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Le maccarthysme a beau déferler sur l'Amérique au tournant des années cinquante, Ira Ringold se croit à l'abri de la chasse aux sorcières. Non seulement parce que son appartenance au Parti communiste est ignorée même de ses amis, mais surtout parce que l'enfant des quartiers pauvres de Newark, l'ancien terrassier au lourd passé, s'est réinventé en Iron Linn, vedette de la radio, idéale réincarnation de Lincoln, et heureux époux de Eve Frame, ex-star du muet. Mais c'est compter sans la pression du pouvoir, sans les aléas du désir et de la jalousie, sans la part d'ombre que cachent les êtres les plus chers. Car si Ira a changé d'identité, Eve elle-même a quelque chose à cacher. Et lorsqu'une politique dévoyée contamine jusqu'à la sphère intime, les masques tombent et la trahison affecte, au-delà d'un couple, une société tout entière. Ne reste alors aux témoins impuissants, le frère d'Ira et son disciple fervent, le jeune Nathan Zuckerman, qu'à garder en mémoire ces trajectoires brisées, avant enfin, au soir de leur vie, de faire toute la lumière sur une page infâme de l'Amérique.À l'instar de Pastorale américaine, J'ai épousé un communiste rend justice à ces individus détruits par la tourmente des événements et décrit avec une rare puissance comment l'Histoire ébranle la trame même de nos existences.
Il y a, dans ce roman formidable, quelques pages essentielles et brillantes (302, 303, 308 et 309 dans la version folio) qui constituent une mise en pièces définitive de la littérature propagande qu’on appelait jadis « engagée ». Nombre de petites et éphémères célébrités d’aujourd’hui gagneraient à les lire. Difficile d’en isoler quelques mots, essayons tout de même : « Battez-vous pour le mot. Pas le mot de haut vol, le mot exaltant, le mot pro ceci et anti cela ; pas le mot qui doit claironner aux gens respectables que vous êtes quelqu’un de formidable, d’admirable, de compatissant, qui prend le parti des exploités, des opprimés. Dès que vous commencez à prêcher, à prendre position, à considérer que votre point de vue est supérieur, en tant qu’artiste, vous êtes nul, nul et ridicule ! »… ou bien : « L’art comme arme ? L’art qui prendrait les positions qu’il faut sur tous les sujets ? Qui vous a dit que l’art est une affaire de slogans ? Comment peut-on être artiste et renoncer à la nuance ? Mais comment peut-on être politicien et admettre la nuance ? Rendre la nuance, telle est la tâche de l’artiste. Sa tâche est de ne pas simplifier. Même quand on choisit d’écrire avec un maximum de simplicité, à la Hemingway, la tâche demeure de faire passer la nuance, d’élucider la complication, et d’impliquer la contradiction. Non pas d’effacer la contradiction, de la nier, mais de voir où, à l’intérieur de ses termes, se situe l’être humain tourmenté. Laisser de la place au chaos, lui donner droit de cité. Autrement, on produit de la propagande, sinon pour un parti politique, un mouvement politique, du moins une propagande imbécile en faveur de la vie elle-même – la vie telle qu’elle aimerait se voir mise en publicité. »
Vous pensiez ouvrir un énième livre sur les « ravages du Maccarthysme », « une page infâme de l’Amérique », comme la quatrième de couverture vous le vend, mais l’auteur ne faisant pas de « propagande imbécile », vous découvrez Un Homme en Colère et une Femme sous Influence. Je sais que ça sent le cliché facile emprunté à des titres de films. J’avoue. Mais quoi, le personnage principal se prénomme Ira… (Vous n’avez jamais fait de latin ? Même pas un petit semestre ? Ira : colère). Il a beau se rebaptiser Iron, il n’en demeure pas moins perpétuellement en colère. Et la femme sous influence, c’est Eve Frame, vedette de cinéma et de radio, « en butte au chantage affectif de sa fille. »
L’Amérique de l’immédiat après-guerre, sur fond de guerre froide, d’espionnage soviétique, de guerre de Corée (toujours pas terminée soixante-cinq ans plus tard), de procès des Rosenberg et de chasse aux sorcières communistes sous la direction du sulfureux Mc Carthy, n’est que le décor dans lequel se jouent la vie, la réussite et la chute d’Ira Ringold, alias Iron Rinn, personnage aussi complexe et contradictoire que possible.
C’est toute la force de ce récit qui est autant une histoire d’amour qui a mal tourné, que la description du Newark des quartiers juifs et italiens, du Chicago des aciéries et des artistes d’Hollywood et de Broadway. Celle encore de la trajectoire d’O’Day communiste pur et dur, donc impitoyable, ou celle d’Ira dont la pureté va s’émousser au fil de la vie et de ses appétits. Celle du narrateur, jeune homme influencé par un professeur et par son frère qui l’initie aux réalités et aux mythes des luttes sociales. Celle d’Eve, cette vedette du cinéma muet, reconvertie à la radio et au théâtre, cultivée, distinguée, riche et belle qui s’éprend d’un prolo n’ayant jamais fréquenté l’école mais baraqué, bagarreur et beau parleur, toujours en colère contre l’injustice et le capitalisme à travers un discours stéréotypé qu’il martèle sans contradiction. Elle cite Emily Dickinson tandis qu’il récite les slogans du Parti, mais ils s’aiment, s’installent, se marient. Elle a une fille, une artiste qui joue de la harpe, qu’elle adore. Il découvre la vie de famille et les joies de la famille recomposée. C’est formidable, la famille recomposée, tout le monde s’aime, on se reçoit à la campagne, dans le jardin, au printemps ou en été, les petits oiseaux chantent, les fleurs abondent au bord de la terrasse, les enfants jouent joyeusement, tout le monde sourit, on est heureux. La vie rêvée, version série télé, famille d’aujourd’hui… Qu’écrivait donc Philip Roth à ce sujet ? « Une propagande imbécile en faveur de la vie elle-même – la vie telle qu’elle aimerait se voir mise en publicité ».
Pour Ira, Eve et Sylphid, disons, pour rester dans le ton général du roman, que c’est plus nuancé, beaucoup plus nuancé. Du nouveau mariage de sa mère, la harpie harpiste parle de « la Belle et la Bête ». Lui, pense utile : « Tant qu’il aurait à son bras l’une des têtes couronnées de la radio, il serait impossible à dénoncer et à virer. Elle allait protéger son mari et, par extension, la clique de communistes qui faisaient tourner son émission. » Quant à Eve, « Qui n’a pas un mariage raté ? Elle-même en a quatre. Mais pas question d’être comme tout le monde. C’est une vedette. Qui est cet acteur, Iron Rinn ? C’est moi, l’actrice. C’est moi qui ai un nom. Je ne suis pas cette faible femme à qui on peut faire toutes les misères qu’on veut. » Je n’en dis pas plus, l’intrigue va crescendo jusqu’à la fin que je vous laisse découvrir, et comme lorsque ça se produit chez des amis, il va vous être difficile de ne pas choisir son camp. Dans cette histoire, j’ai bien dit « dans cette histoire », bien obtus serait le lecteur qui en resterait à « une page infâme de l’Amérique ». Trouverez-vous le coupable ? Mc Carthy, le Capitalisme, le Communisme, Eve, Ira, Sylphid, ou même d’autres personnages qui jouent des rôles importants : Pamela, les Grant, O’Day.
Réfléchissez et, de grâce, travaillez dans la nuance ! Ce roman complexe, puissant, subtil et émouvant le mérite bien.
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