"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Des crimes de dingue, une romance qui débute, une nouvelle série qui pétille ! Un facteur mort de frousse et retrouvé, mobylette comprise, au sommet d'un arbre ? Un plombier qui s'écrase du haut d'un rez-de-chaussée ? Autant de crimes de dingue qui agitent la Vallée. Edwin vient d'arriver dans cet asile de fous, à ciel ouvert, créé par le docteur Meylaud. Encouragé par la très séduisante et très extravagante Valeria, Edwin va mener une folle enquête. Entre les délires des Monty Python et les gags de Tex Avery, La Vallée déploie un univers digne des meilleures séries TV, comme un épisode de How I met your mother à la sauce Cluedo.
Après « la Vallée des Crotales », « la Vallée des Dinosaures » ou « la Vallée des Masques », voici la Vallée Meylaud. Connaissez-vous « Nef des fous » ? Oui, le célèbre tableau de Jérôme Bosch, conservé au Louvre. La Vallée Meylaud part un peu du même principe. La seule différence est que, au lieu de confier les personnes différentes et marginales au gré du fleuve, les autorités les confinent dans une vallée, sous l'autorité médicale du professeur Meylaud, initiateur du projet thérapeutique (ou sécuritaire, selon les points de vue).
Edwin, le héros, a été envoyé par sa société pour ouvrir un bureau dans la vallée Meylaud. Très vite, il prend conscience de la concentration en un seul endroit de toutes les fantaisies, les névroses, voire les psychoses disponibles dans le DSM (400 différentes définitions des troubles mentaux.) L'endroit tient bien moins de l'hôpital psychiatrique que du vaste parc d'attractions, parcouru par des bus qui font du surplace et ne vont nulle part. Et les musées, ce sont les supermarchés où on ne trouve jamais ce que l'on cherche, mais bien un autre produit qui en a l'arrière-goût : du fromage de chèvre pour le café. Evidemment, pour certaines fêtes (l'anti-carnaval), on adopte les costumes / les déguisements de la normalité, de la vie en-dehors de la vallée. Et donc, la liberté étant totale, le positivisme règne en maître. du moins, on pourrait le croire. Mais tant de bonheur, de joie de vivre, de liberté, cela en gène certains. Au point de commettre des meurtres …
Comme John Ronald Reuel Tolkien, ou George Raymond Richard Martin, dans des genres différents, Pascal Forneri, le fils de Dick Rivers, est parvenu à construire un univers avec une telle cohérence interne, avec sa grammaire propre, qu'il en devient presque crédible. Pourquoi pas ? La vallée de « Les Rivières pourpres » reste le meilleur exemple de confinement, tout à fait plausible.
Mais ce monde décalé, aux couleurs acides, presque maniéristes, est truffé de citations, d'allusions et de références. Dans Jean-Pierre dit Synapsos, j'ai reconnu René Goscinny. Et le plombier ressemble très fort à l'acteur Boris Karloff, à moins que ce ne soit au Surfer d'argent. Sur la couverture, on se surprend à évoquer la belle Sylvia Kristel sur l'affiche d'Emmanuelle. le tout de prendre vie sous le crayon de Martin Trystram, si recherché pour son talent dans le monde de l'animation. La mise en page est d'ailleurs très cinématographique.
Reste le propos de ce premier tome. Il interroge clairement le concept de la folie, ou plutôt la définition de la maladie mentale. Au fil des siècles, l'enfermement a pris bien des formes : le bateau livré aux éléments naturels, l'exil (le Mat dans le jeu de tarots), puis la prison (genre Bicêtre), puis l'asile et, enfin, les expériences d'intégration (comme François Tosquelle à Saint-Alban-sur-Limagnole en Lozère). Et donc la question qui est posée, me semble-t-il, est la suivante : les êtres humains sont-ils faits pour vivre ensemble dans leur diversité ? Un humaniste répondrait que oui. Un pragmatique dirait que non, et encouragerait le communautarisme, issu de notre instinct grégaire. Comme Colette, j'aurais tendance à dire que les personnes se prétendant différentes sont souvent d'une normalité extrême (ce qui n'est pas péjoratif, loin s'en faut !) Autrement exprimé : le monde est saturé de personnes particulières (que d'autres qualifieraient de « bizarres ») qui se forcent à jouer le jeu social, à paraître normales. Si bien que la folie, comme l'écrivait déjà Érasme au XVIe siècle, serait on ne peut plus salutaire pour échapper à toute normalisation sociale, philosophique, voire esthétique. Alors qu'on reproche à chacun son individualisme, sa volonté de se distinguer comme celle d'un éternel adolescent, le monde et la société continuent à fonctionner par son uniformisation. Si un modèle culturel s'impose à tous (de Coca-cola à Facebook) alors qu'il prétend vous permettre l'expression totale de ce que vous êtes, n'est-ce pas absurde ?
De toute façon, Arthur Rimbaud ne l'avait-il déjà pas écrit : « Je est un autre » ?
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