"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Croire sur les pouvoirs de la littérature - Justine Augier
La littérature pour Justine Augier semble être une échappatoire au regret, une réponse à un fléau, une liberté à l’enfermement ; faire exister celles et ceux qui ne sont plus.
Les livres ne provoquent pas de révolution mais ils nous travaillent, longtemps et d’une façon mystérieuse.
Ce récit émouvant et d’une écriture réfléchie, inclus sa mère disparue dans des livres qui les relient.
Ces livres sont les leurs, sont les nôtres dans les flots des auteurs qui ont été, qui sont encore et pour l’éternité.
La littérature donne vie en soi et à d’autres regards sur le monde,…
Accepter que la littérature rentre chez soi, permet de ne plus sortir de la beauté des pensées des personnages et des histoires ensorceleuses.
Libérer l’écriture, libérer la littérature c’est le thème central et profond finalement au monde qui nous entoure
Quand vous écrivez, vous tentez de trouver quelque chose que vous ne savez pas. Pour moi, tout le langage de l’écriture est de trouver ce que vous ne voulez pas savoir, ce que vous ne voulez pas comprendre, James Baldwin
Je ne connaissais ni Justine Augier, ni son écriture, et j’ai découvert qu’elle est la fille de Marielle de Sarnez et une belle plume !
Hommage d’une fille à sa mère
Justine Augier a rassemblé un ensemble de livres et de mots afin de décrire ce qui la lie d’abord inconsciemment puis consciemment, à sa mère. L’ambiance est certes intimiste et dure du fait de la maladie et de la fin de vie de sa mère, mais tout autant tournée vers le politique, le militantisme, le totalitarisme et la philosophie sociale. Ses références littéraires sont multiples et vastes du fait de l’appel à de nombreux textes, textes qui lui parlent, qui lui rappellent la vie de sa mère. Je sous-entends par là que les 140 pages ne sont pas guillerettes mais leur justesse est telle, que j’ai fini par décider que l’ouvrage était tourné vers l’avenir et la possibilité de plénitude que me donne la littérature.
Elle appuie sur la chance que certains ont de pouvoir accéder à des textes et des oeuvres qui ouvrent l’esprit. Elle évoque à quel point, dès que nous pouvons y consacrer une belle part de notre temps, la lecture devient une chance de nous éloigner du désespoir, voire de devenir « un résistant » comme elle le dit si positivement.
Elle y voit pareillement un atout de celle-ci contre l’oubli. Fixer les faits, l’histoire, la psychologie des évènements est une réelle félicité. Et elle a raison.
La liste des auteurs, des grandes figures et des oeuvres cités serait trop longue ou, si j’en donne quelques uns, elle en deviendrait partiale.
Et pour toutes ces idées réunies, Justine Augier a réussi un pari ; celui de nous conforter dans l’idée que l’accès à la lecture, à la culture est une étoile dans notre ciel. Nous sommes sur le bon chemin en conservant notre passion de la lecture, peut-être un des seuls qui maintienne notre cerveau et dirigent plus sensément nos choix de vie.
Dans « De l’ardeur », Justine Augier évoquait la vie de Razan Zaitouneh, avocate syrienne, militante des droits humains et opposante à Bachar al-Assad, enlevée en décembre 2013 et dont on est toujours sans nouvelles.
Dans cet ouvrage-ci, elle s’intéresse cette fois à Yassin al-Haj Saleh, également opposant au régime des al-Assad (père et fils). Contrairement au livre sur Razan (qu’elle n’a jamais rencontrée), pour lequel elle n’avait pu se baser que sur des écrits, des photos ou vidéos et les témoignages des proches de Razan, Justine Augier a eu cette fois la possibilité de rencontrer Yassin à plusieurs reprises, à Berlin où il s’est exilé.
Avec lui, elle retrace son parcours et sa dissidence, son emprisonnement de ses 20 à ses 36 ans dans les geôles du père Assad, sa participation au printemps syrien à partir de 2011, sa fuite et son exil en Turquie en 2013 jusqu’à son arrivée en Allemagne en 2016, sa tragédie personnelle depuis que sa femme Samira a disparu, enlevée en même temps que Razan et deux autres compagnons d’infortune.
Il est question de la barbarie du régime syrien, de tortures et de traumatismes, du complexe du survivant, de la douleur de l’exil et de l’impuissance face à la guerre sans fin, d’emprisonnement et du pouvoir des livres (ceux d’Hannah Arendt entre autres) qui permettent de s’en évader un tant soit peu.
