Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
Née au Sud Vietnam en 1963, Linda Lê quitte en 1972 son pays pour la France où après des études à la Sorbonne elle publie de nombreux ouvrages principalement chez Christian Bourgois. En 2011, elle obtient le prix Renaudot pour A l’enfant que je n’aurai pas.
Dans un texte court, une soixantaine de pages, l’auteure nous livre une lettre dense, courageuse et belle qui s’apparente à une réflexion autobiographique. Elle déroule le cheminement personnel qui l’a conduite au refus de la maternité pour lui préférer la transmission.
L’enfantement serait pour la narratrice la meilleure des choses lui répète patiemment son compagnon S. Mais la narratrice préfère rester fille que devenir mère. Elevée par une mère puritaine « championne des valeurs bourgeoises » et un père « déclassé », elle craint de reproduire les défauts de sa mère. S. fantasme sa paternité. Cet idéal se heurte à celui de sa compagne incapable de se projeter dans des rituels d’une vie avec un bébé, craignant que son inspiration romanesque ne se tarisse. La mésentente dans le couple grandit. Après leur séparation, la narratrice sombre dans un état dépressif et reste convaincue qu’elle eût été une mauvaise mère, trop exigeante. Mais le fils qu’elle n’a pas eu finit, de façon immatérielle, par faire partie d’elle et elle agit de sorte que s’il avait existé, il eût été fier d’elle.
À l’enfant que je n’aurai pas est une lettre que Linda Lê a écrite à l’enfant qu’elle a décidé de ne pas concevoir. Elle fait partie de la collection Les affranchis de NiL : "Quand tout a été dit sans qu’il soit possible de tourner la page, écrire à l’autre devient la seule issue. Mais passer à l’acte est risqué. Ainsi, après avoir rédigé sa Lettre au père, Kafka avait préféré la ranger dans un tiroir. Écrire une lettre, une seule, c’est s’offrir le point final, s’affranchir d’une vieille histoire. La collection « Les Affranchis » fait donc cette demande à ses auteurs : « Écrivez la lettre que vous n’avez jamais écrite. »"
L’auteure nous offre son cheminement personnel, son enfance étouffée par une mère autoritaire, ses convictions intimes mises à mal par un homme, S., qui voulait avoir des enfants et qui a essayé de la convaincre très maladroitement, et parfois même avec agressivité et violence, lui jetant au visage qu’un thérapeute aurait pu la « purger de ses névroses » et qu’ainsi, elle aurait pu « triompher de ses infirmités », pour ensuite affirmer qu’elle était « un cas pathologique ».
Alors elle explique à cet enfant qui ne verra jamais le jour qu’elle n’aurait pas été capable de l’élever, de lui donner tout l’amour qu’il méritait puisque l’écriture prend toute la place. Elle écrit toute l’inattention à laquelle il a échappé. Et pourtant, à travers cette écriture, elle lui consacre du temps, elle le fait exister dans un imaginaire qui transpire la réalité. Elle a le courage de ne pas céder aux sirènes sociétales de la maternité. Elle a la liberté de décider ce qui est le mieux pour elle, et pour cet enfant, et elle s’y tient, malgré les bourrasques. Les injonctions du passé, le traumatisme d’autrefois sont trop présents, tout comme le besoin de s’exprimer par les mots.
Mais ce refus d’enfant, cette introspection sur elle-même, lui permettent d’avancer, de s’analyser, de se transcender.
« Tu m’éveilles à la pluralité des sensations, tu me libères de mes inhibitions ; je n’ai jamais eu la prudence de qui se ménage, et plus j’agis de manière que, si tu avais vu le jour, tu sois fier de moi, plus je déploie de l’opiniâtreté dans mes entreprises. »
Dans une plume sensible et sublime, cette autobiographie radiographie la féminité dans une société dans laquelle les ventres ronds sont presque un passage obligé pour la femme, et par conséquent quand elle s’y refuse, doit faire face aux sommations troublant l’intime. Un court récit qui résonne et qui libère.
