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La forêt primordiale

Couverture du livre « La forêt primordiale » de Bernard Boisson aux éditions Apogee
  • Date de parution :
  • Editeur : Apogee
  • EAN : 9782843983139
  • Série : (-)
  • Support : Papier
Résumé:

Il est un seuil parfois plus invisible qu'une lisière, peut-être le seuil le plus intérieur de toute forêt : celui où disparaît une nature encore familière, et ou commence celle qui revêt la dimension de l'Ailleurs. C'est lors de ce franchissement que très spontanément, nous venons à dire « oui... Voir plus

Il est un seuil parfois plus invisible qu'une lisière, peut-être le seuil le plus intérieur de toute forêt : celui où disparaît une nature encore familière, et ou commence celle qui revêt la dimension de l'Ailleurs. C'est lors de ce franchissement que très spontanément, nous venons à dire « oui ! c'est là ! ».
Désormais notre voix devient plus basse, nos échanges plus laconiques jusqu'à se dissimuler dans le silence de l'écoute.
Si nous entrons dans cette vieille forêt naturelle seulement avec un regard, il se peut qu'à l'inverse nous en ressortions avec une vision.
Effectivement en ces terres perdues, nous pouvons dépasser la seule disposition à voir pour nous retrouver dans cette impression d'entendre intérieurement ce que nous voyons ! Notre regard devient habité par tout ce qui vit. Il n y a pas que notre vue ; tous nos sens s'intériorisent, se recueillent pareillement. La résonance du lieu incise nos perceptions. Dès lors, nous sommes troublés de découvrir qu'un monde aussi étranger à nous-mêmes puisse autant vibrer dans l'inconnu de notre intimité ! Une sensation plus vive d'exister nous envahit graduellement et nous déborde. L'impression de reprendre connaissance nous conquiert. C'est comme si l'éveil extirpait de nous un oubli qui outrepasse la seule mémoire de notre existence...
Plus tard, nous viendra l'envie de partager cette expérience comme pour cautériser l'exil qu'un tel accroissement de sensibilité a inopinément engendré, mais voilà, les mots nous manquent pour formuler un tel vécu. Nous ne sommes pas habitués à utiliser notre langage pour témoigner de tels instants, et quand bien même puissions-nous y parvenir, n'avons nous pas l'impression dérisoire de décrire à autrui une symphonie qu'il n'a pas entendu ? Oui, les mots ne semblent être que des assemblages de lettres quand nous voulons communiquer l'essence première du monde !
Ainsi, peut-être nos éveils à l'essentiel se dérobent-ils aussi vite de notre vie que nos rêves au sortir du sommeil, sans doute parce que nous restons faibles pour les reconnaître ; souvent parce que nous nous sentons impuissants à les formuler, et plus encore parce que nous ne savons pas inventer un art de vivre pour ne pas perdre « l'âme de ce que nous avons vécu ».
Comment dès lors revenir vers le monde des machines et de l'humanité machinale en communiquant à nos semblables ce choc intime avec l'univers sauvage ?
Peut-être, l'enjeu inconsciemment pressenti de cette découverte conditionnera ce que nous nous autorisons à vivre et mûrir réellement.
Notre expérience sera toujours à la mesure de nous-mêmes, de notre sensibilité, de notre force vitale, de notre courage...

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