Mais ce livre est bien plus que la biographie d’un seul homme, il est aussi une réflexion profonde sur le Mal et l’humanité, sur ce que peuvent (ou pas) le droit et les tribunaux pour rendre justice au peuple syrien martyrisé par son dirigeant, sur l’abandon éhonté dans lequel ce dernier est laissé par la communauté internationale, sur les échos que ce conflit meurtrier fait résonner dans le passé récent de l’Europe.
Justine Augier ne se pose pas en moralisatrice omnisciente, loin de là (« …honte de venir d’un milieu privilégié, de me promener avec un passeport privilégié, d’appartenir au monde occidental responsable de tant de violences et d’indifférence »). Avec humilité et sincérité, elle fait part du pourquoi et du comment de sa démarche et de ses recherches, explique son propre parcours, ses doutes, son questionnement, la réflexion qui l’a amenée à écrire sur la Syrie.
J’avais préféré « De l’ardeur », précisément parce que je l’avais trouvé plus ardent, mais « Par une espèce de miracle » est tout aussi poignant et désespérant, admirable d’humanisme et de sensibilité, de richesse intellectuelle, remarquable par son talent d’écriture. Un livre essentiel pour ne pas oublier la tragédie syrienne (et toutes les autres).
Lire et écrire, actes de résistance
Justine Augier a grandi avec les livres et a compris combien ils étaient essentiels. Dans ce court essai, qui rend aussi hommage à sa mère, elle dit le pouvoir de la littérature. En partageant ses combats et sa peine, elle nous offre un nouvel horizon. Lumineux.
C'est durant le confinement, ce temps suspendu, que Justine Augier a eu l'idée d'écrire sur les pouvoirs de la littérature. Une idée qui va l'accompagner quelques temps et qu'elle va confier à sa mort qui se bat contre une leucémie qui finira par l'emporter. Mais avant sa mort, elle aura eu le temps d'intimer à sa fille sa volonté de la voir mener à bien ce projet. Alors, il n'est plus question de tergiverser. Elle reprend ses notes et se met au travail. Assez vite, elle dresse ce constat: "Les livres sédimentent en moi d’une façon mystérieuse, ils déclenchent de longues et lentes transformations dont il m'arrive parfois de repérer les effets, discernant une preuve du cheminement. Le philosophe Emanuele Coccia n'hésite pas à évoquer la radioactivité de l'écriture, pour tenter d'approcher cette façon dont la matière mutante ne cesse de cheminer en nous et d'irradier." Alors revenir à ses lectures, surtout celles partagées avec sa mère, c'est continuer à vivre avec elle. C'est retrouver dans les souvenirs toute ces "figures d’une génération qui font le lien avec une époque qui commence à se dessiner, floue encore, une époque vouée à imprégner mon enfance." Il y a là Romain Gary mais aussi Simone de Beauvoir, Boris Vian, André Malraux et Albert Camus. Des auteurs qu'elle idolâtre et aime découvrir au fil des parutions. Puis viendront Miller, Lowry et Lawrence Durrell auquel Justine doit du reste son prénom.
Des lectures qui donnent des envies d'ailleurs mais poussent aussi à la liberté, y compris celle de s'émanciper de sa mère, de choisir d'autres auteurs, d'autres styles. C'est l'époque où après Camus, elle choisit Sartre, Proust, Claudel, puis Deleuze et Barthes, Blanchot et Derrida. "J'éprouve une joie profonde à découvrir mes auteurs, à découvrir qu'on peut écrire de tant de manières différentes". Quand sa mère lit Yourcenar, elle tourne vers une autre Marguerite, Duras qui lui paraît "tellement plus essentielle et profonde. La grande découverte c’est Le Ravissement de Lol V. Stein" et ces mots qui sonnent si justes, ces combats qui réveillent les consciences.
"Sa" Marguerite a poussé Justine vers la révolte, vers les témoignages, vers d'autres héros tels que Razan engagé en Syrie contre le dictateur. "La littérature prend soin des rêves défaits et les attise, dans l'espoir aussi que peut-être et d’une façon mystérieuse, ils puissent cheminer pour en embraser d’autres."
La fille de Marielle de Sarnez, femme politique et brièvement ministre des affaires européennes, réussit avec brio et bonheur à nous faire partager ses bonheurs de lecture et sa conviction qu'il faut toujours avancer dans la vie avec les livres. Quel beau message pour ouvrir la rentrée littéraire 2023 et la promesse de découvrir les nouveaux livres d'auteurs avec lesquels nous cheminons, mais aussi de faire de nouvelles découvertes.
https://urlz.fr/kJJl
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