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[Interview] "Une maison d’édition ne peut pas tout publier si elle veut garder une identité"

Entretien avec Dominique Bourgois, directrice des éditions Christian Bourgois

[Interview] "Une maison d’édition ne peut pas tout publier si elle veut garder une identité"

Les éditions Christian Bourgois ont 50 ans cette année, l’occasion de revenir sur la trajectoire d’une maison d’édition qui impose une ligne éditoriale exigeante et généreuse, appuyée sur la détermination de son créateur, Christian Bourgois, pour qui l’amour de la littérature passait par la découverte de nouveaux textes et un lien étroit et respectueux avec l’auteur. L’époque, 1966, doutait de la pérennité de son projet, puisque les lecteurs, déjà, se détournaient de la littérature. Comme quoi l’antienne a la vie dure. Mais Christian Bourgois n’avait que faire des Cassandre à qui il a fini par donner tort : « Je me suis toujours fait une haute idée de la création artistique, qu’elle soit littéraire ou autre, et donc des créateurs. [...] Il faut aimer les artistes, penser qu’ils ont finalement toujours raison. C’est ma conviction profonde depuis que je fais ce métier, je ne crois pas qu’il y ait de petits et de grands artistes, de petites et de grandes œuvres ». 

Après sa disparition en 2007, sa femme, Dominique Bourgois, a repris la maison, dans la continuité des valeurs de son fondateur. A l’occasion de cet anniversaire et d’un grand jeu concours organisé pour nos lecteurs avec Christian Bourgois Editions, elle a eu la gentillesse de nous accorder ce long entretien.

- Comment définiriez-vous la ligne Bourgois ?
Je crois qu’elle se définit d’elle-même quand on regarde les auteurs du catalogue. Ce sont des écrivains qui vont bien ensemble, quelles que soient leur provenance. Cela ne veut pas dire qu’il y a une charte éditoriale figée, nous explorons par exemple de plus en plus des domaines littéraires nouveaux pour nous, comme les littératures sud-américaines, tout en maintenant notre fidélité à des auteurs français, comme Linda Lê et Jean-Christophe Bailly. Mais l’ensemble est cohérent, me semble-t-il.

 

- Des auteurs qui vont bien ensemble, c’est à dire ?
Une maison d’édition ne peut pas tout publier si elle veut garder une identité. Comment vous expliquer… Il y a des auteurs qui ne vont pas bien ensemble, qui seraient gênés de figurer côte à côte dans le même catalogue.

 

- Vous voulez dire que vous évitez les auteurs de bestsellers dont la fréquentation déplairaient à des auteurs plus élitistes ?
Ah pas du tout, cela n’a rien à voir avec le commercial ! Vous savez, je n’ai rien contre des auteurs comme Marc Levy ou Guillaume Musso qu’on critique souvent, je ne juge pas et ce n’est pas à ce niveau que les choses s’élaborent.  Mais si l’on veut garder une identité, elle ne peut pas être multiple. Et cela n’empêche pas d’avoir des bestsellers dans son catalogue ! Allez voir la manière dont un bon libraire compose ses tables. Vous verrez qu’il s’en dégage une cohérence, quels que soient les domaines choisis et les auteurs représentés.

 

- Le bestseller est-il compatible avec les exigences d’une maison qui revendique sa qualité ?
Nous publions des bestsellers qui répondent favorablement à votre question, je crois. Les livres de Toni Morrison se vendent très bien. Tolkien qui était un professeur de philologie a une œuvre très écrite, éminemment littéraire. Pessoa, c’est aussi de la grande littérature.  Les bestseller de Martin Suter sont très écrits, et très documentés. Encore une fois, je n’ai aucun mépris pour les bestsellers, surtout quand ils sont bien écrits.

