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Un tel manifeste en faveur de l'abstention serait aujourd'hui impensable. Pour autant, il ne cherche point à favoriser le désengagement mais à dénoncer la mystification du système électoral qui pare de la légitimité du vote les extorsions des puissants. Selon Mirbeau, les institutions demandent à l'électeur son aval pour l'abêtir. Or, Mirbeau le prend à partie sur l'absurdité de sa contribution au grotesque spectacle de sa quête aux suffrages.
Avec humour et dérision, il attente à la respectabilité des institutions, dénonce «la protection aux grands, l'écrasement aux petits». Sans visée utopique, cette critique radicale nous lègue les armes capables de nous défaire du conditionnement qui annihile le plus faible ; une vision juste, qui nous dérange encore plus de 120 ans plus tard !
Pour ma première visite à la toute nouvelle librairie de ma commune (Librairie Lise&moi à Vertou), je furète, je regarde partout pour voir les livres que ces dames présentent, et, en toute fin de parcours, je tombe sur le présentoir des éditions Allia qui ont la bonne idée de publier des textes anciens et des textes nouveaux. La grève des électeurs trônait à côté du livre de Paul Lafargue lu l'été dernier, vraie trouvaille, quasiment une Bible, Le droit à la paresse. Les dernières élections auxquelles nous avons participé ayant eu peu de succès (plus de 50% d'abstention aux élections européennes) et s'étant conclues sur la première place du FN, ce petit livre ne pouvait que rejoindre ma poche (après l'avoir payé bien sûr ainsi qu'un autre de la même collection, récent et même un en plus en cadeau, et après une petite discussion avec les charmantes bibliothécaires qui bien sûr auront l'honneur -oui, j'me la pète un peu- de me revoir régulièrement ; lorsqu'on a la chance d'avoir une librairie près de chez soi, on fait tout pour qu'elle vive).
Octave Mirbeau part du principe que les élections ne changeront pas le système politique bourgeois en vigueur à son époque, qui a bien sûr beaucoup changé, puisque de nos jours nos dirigeants ne se cooptent pas, ne font pas de préférence pour leurs petits copains ou membres de leurs familles... C'est pure perfidie de ma part, car je suis très loin du "tous pourris" que je ne supporte pas, je persiste à penser que la grosse majorité de nos élus est honnête mais que quelques uns, pas les plus nombreux, n'hésitent pas à piquer dans la caisse ou à opérer diverses malversations ou préférences douteuses, mais que comme ils sont mis en ouverture de tous les journaux, ils pourrissent l'entièreté de la classe politique. Mais peut-être suis-je naïf ?
Octave Mirbeau se dit donc que si les élections ne servent à rien, l'électeur doit faire la grève pour protester contre l'exploitation faite de son vote. Il s'étonne même qu'il puisse y avoir encore un électeur en France : "Une chose m'étonne prodigieusement -j'oserai dire qu'elle me stupéfie- c'est qu'à l'heure scientifique où j'écris, après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France (comme ils disent à la Commission du budget) un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu'un ou de quelque chose..." (p.7). En bon pamphlétaire et en bon anarchiste et libertaire, il peut se montrer virulent voire violent : "Les moutons vont à l'abattoir, ils ne disent rien, eux, et ils n'espèrent rien. Mais, du moins, ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l'électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des révolutions pour conquérir ce droit." (p.13)
C'est un texte que je me prends dans la figure, moi qui dis partout qu'il faut aller voter que l'abstention favorise la montée des extrêmes -notamment l'extrême droite qui ne progresse pas en nombre de voix, mais en pourcentage dès lors que le taux de participation baisse. Mathématique !- ; d'ailleurs, Cécile Rivière tempère les propos de Mirbeau dans ce sens, avec néanmoins une ironie, que personnellement, je trouve de mauvais aloi, toujours persuadé que ceux qui feront la grève des votes ne sont pas ceux qui votent FN ; ceux-là iront toujours et si les "déserteurs d'isoloirs" sont de plus en plus nombreux, la porte est grande ouverte à des gens capables du pire politiquement, économiquement et humainement : "A chaque élection, tombe le chiffre des moutons noirs dont chacun est convaincu qu'il n'est pas assez conséquent pour porter sérieusement atteinte à la santé démocratique de notre République. Exception faite des épisodiques percées de l'extrême droite, entièrement imputables à l'incurie des déserteurs d'isoloirs, qui se résolvent, à grand renfort de sermons médiatiques, par des plébiscites dont chaque électeur, ramené au bercail de l'exercice de sa pleine souveraineté, pourra se féliciter." (p.36)
Des textes qui me hérissent le poil, avec lesquels je ne peux pas être en accord, mais qui ont le mérite de pointer, 125 ans après avoir été écrits, une réalité très actuelle, un monde politique qui vit depuis très longtemps sans vraiment s'occuper de ceux qui l'élisent et qui, proche du gouffre continue quand même à avancer sans se poser de questions sûr de détenir la vérité.
Conclusion : Lisez Octave Mirbeau, parce que ça décape, c'est vachement bien troussé et ça fait se poser des questions, mais allez voter !
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