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#Interview de Philippe Besson, Les passants de Lisbonne

#Interview de  Philippe Besson, Les passants de Lisbonne

Interview de Philippe Besson pour Les passants de Lisbonne (Julliard) par Karine Papillaud

« je suis obsédé par cette idée qu’on peut tout perdre, en un instant, ou que tout file entre les doigts, comme du sable ».

 

Un chagrin d’amour et un deuil impossible : dans Les Passants de Lisbonne, Philippe Besson rassemble un homme et une femme égarés par la peine dans la saudade lisbonnaise.  Hélène a perdu son mari dans un tremblement de terre, sans jamais pouvoir donner une sépulture à un corps jamais retrouvé. Mathieu, lui, a un jour trouvé une lettre dans un grand appartement désormais vide. Lequel des deux a le plus de raisons de souffrir ? Ce n’est pas par là que s’oriente le roman, qui place le deuil –celui d’une vie, celui d’une relation - comme lieu de souffrance et de l’intime, non comme enjeu victimaire. Dans Les Passants de Lisbonne, la douceur amère et lumineuse de Philippe Besson a encore trouvé à creuser le sillon d’un roman, simple, complexe, bouleversant.

L’auteur a eu la gentillesse de répondre à nos questions juste avant la rentrée.

- Dans Les Passants de Lisbonne, vous mettez en parallèle deux formes de relation à l’absence : la séparation amoureuse et le deuil, que vous traitez, au fond, de la même façon. En quoi ces deux expériences se rejoignent-elles ?
Dans les deux cas, il s’agit de se débattre avec une disparition. Qui plus est, une disparition subie. Et, dans les deux cas, l’autre, celui qui n’est plus là, incarne une absence qui n’est peut-être pas définitive. Car la femme qui a perdu son mari dans une catastrophe lointaine, qu’elle a vu se produire devant ses yeux, à la télévision, n’est pas certaine qu’il soit mort (pas certaine qu’il soit mort : songez à la violence de cette phrase). Et l'homme qui a trouvé une lettre de rupture dans un appartement vide sait que son ancien amour n’est pas hors de portée. Cela peut rendre fou. On pourrait considérer que ces deux disparitions ne doivent pas être mises sur le même plan. Mais il n’y a pas forcément de hiérarchie dans la souffrance. A la fin, on est seul, démuni, désemparé. Et il faut bien se débrouiller.

- Qu’est-ce qui vous ramène à la question du deuil, de la perte, de la rencontre, qui sont des thèmes récurrents et souvent concomitants dans votre œuvre ?
J’ai perdu des proches dans le plus bel âge. Je suis de cette génération de gens qui ont eu vingt ans au milieu des années 80 et qui rayaient peu à peu les noms de leurs amis dans leur carnet parce que la grande faucheuse était à l’œuvre. Je suppose qu’il m’en reste quelque chose. Et puis, oui, c’est vrai que je suis obsédé par cette idée qu’on peut tout perdre, en un instant, ou que tout file entre les doigts, comme du sable. Je sais maintenant qu’on apprend à vivre avec nos morts, qu’on peut même en faire une pensée douce. Enfin, je crois qu’on reconnaît un écrivain à la fidélité à ses obsessions. 

- Il y a dans vos textes l’idée de la rédemption par l’autre, qui sauve du désespoir. A quelle conviction cela répond-il chez le romancier que vous êtes ?
Ce sont les vivants qui nous sauvent. Toujours. Ce sont ceux que le hasard place sur notre route. Ça commence par une rencontre. Ça commence par un regard, une phrase anodine, et la petite flamme se rallume. Dans mon cas, ce sont souvent des femmes, des femmes puissantes, avec du caractère, de l’allure. Elles vous entraînent, ces femmes-là. Elles vous hissent. Je crois qu’on ne s’en sort jamais seul. Même l’écriture ne sauve de rien. Il faut quelqu’un.

- Dans votre livre, Mathieu dit « On n’est pas heureux deux fois «  (p 55). L’avez-vous déjà pensé ?
Je l’ai longtemps pensé, je ne le pense plus. J’avais cette idée d’un irrémédiable. L’idée aussi du "trop tard". L’idée enfin qu’on nous accordait une dose de bonheur et quand la dose était consommée, c’était terminé, on passait notre tour. Mais le bonheur, en fait, c’est comme un téléphone portable : ça se recharge ! 

- Il y a entre Hélène et Mathieu une intimité sentimentale qui ne procède pas du lien amoureux mais qui s’en approche. Comment qualifieriez-vous ce sentiment, est-ce de l’amitié, de la fraternité ou est-ce plus fugacement un effet de la souffrance reconnue dans l’autre ?
J’aime bien qu’on ne puisse pas déterminer exactement la nature de leur relation. Que ça n’entre dans aucune case, aucune définition. Cela signifie que c’est spécial, singulier, que ça ne se compare à rien d’autre. Alors oui, bien sûr, cela ressemble parfois à l’étreinte de naufragés. Bien sûr, il y a un effet miroir de leur chagrin respectif. Mais il s’agit aussi d’un attachement très fort, comme une aimantation. Cela relève de la nécessité et de l’évidence.

- Les lieux occupent une importance majeure dans votre œuvre et ce roman n’y déroge pas. Lisbonne est prégnante dans ce livre, sensuellement très incarnée. Traitez-vous les lieux comme des personnages et pourquoi avez-vous choisi Lisbonne pour ce livre-ci ?
La géographie est déterminante dans mon écriture. Elle est décisive. C’est seulement lorsque je tiens le lieu que je peux commencer à écrire. Un lieu, c’est une topographie mais c’est également une atmosphère, un état d’esprit. En l’occurrence, pour Lisbonne, la fameuse saudade, cette mélancolie douce. J’adore Lisbonne, ses collines, ses rues en pente, ses tramways, ses murs vérolés, ses mosaïques, sa splendeur fanée, et puis la présence du Tage, de l’Atlantique, là, tout près. Depuis longtemps, je voulais écrire sur cette ville. J’ai choisi d’en faire un personnage, le troisième personnage de cette histoire. 

