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La rue était noire de jaune ; 500 slogans, tags, affiches, pancartes, dessins, photos, banderoles...

Couverture du livre « La rue était noire de jaune ; 500 slogans, tags, affiches, pancartes, dessins, photos, banderoles... » de  aux éditions Croquant
  • Date de parution :
  • Editeur : Croquant
  • EAN : 9782365122313
  • Série : (-)
  • Support : Papier
Résumé:

Longtemps c'était la vie sous un couvercle de plomb. Mais sous le lourd manteau des routines, la colère courait en vagues souterraines. On n'entendait à peine ses brisures sur les falaises sans fin du monde de l'officialité. Tout juste ce frisson parfois à la surface des choses. Et de temps à... Voir plus

Longtemps c'était la vie sous un couvercle de plomb. Mais sous le lourd manteau des routines, la colère courait en vagues souterraines. On n'entendait à peine ses brisures sur les falaises sans fin du monde de l'officialité. Tout juste ce frisson parfois à la surface des choses. Et de temps à autres les médias domestiques évoquaient la «grogne« des animaux sociaux. Qu'ils étaient nuls et impuissants à rendre leur cause aussi fraîche et pimpante qu'une giclée de peur des musulmans, des impôts qui font fuir, ou des arnaques à la sécurité sociale. Ces salauds de pauvres, enfin appelés par leur nom de gens de «rien« selon le Président en personne, pouvaient bien mourir plus nombreux dans la rue que les ouvriers à leur poste de travail. Fallait-il pour autant engager la compétition des souffrances avec les gosses qui naissent sans bras ou les guyanais qui boivent du mercure dans la rivière ? Tous ont donc préféré de longue main la méditation sur la course au trois pour cent maximum de déficit public comme bon sandwich pour nourrir l'appétit des zombies qui les écoutent d'habitude.
Soudain la terre a tremblé. Une terrible déchirure a partagé le sol ferme. Une lave brûlante a jailli.
Voici pendant dix neuf semaines sans pause «Jojo le gilet jaune« à égalité avec les ministres et les députés. Et même avec les journalistes ! «Vous n'êtes pas un vrai gilet jaune« glapit une star des people-tronc de la télé. Celui-là trouvait son interlocuteur trop intelligent pour être du peuple. «Vous n'êtes pas un vrai journaliste« réplique sans hésiter le supposé pithécanthrope.
Ah belles gens que vous avez peur ! Elle vous affole «la foule haineuse« dénoncée par le président-enfant-roi pour ses voeux de robot en quasi panne de batterie. Grossiers personnages que le volcan a craché dans vos jardins à la française. Quoi ! Repeinte par vos soins en antisémite, homophobe, violente et pillarde, «la grogne« se moqua comme d'une guigne de vos rayons paralysants traditionnels. Rien n'y fit. Rien n'y fait.
Ces hordes continuent à défiler dans vos quartiers. Parfois un de vos restaurants prend feu dans les tirs croisés de grenades et de fumigènes. Abomination ! «Qu'est devenue la France ?« pleurez-vous dans vos mouchoirs en soie, en vous tordant les mains de désespoir! Chaque jour où les rustres tiennent la rue vous humilie. Comme celui où l'ONU classa notre pays entre Haïti et le Venezuela pour ce qui est du respect des opposants. «Nooooon, pas le Venezuela !« Vous hurlez de douleur ! Vous avez tant insulté le Venezuela. Vous y voici assimilés ! Quelle délicieuse humiliation vous est infligée. Comme un de ces coups de fouets sur les opposants que donnent vos amis d'Arabie saoudite. Quelle énorme farce quand ce journaliste dénonce sur un plateau de télé mes manigances avec l'ONU et le Venezuela pour obtenir de Michèle Bachelet la condamnation de la France pour ses méthodes de répression sauvage. L'info de ce déshonneur cingle comme de l'eau froide sur des pierres chaudes. Hurlements des premiers rangs ! BHL propose l'invasion de l'ONU. Ou d'un autre pays arabe, à titre de compensation. Pourtant, rien n'y fait ! Tout le monde s'en fout ! L'autorité de tout le clergé macroniste est égale à zéro ! Les importants se montent le bourrichon entre eux, sans aucune conséquence sur la troupe. La masse. Le grand nombre des «gens qui ne sont rien«. Tout le monde s'en fout, seigneurs et gentes dames de la haute. De vous, de vos leçons de morale, de vos indignations à géométrie variable. Vos éborgneurs, mutilateurs et juges à la chaîne meurtrissent dans le tas chaque semaine. En vain. Castaner et Belloubet sont devenus les bottes ferrées haïes des deux mille blessés, vingt-deux éborgnés, cinq amputés et les familles des douze morts de ces événements. Mais ils ne réussissent même pas à imposer la peur. Grand débat gros bla bla rien n'y fait ! Macron, parle à mon gilet jaune, mes oreilles sont bouchées.
Ecoute, à certaines heures le samedi, ce bruit terrible qui vient du cratère ! La terre s'est ouverte. Des lèvres de sa fracture montent des mots en grappe, comme des fumées venues de l'enfer des pauvres. C'est le rugissement du peuple ! Les mots volent à tire d'ailes de tous côtés. Leur vibration froisse l'air glacé du royaume de l'égoïsme. Semaine après semaine tout un discours, long et charpenté s'est déployé en suivant ces chemins improbables. Le voici formulé sur le dos des gilets jaunes, sur les affiches improvisées, sur les murs nus, au sol et dans les chansons. Je crois que c'est une première absolue. Ce livre y fait écho.
Quand et où, avant cela, a-t-on dit autant de choses ? Et de cette manière. Tout est nouveau dans cette insurrection. C'est d'abord cet acteur de l'histoire qu'aucune définition n'avait prévu. Ni prolétaire des usines, ni syndicaliste connu, ni camp politique bien découpé. Juste «le peuple«, celui qui a besoin pour survivre de ces réseaux collectifs que l'on retire de sous ses pas dans ces zones vidées de services, vidées de voisinage. Voici le visage blême des abandonnés à l'amertume d'un quotidien sans horizon ni humanité. Ces exilés de l'intérieur, en pleine ville ou au milieu des «zones pavillonnaires«, sur le palier de cet immeuble ou sous le porche de cet autre. Une France qui a faim. Qui ne se soigne pas. Qui ne sort jamais pour rien d'autre que le boulot rare et précaire ou les trajets millimétrés par la pompe à essence. Soyez maudits grands de la terre ! Un samedi après l'autre sans limite, sans calendrier, les canuts sont de retour. «Notre règne arrivera quand votre règne finira«. Un point c'est tout et d'ici là on ne lâche rien. Monstrueuse indifférence au temps. Le mouvement est son propre principal message. Alors, l'insurrection citoyenne est un moment de poésie politique. C'est-à-dire un surgissement, une création. Les strophes sont dans les cris, les slogans et les messages en papier en peintures, en graph, en chansons impertinentes («Benalla, Benalla, et même si vous ne voulez pas y a Benalla«) ou crânement grossières («Emmanuel Macron, oh tête de con...«). Tous brisent les murs, les interdits, les convenances, les résignations. Et ce chemin se fait en cheminant.
Jean-Luc Mélenchon

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