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C'est dans un documentaire sur Yassin al-Haj Saleh que Justine Augier avait découvert Razan Zaitouneh, à qui elle a consacré son livre précédent, «De l'ardeur. »Près de cinq ans plus tard, elle rejoint l'intellectuel syrien dont l'épouse a été enlevée en même temps que Razan, désormais exilé à Berlin, à l'heure où des tribunaux français, suédois et allemand, au nom de la compétence universelle, s'apprêtent à juger certains responsables des crimes contre l'humanité commis en Syrie depuis 2011. Au cours d'une conversation qui se prolonge sur une année, ensemble ils tentent d'apprivoiser l'inconfort de la survie et de l'exil, les refuges et les ressources de la pensée, d'explorer les points de résonance entre la tragédie syrienne et le passé européen, avec la volonté urgente de croire que la justice pourrait rendre au peuple syrien la dignité que sa révolution écrasée a tenté d'arracher, et dessiner une alternative au désespoir.
Dans « De l’ardeur », Justine Augier évoquait la vie de Razan Zaitouneh, avocate syrienne, militante des droits humains et opposante à Bachar al-Assad, enlevée en décembre 2013 et dont on est toujours sans nouvelles.
Dans cet ouvrage-ci, elle s’intéresse cette fois à Yassin al-Haj Saleh, également opposant au régime des al-Assad (père et fils). Contrairement au livre sur Razan (qu’elle n’a jamais rencontrée), pour lequel elle n’avait pu se baser que sur des écrits, des photos ou vidéos et les témoignages des proches de Razan, Justine Augier a eu cette fois la possibilité de rencontrer Yassin à plusieurs reprises, à Berlin où il s’est exilé.
Avec lui, elle retrace son parcours et sa dissidence, son emprisonnement de ses 20 à ses 36 ans dans les geôles du père Assad, sa participation au printemps syrien à partir de 2011, sa fuite et son exil en Turquie en 2013 jusqu’à son arrivée en Allemagne en 2016, sa tragédie personnelle depuis que sa femme Samira a disparu, enlevée en même temps que Razan et deux autres compagnons d’infortune.
Il est question de la barbarie du régime syrien, de tortures et de traumatismes, du complexe du survivant, de la douleur de l’exil et de l’impuissance face à la guerre sans fin, d’emprisonnement et du pouvoir des livres (ceux d’Hannah Arendt entre autres) qui permettent de s’en évader un tant soit peu.
Mais ce livre est bien plus que la biographie d’un seul homme, il est aussi une réflexion profonde sur le Mal et l’humanité, sur ce que peuvent (ou pas) le droit et les tribunaux pour rendre justice au peuple syrien martyrisé par son dirigeant, sur l’abandon éhonté dans lequel ce dernier est laissé par la communauté internationale, sur les échos que ce conflit meurtrier fait résonner dans le passé récent de l’Europe.
Justine Augier ne se pose pas en moralisatrice omnisciente, loin de là (« …honte de venir d’un milieu privilégié, de me promener avec un passeport privilégié, d’appartenir au monde occidental responsable de tant de violences et d’indifférence »). Avec humilité et sincérité, elle fait part du pourquoi et du comment de sa démarche et de ses recherches, explique son propre parcours, ses doutes, son questionnement, la réflexion qui l’a amenée à écrire sur la Syrie.
J’avais préféré « De l’ardeur », précisément parce que je l’avais trouvé plus ardent, mais « Par une espèce de miracle » est tout aussi poignant et désespérant, admirable d’humanisme et de sensibilité, de richesse intellectuelle, remarquable par son talent d’écriture. Un livre essentiel pour ne pas oublier la tragédie syrienne (et toutes les autres).
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