- Dans Les Passants de Lisbonne, des références à votre œuvre nous traversent, comme le temps suspendu et l’attente de L’Arrière-Saison, le thème inversé de Se résoudre aux adieux, quelque chose de l’ambiguïté sexuelle de L’Homme accidentel, par exemple. A quelles œuvres rattacheriez-vous Les Passants de Lisbonne ? Car, enfin, peut on trouver une filiation d’écriture à travers vos textes ?
De « L’arrière-saison », il y a l’attente, le bar. De « Se résoudre aux adieux », il y a le désir de rejoindre l’autre, éloigné. De « L’homme accidentel », il y a le goût de l’ambivalence. Les livres se répondent. Un parcours se dessine avec les années. Et cependant, j’essaie à chaque fois de me renouveler, de trouver d’autres lieux, d’autres narrations, d’autres perspectives, d’autres émotions. « Les passants de Lisbonne », c’est comme un caillou sur le chemin. Mais aucun caillou ne ressemble à l’autre. Chaque caillou est unique, non ? 

 

- Merci Philippe !

 

Propos recueillis par Karine Papillaud

 

 

 

 

 

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Commentaires (13)

  • Nathalie Panaget le 11/01/2016 à 17h01

    J'adore Lisbonne et l'interview e Philippe Besson me pousse à aller acheter son livre dès ce soir.
    Hâte de tourner les premières pages et me plonger dans la lecture de ce nouveau roman

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  • Olivier Pirou le 10/01/2016 à 19h29

    Bonjour, il me vient à l'esprit un roman graphique de Jirô Taniguchi : le Journal de mon père. Indispensable. Et un beau roman de Marie Darrieussecq- prix Médicis 2013 - Il faut beaucoup aimer les hommes. Je vous le conseille également. amitiés. Olivier

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  • Chantal Lafon le 10/01/2016 à 14h14

    Pietra viva un bijou littéraire...
    Philippe Besson en lecture bientôt....Quand je lis tous ces avis je me dis que la littérature sera sauvée et nous sauvera...

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  • Dominique Jouanne le 09/01/2016 à 21h54

    Je suis d'accord avec Mireille. la 'rupture' est le point d'appui du levier créant grand nombre d'écrits en littérature...

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  • Mireille B le 09/01/2016 à 16h53

    Oui, à la lecture de vos commentaires, je me souviens effectivement de belles et assez nombreuses lectures sur ce thème de "la rupture". Il est source d'inspiration, et vraisemblablement en même temps exutoire à la douleur.

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  • Dominique Jouanne le 08/01/2016 à 16h02

    La fin d'une liaison de Graham Greene. (The end of the affair)

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  • Dominique Jouanne le 07/01/2016 à 16h43

    La place d'Annie Ernaux, auteure que j'ai découvert grâce aux lecteurs du site.
    "Souviens-toi de Lisbonne" écrit par le talentueux Olivier Frebourg...
    Aziyadé de Loti.

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  • Geneviève Munier le 07/01/2016 à 16h11

    Mireille, je suis tout à fait d'accord avec vous sur "la place" d'Annie Ernaux, merveilleux roman, comme la plupart de ses écrits d'ailleurs. J'ai bien aimé aussi "Je l'aimais" d'Anna Gavalda" et "une séparation" de Véronique Olmi

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  • Dominique Sudre le 07/01/2016 à 15h21

    Mireille,
    Vous me donnez envie de lire Pietra Viva, de Leonor de Recondo qui est déjà dans ma pile à lire "mentale" !
    Je pense aussi à "Ce que le jour doit à la nuit" de Yasmina Khadra, même si ce n'est pas vraiment une rupture...

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  • Mireille B le 07/01/2016 à 15h00

    e n'ai pas encore lu le dernier roman de Philippe BESSON, mais l'interview m'a convaincue de le faire, pour l'histoire elle même et pour le troisième personnage, Lisbonne, ville magique où chaque quartier a éveillé en moi des sentiments différents, et où la mélancolie m'a été si agréable.

    Des romans les plus beaux sur la rupture...4 me reviennent en mémoire à l'instant, avec chacun "sa rupture" et ses douleurs, selon qu'il s'agit d'une rupture choisie (décision de rompre une relation ou décision d'arrêter de vivre par exemple) ou d'une rupture subie (fait de barbarie (...) ou de guerre, maladie).
    - Et tu n'es pas revenu, de Marceline Loridan-Evens
    - Rosa Candida, de Audur Ava Olafsdottir
    - Pietra Viva, de Leonor de Recondo
    - La place, d'Annie Ernault

    Selon la rupture, choisie ou subie, la réparation est-elle la même?

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  • lecteurs.com le 07/01/2016 à 12h53

    La rupture, un sujet qui inspire les auteurs Mais vous, qu'en pensez vous ? Et quels sont les plus beaux romans sur la rupture, selon vous ?

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  • célia briand le 05/01/2016 à 19h19

    Un de mes auteurs français favoris, que j'ai eu la chance d'interviewer l'année passée dans le cadre des conversations virtuelles. Hate de lire son nouveau roman!

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  • Dominique Jouanne le 05/01/2016 à 14h36

    Je n'ai pas lu le livre de Philippe Besson mais inévitablement le thème me rappelle une très belle lecture "Souviens-toi de Lisbonne" écrit par le talentueux Olivier Frebourg...

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