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«Jeanne- Messire saint Michel! sainte Marguerite! sainte Catherine! vous avez beau être muets maintenant, je ne suis née que du jour où vous m'avez parlé. Je n'ai vécu que du jour où j'ai fait ce que vous m'avez dit de faire, à cheval, une épée à la main! C'est celle-là, ce n'est que celle-là, Jeanne! Pas l'autre, qui va bouffir, blêmir et radoter dans son couvent - ou bien trouver son petit confort - délivrée... Pas l'autre qui va s'habituer à vivre...»
Cette pièce, comme probablement tout ce qu’a écrit Anouilh, est d’une redoutable modernité. Je l’avais lue il y a quelques années, et lorsque j’ai décidé de la chroniquer, il m’a semblé utile et logique de la relire. Et j’y trouve des réflexions qui m’avaient échappé alors mais qui sont confondantes d’actualité. Mais également d’une immense drôlerie – à la limite de la farce, si j’ose. Ainsi, au tout démarrage de la pièce, avant que le procès débute, Warwick est pressé de pouvoir brûler « sa » Pucelle. Le décorum l’ennuie, devoir subir le retour sur l’ensemble de l’histoire lui semble superflu, et il l’explique en des termes qui conviendraient parfaitement aux plus récents tenants de la Realpolitik :
« La belle armure blanche, l’étendard, la tendre et dure vierge guerrière, c’est comme cela qu’on lui fera ses statues, plus tard, pour les nécessités d’une autre politique. Il n’est même pas exclu que nous lui en élevions une à Londres. J’ai l’air de plaisanter, Monseigneur, mais les intérêts profonds du Gouvernement de Sa Majesté peuvent être tels, dans quelques siècles… »
Mais l’abbé Cauchon ne lui laisse pas le choix. Il va devoir subir toute l’histoire, y compris l’ensemble des batailles dans lesquelles Jeanne a ridiculisé les anglais :
« Vous n’allez pas vous amuser à refaire toutes les batailles tout de même ? Orléans, Patay, Beaugency… ce serait extrêmement désagréable pour moi. »
Elles seront racontées, mais non rejouées, dit Cauchon, car « ils ne sont pas assez nombreux »…
Jeanne est alors invitée à raconter sa version de l’histoire, dans laquelle on retrouve son père, persuadé qu’elle ment sur ses « voix », parce qu’elle dissimule un amoureux ; Baudricourt, qu’elle convainc le premier de la suivre – au départ, il est surtout présenté comme un homme de pouvoir qui profite de sa position pour assouvir ses désirs avec de jolies jeunes filles. Jeanne lui retourne littéralement le cerveau.
Mais si cette pièce m’a autant marquée, c’est à cause de la discussion entre Jeanne et Charles. Celui-ci a peur de tout. Et Jeanne lui donne alors un remarquable conseil. Ne pas avoir peur, c’est être un imbécile – Jeanne donne à Charles l’exemple de M. de la Trémouille. Mais ce qui compte, c’est de ne pas montrer que l’on a peur. Et, sa cerise sur le gâteau, à Jeanne, c’est qu’elle fait en sorte d’avoir peur avant, ce qui lui permet de ne plus avoir peur pendant l’action.
À la fin du procès, Jeanne commence par céder aux pressions. Pour éviter le bûcher, elle se renie, mais revient finalement à sa version. Plutôt mourir que renoncer à ses valeurs !
Modernité, humour, intelligence et finesse. Voilà ce qu’il faut retenir de cette pièce, où l’on voit une innocente futée en remontrer à ceux qui incarnent un pouvoir brutal et insensible. Il serait évidemment absurde de vouloir faire des parallèles hasardeux, mais comment ne pas se dire que c’est finalement cela qui permet de garder l’espoir, dans notre société d’aujourd’hui ?
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