Dans ce recueil de 13 nouvelles, la jeune autrice mexicaine frappe fort mais juste
« Peau de sang », ce titre énigmatique, qui nous renvoie au conte « Peau d’âne », en a les accents parfois, mais creuse plus profond dans le mystère de la féminité.
L’héroïne d’Audrée Wilhemy est une plumeuse. Elle vit seul dans sa plumerie où elle plume et éviscère les oies sauvages. Pour ce travail sanglant, elle porte plusieurs tabliers qu’elle ôte le soir venu lorsque qu’elle endosse son rôle de putain.
« Je retire mes tabliers
- Le premier protège le second
- le second couvre le troisième
le troisième, long du col aux chevilles, dissimule l’ombre rouille de ma jupe. »
Ce rituel se répète, comme dans un conte, mais un conte cruel qui finit mal.
L’intrigue se déroule dans un village isolé, un pays de neige et de froid. C’est un temps ancien, le temps des superstitions, de la violence des hommes et du patriarcat. Le destin des jeunes filles est le mariage et la maternité, sauf pour Peau de sang qui déroge à toutes les règles. Crainte, désirée ou détestée, son rôle est primordial dans le village. Le jour, tout en plumant les oies, elle reçoit les jeunes filles qui viennent broder leur trousseau et coudre la robe de leur vie de femme. C’est un rituel, cette robe terminée leur ouvrira les mystères de l’amour. Derrière les travaux d’aiguille s’apprennent aussi les secrets des corps et du sexe. Car Peau de sang connait bien des secrets sur ces choses-là et les transmet à ses oies blanches.
Le soir, elle devient la putain qui enlève ses jupons et son corsage derrière la vitrine de son échoppe. Dans la rue les hommes pleins de désir viennent mater la plumeuse tandis que leurs épouses, serrées dans leur corset, naviguent entre jalousie et désir, car la liberté sexuelle de la plumeuse les attire malgré la morale, et perturbe l’ordre établi.
« La ratoureuse, sa bouche, ses seins, le spectacle gratuit de ses robes, le soir… que j’aime l’hiver, quand la nuit tombe tôt et que l’excuse est facile, passer devant une vitrine, ça n’est pas méchant, même pas digne de mention. »
Car, comme dans les contes, la plumeuse a ses secrets comme cette malle qui contient jupons et robes magnifiques qu’elle revêt le soir pour séduire ses clients. Ces robes sont magiques, « elles s’ajustent aux plumeuses depuis l’aube des plumages. »
Les étoffes, brodées, les dentelles et les vêtements que cousent les femmes sont symboliques de la féminité, et ne sont pas réservés qu’aux femmes puisque Pierre, obsédé par la putain, l’habille de ses robes comme il le ferait d’une poupée.
L’originalité de ce roman, c’est qu’il est raconté tour à tour par chacun des personnages, et parfois leurs récits se croisent, comme une broderie minutieuse où chaque détail a son importance.
« …j’ai enfilé toutes les peaux du désir : tantôt espiègle, la femme-muraille, parfois géante qui tenait dans ses paumes des plumes minuscules et plus tard, fauve, assez pour qu’on m’en donne le nom, « ma fauve, fauvesse, mon enfauvée » : j’ai emprunté la robe noire des panthères et bondi, j’ai porté la jungle sur mon dos. »
L’écriture d’Audrée Wilhelmy est tout en finesse comme une broderie, sous laquelle sourd une grande violence. Pas de majuscules, pas de points, et des narrateurs qui changent sans arrêt, cela peut paraitre décousu (malgré les travaux d’aiguille) mais on est de plain-pied dans l’univers du conte où le réel se mêle à l’imaginaire sans frontières bien définies.
Tout est poésie et sensualité brutale dans ce roman empli de noirceur et de sauvagerie où la féminité, la sexualité sont au cœur de l’intrigue.
Ce roman magnifique m’a emportée et c’est un véritable coup de cœur.
lu dans le cadre du Grand prix des Lectrices Elle - catégorie fiction
Alors alors voilà un roman qui n'était pas du tout pour moi ! Ces cinq jours passés dessus ont été une épreuve... C'est vous dire !
Explication : on est ici face à une écriture ultra originale et poétique, pas de majuscules, de nombreux retours à la ligne, des insertions de paroles ou pensées au milieu du récit, un village étrange impossible à situer dans le temps et l'espace...
J'ai su immédiatement que ça ne le ferait pas, je me suis sentie bête toute ma lecture, me demandant qui parlait et pourquoi je n'arrivais pas à apprécier cette œuvre qui avait tant éblouie mes camarades co-jurées !
C'est une ambiance étrange et dérangeante, car la protagoniste travaille dans une plumerie, donc elle dépèce les cadavres de bêtes, tout en offrant son corps aux hommes du village, tout en formant les prochaines filles qui prendront sa place...
Je ne voudrais pas trop en dire, au risque de faire du tort à ce texte qui trouvera son public et envoûtera certaines personnes.
Bonjour, Juste pour ceux et celles qui ont apprécié l'oeuvre sur la couverture du livre: la personne qui a réalisé au fusain cette femme vue de dos s'appelle Marina HO. Vous pouvez retrouver ses oeuvres à la Galerie FELLI, 31, rue Saint-Paul 75004 Paris. Cordialement, Olivier
Lu dans le cadre du Grand Prix de Elle
En ouvrant ce livre j’ai tout d’abord été déconcertée par le style puis je me suis laissée embarquer dans cette histoire poétique. Elle se déroule à Kangop au Canada où se côtoient deux communautés : la bourgeoisie dans le haut Kangop et les plus pauvres dans le bas Kangop. Les deux fréquentent Peau-de-sang la plumeuse et prostituée qui vit dans le bas Kangop. C’est une femme libre, objet du fantasme des hommes qu’elle accueille dans son lit tout en gardant farouchement sa liberté et refusant d’épouser le médecin. Elle plume les oies pour le duvet de l’usine, dépèce les animaux de la chasse et effectue de merveilleux travaux de broderie à base de plumes ou de cheveux prélevés en paiement. Son rôle auprès des femmes est également très important. Les jeunes filles viennent la voir pour une aide à broder leurs trousseaux, elle leur apprend à manier l’aiguille mais aussi à découvrir les replis secrets de leurs corps. Elle fait également découvrir de nouveaux plaisirs aux femmes mariées qui deviennent ensuite exigeantes auprès de leurs époux.
Bien sûr tout ça ne peut pas bien finir !
Difficile de parler de ce livre, en me relisant je me rends compte que mes mots sont très plats face à la force et à la poésie de ce livre. Je sais qu’il ne fera pas l’unanimité, mais si on monte à bord, le voyage sera merveilleux.
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