"
Francisco, son arrière grand-père, il a débarqué en Algérie en 1882 pour fuir les terres brûlées d’Andalousie et le service miliaire espagnol.
Juanico, son grand-père, C’est un joueur de cartes, un gros travailleur et un gros baiseur. Il a ouvert un bar à Bel-Abbès où la famille s’est installée.
Manuel, son père, il se voit refuser l’entrée à la fac parce qu’il est espagnol. A 20 ans, il est pressé de partir à la guerre pour l’aventure et la haine des pétainistes. Médecin auxiliaire sur le front italien, il débarque en Provence, participe à la bataille des Vosges, assiste à la révolte de Setif, un massacre où il faut tuer de l’arabe, c’est tout.
Un roman, drôle et émouvant, hommage d’un fils à son père,un témoignage d’amour à l’Algérie terre d’accueil, une plume précise pour décrire l’antisémitisme, l’horreur de la guerre et les exactions des goumiers, les soldats marocains, dans leur esprit les femmes sont un butin de guerre. Les premiers attentats du FLN, la guerre d’indépendance, le départ pour Marseille. Mais aussi les rituels du pêcheur, une cérémonie où l’on regarde la météo comme les romains consultaient les haruspices et que dire de cette partie d’échecs qui a la même saveur que la partie de cartes de Pagnol.
Au matin du 24 décembre au large de Marseille, un homme seul tombe à la mer… Et la vie va défiler devant les yeux de Thomas, comme toujours avant le grand saut vers l’inconnu. Mais l’auteur va lui faire revivre non pas sa propre vie mais celle de son père. Ce père qui lui a lancé l’insulte suprême peu de temps avant : « Toi, de toute façon, tu n’as jamais été un vrai pied-noir ». Thomas est anéanti, bouleversé, touché par son père. Mais, en fait, qu’est-ce réellement qu’être un VRAI pied-noir ? C’est ce que va nous dire ce récit émouvant et en partie autobiographique qui rend à sa façon justice aux Pieds Noirs.
Il y a beaucoup d’humour et beaucoup de tendresse pour évoquer Manuel Cortès, fils d’émigrés espagnols installés à Sidi-Bel-Abbès en 1882 (quand les colons français ont besoin de bras) et son parcours parfois chaotique mais toujours droit. Après une enfance heureuse, Manuel Cortès épouse Flavie, devient chirurgien, puis s’engage comme médecin aux côtés des alliés, il débarque en Italie, fait la campagne de Monte Cassino avant de revenir en Algérie. La Seconde Guerre Mondiale est terminée mais les évènements d’Algérie ne font que commencer. Même si Manuel et Flavie souhaitent rester, ils partiront comme tant d’autres. Rejeté des deux côtés de la méditerranée, Manuel s’installe dans le sud comme médecin de ville.
Voilà un roman porté par une écriture magnifique, fait de chapitres très courts, qui font dire au lecteur encore un chapitre, puis un autre. J’ai aimé voyager dans le fil des souvenirs émus et toujours respectueux, qui racontent une famille, des vies, un peuple et deux pays. Mais aussi l’alternance des deux récits, celui du présent, inquiétant car il s’agit d’une situation tragi-comique traitée avec beaucoup d’humour, et le récit du passé, traité avec beaucoup d’humanité. Pas de regrets, de ressentiments ou de reproches, seulement des vies dans ce qu’elles ont de bon et de moins bon. Et beaucoup d’amour d’un fils pour son père.
https://domiclire.wordpress.com/2017/10/21/dans-lepaisseur-de-la-chair-jean-marie-blas-de-robles/
Débuter un roman de Jean-Marie Blas de Roblès, c'est partir un peu à l'aventure, dans l'une de celles que l'on n'oubliera pas. Après son roman très vernien L'ïle du Point Nemo, cette fois-ci, direction l'Algérie. Manuel Cortès, espagnol naturalisé français en est le héros, l'un de ceux qui marquent une époque par ses engagements. Et à travers lui, c'est le roman de ce pays que l'on lit, au moins depuis la colonisation française. L'auteur s'attarde sur le rôle de Manuel pendant la seconde guerre mondiale pour montrer combien les pieds-noirs et les Algériens ont combattu pour la liberté. Une autre grande partie est bien sûr la guerre d'indépendance et les massacres de part et d'autre : "Mon père a assisté aux massacres de Sétif, il n'a rien fait, rien dit, rien ressenti, et je ne parviens ni à l'excuser ni à l'en blâmer. Il n'est pas si facile de percevoir ce que l'on voit ; il faut beaucoup d'efforts, de concentration sur l'instant présent, sur ce qu'il offre à notre regard, pour ne pas limiter ses yeux à leur simple fonction de chambre noire." (p.241). Il montre bien la volonté des Algériens de retrouver leur liberté et le déchirement des pieds-noirs de quitter leur terre natale, celle où ils ont tout construit, et tous ne furent pas des colons richissimes qui s'enrichirent sur le dos des Algériens. La vraie question remonte aux origines, qui a bien pu avoir cette idée de conquérir ce pays et pour quelles raisons ? Question qu'aborde le romancier qui se fait à travers ce livre, historie, essayiste, ...
Enfin, c'est aussi le roman d'un homme vu par les yeux de son fils. Un vieil homme désormais qui a vécu fortement sa vie parce que les événements l'y ont contraint. Qui a combattu, aimé, beaucoup perdu et a reconstruit, qui aurait pu faire de cette citation de Marc Aurèle que cite son fils sa devise : "Vivez une bonne vie. S'il y a des dieux et qu'ils sont justes, alors ils ne se soucieront pas de savoir à quel point vous avez été dévots, mais ils vous jugeront sur la base des vertus par lesquelles vous avez vécu. S'il y a des dieux mais qu'ils sont injustes, alors vous ne devriez pas les vénérer. S'il n'y a pas de dieux, alors vous ne serez pas là, mais vous aurez vécu une vie noble qui continuera d'exister dans la mémoire de ceux que vous avez aimés. Je n'ai pas peur." (citée p. 248/249)
Encore une fois, c'est un grand roman que celui de JM Blas de Roblès, une part de l'histoire de la France et de l'Algérie, pas la plus simple et l'une des plus douloureuses qu'il est toujours délicat d'aborder encore de nos jours. Et lorsque comme lui, on a le talent et l'art de raconter des histoires fortes, eh bien, le lecteur n'a plus qu'à tourner les pages, pas trop vite pour ne rien perdre et pour profiter du temps passé en sa compagnie. Le romancier est né à Sidi-Bel-Abbès aux alentours de la date du fils de Manuel Cortès ; on est en droit de penser qu'il maîtrise son sujet pour lequel il a sans doute fait appel à ses souvenirs.
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