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Crier gare est un roman à trajectoires multiples qui se croisent et se décroisent au gré des lubies intimes de deux femmes (Nil et Marine) et d'un homme (Luc Armand). Tous trois semblent a priori destinés à suivre le cours d'une existence tranquille, sans drames ni extases d'exception. Et pourtant. Chacun d'eux a laissé se développer en son for intérieur une fêlure invisible, la secrète tentation d'une folie douce, si douce, trop douce justement. Nil, postière sans histoire, a en effet pris l'habitude de s'octroyer des temps morts, loin du guichet, pour aller errer dans les gares. Aucun train pourtant, ni voyageur à aller chercher. Que cherche t-elle sur ces quais bondés, puis soudain désertés ? Pourquoi revient-elle piétiner dans ces salles des pas perdus ? Pour se mettre en état de disponibilité à l'inconnu en général et pour (n')attendre personne en particulier. À ceci près que cette obsession sans but permettra à Nil, même très indirectement de rencontrer Luc Armand, un homme aussi errant qu'elle, mais à partir d'autres erreurs de parcours. Luc Armand, lui, aime fréquenter les cimetières et se joindre aux cortèges funèbres des endeuillés sans y avoir été convié, se créant ainsi d'éphémères familles d'emprunt. À l'image de la symétrie parfaite des papillons qu'il collectionne, il vit et possède tout en double, de sa/ses tasses de café jusqu'à sa/ses maîtresses, Nil en l'occurrence. Quant à Marine, la collègue de Nil au guichet de la Poste, elle s'est depuis trop longtemps laissée entraîner dans une liaison amoureuse hantée par la brutalité. Désormais, elle voudrait fuir le vertige de cet attachement au sens propre et figuré. Là encore, il ne s'agit pas d'une pulsion masochiste tape-à-l'oeil, dont l'auteur mettrait en scène le glamour inversé, mais d'une tentation contrarié et contrariante dont le texte nous fait subtilement partager la fragile ambivalence. Ces trois personnages se débatttent, ensemble et séparément, au coeur d'un monde qui ne leur renvoie que des signes, des indices, des imageries, comme autant d'échos à leurs désirs à la fois insatiables et très en retrait d'eux-mêmes. Et c'est là le vrai tour de force de ce roman que de nous introduire à la croisée des pulsions les plus morbides ou les plus avides de vie, sans se départir du calme trompeur qui habite les vrais fêlés, paumés, déglingués de notre quotidien. Et l'air de rien, en douce autant qu'en douceur, derrière les faux-semblants classiques de son récit, Hervé Gauville nous ouvre les yeux sur des gouffres, sous l'eau qui dort.
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