 

- Christian Bourgois disparaît en 2007. Quelle ligne donnez-vous à la maison, et quel choix entre fidélité et renouveau ?
Je ne publie que des textes qui m’intéressent, c’est un principe de base. La publication d’un roman commence par une rencontre et s’enracine sur un désir mutuel de l’auteur et de l’éditeur. Etre publié sous une couverture éditoriale donnée n’est pas anodin, c’est un engagement de part et d’autre. Ensuite, le fonctionnement est habituel : des agents nous envoient des textes, ou nous recevons des manuscrits par la poste comme cela a été le cas avec le roman d’Antoine Mouton, Le Metteur en scène polonais, que nous avons publié à la rentrée littéraire 2015 et qui a été sélectionné pour le Prix Médicis et le Prix de l’Académie française.

 

- La production française n’est pas très représentée chez Christian Bourgois Editeur. Pourquoi ?
En effet, elle l’est peu pour le moment. Christian Bourgois s’était lassé de la littérature française, les textes étrangers le stimulaient davantage. La littérature contemporaine dans son ensemble m’intéresse, et particulièrement la française, et j’aime de plus en plus y chercher des auteurs.

 

- Qui aimez-vous particulièrement par exemple ?
Ah non, j’ai pour habitude de ne jamais citer d’auteurs, pour éviter de vexer tous les autres.

 

- Christian Bourgois disait "éditer c’est toujours éditer contre". Comment doit-on comprendre cette phrase ?
C’était une boutade ! "Editer c’est publier des livres dont personne n’a envie" a-t-il dit aussi. Il n’y avait pas dans ce propos une considération par rapport à un contexte intellectuel. En revanche, il était très conscient de la difficulté de trouver les lecteurs pour chaque roman. Publier un auteur, trouver des lecteurs est une grande responsabilité, et c’est aussi l’engagement premier qui lie l’éditeur à l’auteur, ne l’oublions pas.  Nous sommes une petite maison qui peut encore avoir ces exigences. Comme toutes les petites maisons, nous avons des contraintes très dures, mais aussi des libertés : alors quand on s’engage on s’engage. Editer contre, dans cette perspective, cela signifiait pour lui persister à aller contre les financiers toujours frileux, mais jamais contre les auteurs. Notre travail consiste à faire découvrir des textes différents, singuliers. Chaque livre est un challenge.

 

- La crise de la prescription médiatique a-t-elle des répercussions sur votre activité ?
L’édition fait partie des secteurs de l’offre, et la demande est ainsi contrainte par la presse et par le libraire. On ne décide pas tout seul de la façon de sortir un livre. Je vous donne un exemple : Venise est un poisson de Tiziano Scarpa, qui s’est très bien vendu, vous apprend autant de choses sur Venise qu’un guide culturel.  Certains libraires ont l’idée de le référencer en littérature et en tourisme, ce qui déploie la proposition de façon intéressante et permet de toucher un public plus large. Ce n’est pas le cas de tous, et nous ne pouvons pas influencer ces choix.

 

- La littérature étrangère, encore et toujours chez Bourgois. Comment dénichez-vous les textes dans un domaine très prisé des éditeurs depuis une dizaine d’années ?
C’est dur ! C’est une bataille où tous les coups sont malheureusement permis. Il y a parfois des enchères sur des textes intéressants et je ne peux pas en être. C’est compliqué, je ne vous le cache pas. Les choses ont changé depuis vingt ans. Il y a le rôle des agents qui est parfois compliqué à gérer, la compétition, les formats poche qui reprennent les droits, on a désormais plusieurs interlocuteurs. Les règles changent. Et comme dans tout changement, il y a du bon et du moins bon. Néanmoins, le travail que nous faisons sur chaque livre et notre fidélité aux auteurs comptent pour beaucoup dans l’image de marque de la maison.