Sur mon blog : https://ducalmelucette.wordpress.com/2020/04/10/lecture-a-lenfant-que-je-naurai-pas-de-linda-le/
« Je ne répondrais plus de rien « Une phrase répétée en leitmotiv par la mère de Linda Lê plusieurs mois avant son décès.
Comme une litanie, Linda Lê revient sans cesse autour de cette phrase en s’adressant à elle pour essayer d’en comprendre le sens.
Ce monologue psalmodié s’interroge sur l’amour, celui qui relie une mère à sa fille et l’inverse, et l’amour conjugal.
Les réflexions de Linda Lê s’orientent aussi vers ce père absent depuis sa plus jeune enfance. Elle le retrouve pour les obsèques. Étonnée par sa tristesse, Linda Lê est obligée de remettre en cause toutes ses certitudes sur les raisons de son départ et de sa double vie. Mais au delà de cette fuite, c’est aussi les raisons de l’acceptation de sa mère de cette désertion qui la laisse pensive.
La suite ici
https://vagabondageautourdesoi.com/2020/03/23/je-ne-repondrai-plus-jamais-de-rien-linda-le/
Amoureux de Kafka, sujet de sa thèse en cours, V. est né et a grandi au bord du lac Léman, élevé par ses parents vietnamiens en bon citoyen suisse. Du Vietnam, il ne connaît que des bribes, un pays aimé mais fui, une ville, Saïgon, véritable paradis sur terre jusqu'à l'arrivée de communistes, et une date, le 30 avril 1975, jour noir de la chute, du désespoir, de l'enfer. Mais aussi, une voix, celle d'une chanteuse aux mélodies sirupeuses et pourtant si troublantes, si nostalgiques que même lui l'écoute les larmes aux yeux. Pourtant, la femme a mauvaise réputation, elle dit incarner le Vietnam, elle représente la luxure aux yeux de ses compatriotes. Alors que V. pense à arrêter sa thèse, il erre dans un musée où il croise une photographie de la chanteuse, vieille beauté fanée qui tente encore de séduire. Subjugué, V. entame une relation épistolaire avec la photographe. D'origine vietnamienne elle aussi, elle lui raconte ce qu'elle sait de la diva qui essaie de relancer sa carrière en France après des années d'exil aux Etats-Unis. Elle lui parle aussi d'une maquisarde en exil parce qu'elle s'est élevée contre ceux avec qui elle avait combattu. Deux femmes qui représentent les deux faces du Vietnam, le yin et le yang, la sainte et la putain et auxquelles se rajoute une troisième qui aurait la beauté de l'une et l'intégrité de l'autre.V. se passionne, s'amourache même de la photographe parisienne et découvre son pays à travers ces trois tragiques destins.
Très bien écrit mais aussi très complexe, le dernier roman de Linda Lê est une exploration de ses racines vietnamiennes. A travers le portrait de ses héroïnes, elle dresse le portrait d'un pays déchiré et trahi. La chanteuse, sulfureuse mangeuse d'hommes, liée au Viet Cong et aux américains, véhicule encore auprès des exilés l'image d'un Vietnam idyllique et idéalisée tandis qu'ils se détournent de la maquisarde qui a cru agir pour le peuple avant de se rendre compte des abus commis par les siens et de l'instauration d'un état totalitaire et liberticide. Mais l'auteure a aussi voulu évoquer la deuxième génération, ces enfants nés en exil dont V. est un représentant emblématique. Elevé en Suisse comme un suisse par des parents nostalgique d'un pays qui n'existe plus, il a grandi sans se penser vietnamien. Il ne s'est jamais intéressé à ce pays lointain et inconnu et quand il a commencé à le faire c'est tout naturellement en se rebellant contre ses parents, en épousant un idéal communiste à l'opposé de leurs convictions. Sa rencontre virtuelle avec la photographe lui ouvre de nouvelles perspectives et lui fait connaître un autre Vietnam. Grâce aux figures féminines qu'elle lui présente, il découvre les multiples facettes du pays de ses ancêtres, le mélange d'une langueur érotique et d'une force combattante.
Un roman ardu mais d'une beauté magnétique, à l'image de cette chanteuse qui l'illumine et l'obscurcit tout à la fois par sa force d'attraction et sa part vénéneuse. A découvrir.
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