 

- Christian Bourgois Editeur a donc 50 ans. Quelle suite pour les 50 prochaines années ?
J’aimerais continuer à faire découvrir des auteurs et des littératures, j’aimerais aussi que la librairie indépendante se renforce et que des jeunes libraires passionnés qui connaissent le fonds continuent à émerger. Comme tous les acteurs du livre, je ferai ma part pour que le métier garde sa qualité, et que les réseaux de distribution ne nous échappent pas trop. C’est un désir pragmatique, mais les éditeurs ont forcément une vision politique de leur métier. Et j’aimerais aussi que les enfants apprennent à lire. Le mieux possible et dans tous les sens du terme.

 

- Etes vous pessimiste pour l’avenir du livre ?
Je suis plutôt optimiste et militante. Pourquoi céder à la morosité ? Il y a des bibliothécaires et des libraires qui font un travail formidable et le public ne s’y trompe pas. Regardez comment Virgin, qui était une remarquable librairie sur les Champs Elysées a périclité pour fermer dès lors que leur exigence a baissé. La librairie indépendante a repris le dessus, et fait de nouveau un travail face aux menaces de grosses multinationales qui veulent mettre la main sur la distribution culturelle. Et puis on trouve aussi des blogs prescripteurs, faits par de vrais lecteurs, des groupes de lecture. Parlons aussi de tous ces festivals littéraires qui essaiment en France et les centaines de milliers de gens qui les fréquentent. C’est une manière de résister et d’être ensemble. Le livre est un grand facteur de sociabilité et l’on sent ce désir chez les gens particulièrement depuis quelques temps. Ca veut dire que les gens ont besoin de sociabilité. Je ne suis pas naïve, il y a des signes très encourageants, vous savez.

Propos recueillis par Karine Papillaud

 

A suivre également, la soirée spéciale donnée au théâtre de l’odéon en février 2016 à l’occasion du cinquantenaire, retransmise sur France Culture,
avec les textes de Jean Christophe Bailly, Luc Bondy, Alfred Brendel, Annie Dillard, Allen Ginsberg, Witold Gombrowicz, António Lobo Antunes, Fernando Pessoa, Stanislas Rodanski.

 

Avec les éditions Christian Bourgois, on aime, on vous fait gagner !

En partenariat avec les éditions Christian Bourgois, nous vous proposons de gagner 2 exemplaires de :

Montecristo de Martin Suter, Délivrances de Toni Morrison, Le seigneur des anneaux tome 2 nouvelle traduction de J.R.R Tolkien,

Et de gagner un exemplaire de Compact : en marge ; la route du retour ; de…   de Jim Harrison.

En échange de votre avis sur la fiche du livre.
Pour participer, c'est tout simple ! Dites-nous en commentaire pourquoi vous voulez le lire ! Ensuite, nous attendons votre avis sur la fiche du livre.

Bravo à Christian Laurent qui gagne le roman « Montecristo » de Martin Suter, à Michèle FINANCE qui gagne le compact de Jim Harisson , à Kim Blue et Eléonore Duchateau qui gagnent le roman de Toni Morisson. Un mail va vous êtes envoyé pour vous demander vos coordonnées, n’oubliez pas que nous attendons votre avis sur la fiche des livres ! Très bonne lecture à tous.

 

 

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Commentaires (8)

  • Christian Laurent le 04/05/2016 à 11h32

    Bonjour et tout d'abord un grand merci ! À la fois pour cette entretien avec la directrice des éditions Christian Bourgois sans lesquels bon nombre de grands auteurs étrangers n'auraient pas été traduits en France, et merci aussi pour ce concours ! Il y a plus deux livres en particulier qui me tentent énormément : le premier, c'est le "Compact" qui regroupe trois textes de Jim Harrison et les deux raisons principales qui font que j'ai envie de le lire sont : tout d'abord, alors que ce grand écrivain vient de décéder récemment et que cela fait des années que j'en entends parler, je n'ai malheureusement encore jamais lu aucun de ses romans ! Or, si je veux rattraper ce retard, c'est aussi parce que Harrison est un des grands noms de la littérature américaine des grands espaces, de l'Amérique rurale, un genre que j'affectionne tout particulièrement. Voilà pourquoi il est impératif que je le découvre enfin... mieux vaut tard que jamais ! Sinon, un deuxième livre m'intéresse tout particulièrement dans le choix que vous proposez : il s'agit de Montecristo de Martin Suter. Là encore un auteur dont j'entends beaucoup parler depuis des années et que j'ai envie de découvrir. J'aime le fait qu'il soit "hors frontières" ou "hors catégories" en littérature, et que bon nombre de ses romans soient aussi des romans noirs ( je suis fan de romans noirs !), tout en ayant visiblement aussi cette touche supplémentaire qui fait qu'ils tendent aussi parfois vers l'étrange. Or, j'ai lu et entendu de nombreuses chroniques très enthousiastes à propos de son Montecristo qui m'ont ainsi donné une raison supplémentaire de le lire. J'espère donc que, grâce à ce concours, je pourrais enfin découvrir l'un de ces deux grands auteurs à côté desquels je suis passé depuis trop longtemps ! Merci encore !

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  • Isabelle Quella-Guyot le 02/05/2016 à 23h15

    J'ai lu avec beaucoup de plaisir , il y a quelques années Légendes d'automne et j'ai beaucoup apprécié l'univers décrit. Et puis la vie m'a fait lire pour le travail d'autres romans. Et j'ai redecouvert Tony Morrison...il y a peu.... pour évoquer son décès. J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt l'interview de François Busnel et ...je trouve qu'il serait temps pour moi de combler mes lacunes livresques en approfondissant ma connaissance de cet auteur. Alors merci de m'y aider!

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  • ANNEMARIEGABRIEL le 02/05/2016 à 21h21

    merci à lecteurs.com et aux Editions Bourgeois de nous faire découvrir les dessous de cette maison d'Edition. Je découvrirais et chroniquerais avec plaisir le livre de Jim Harrison qui est un monument dans la littérature américaine.

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  • annie-france belaval le 02/05/2016 à 20h19

    Bon anniversaire aux édtions Bourgois, merci à l'épouse de continuer le travail de son mari. J'apprécie l'exigence de la ligne éditoriale et suis touchée par la reconnaissance des librairies indépendantes...C'est un livre de Jim Harrison qui me ferait le plus plaisir, son décès récent m'a fait prendre conscience que je n'avais pas lu assez de livres de lui...

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  • Vincent Guibert le 02/05/2016 à 19h12

    Je souhaite une bonne continuation et bon vent à la maison des Editions Christian Bourgois. Je ne connais pas bien ces éditions et serait heureux de les découvrir à l'occasion et de faire partager mes impressions de lecture sur le site Lecteurs.com

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  • Vincent Guibert le 02/05/2016 à 19h12

    Je souhaite une bonne continuation et bon vent à la maison des Editions Christian Bourgois. Je ne connais pas bien ces éditions et serait heureux de les découvrir à l'occasion et de faire partager mes impressions de lecture sur le site Lecteurs.com

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  • Kim Blue le 01/05/2016 à 21h11

    Je ne connais pas Toni Morrison, son texte à l'air de d'écrire une histoire douloureuse de femme avec son passé et des personnages complexes. J'ai regardé la façon dont l'auteur se décrit dans la fiche et je trouverai intéressant de lire son ouvrage et d'écrire un avis.

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  • silencieuse le 27/04/2016 à 09h09

    Jim Harrison m'a permis à un moment donné de ma vie de remettre en place mes sentiments et de mieux comprendre le monde qui m'entourait. Dalva a été pour moi une véritable révélation. J'ai compris grâce à cet écrivain exceptionnel que nous pouvions vivre plusieurs vies en parallèle et qu'il était essentiel de prendre du recul pour mieux l'assumer. Voilà pourquoi je serais ravie de lire ce texte de Jim Harrison.

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