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Cette pièce sur Gilles de Rais constitue le troisième volet du travail qu'entreprend Enzo Cormann sur les grandes figures de l'excès. Il s'en explique ci-dessous :
« Il y a quelques années, suite à une commande du metteur en scène Philippe Adrien, j'ai consacré dix-huit mois à l'écriture d'une vaste pièce sur l'auteur des Cent vingt journées de Sodome : Sade, concerts d'enfer ... (Éditions de Minuit, 1989). Outre que cette approche théâtrale d'un sujet si constamment sollicité m'a permis de développer certains aspects très généralement négligés de la personnalité de Sade (en ce sens, le théâtre est aussi, très certainement, un outil de connaissance), la pièce elle-même, sa démesure, l'ampleur de la tâche, m'ont ouvert de nouvelles perspectives de création. D'une certaine manière, j'ai pu renouer en actes avec le désir très enfoui d'un théâtre décomplexé face à l'incommensurable, la presque indicible épopée intime, comme avec ma passion profonde pour les trajets de vie, la biographie, l'aventure singulière...
Sade, concert d'enfers inaugurait d'autre part un travail sur les grandes figures de l'excès. La création de mon poème dramatique, Mingus, Cuernavaca, avec un orchestre de jazz, en a constitué la deuxième étape.
En 1991, la proposition des metteurs en scène Hervé Tougeron et Dominique Colladant d'écrire une pièce sur les huit dernières années de la vie de Gilles de Rais, m'a fourni l'occasion - attendue - de poursuivre dans cette voie.
De même que l'histoire de D.A.F. de Sade se confond avec celle des Lumières, dont il a constitué l'explosif permanent contrepoint, de même encore que la biographie de Mingus coïncide avec celle du jazz moderne (de la naissance du bop à la mort du free), de même la vie de Gilles de Rais nous raconte-t-elle l'agonie du Moyen Âge. Compagnon d'armes de Jeanne d'Arc lors de la libération d'Orléans, élevé au rang de Maréchal, porteur de la sainte-fiole au sacre de Charles VII, le seigneur de Rais vécut en héros les ultimes sursauts d'une féodalité déchiquetée par la guerre de Cent Ans, ou plus exactement l'effondrement d'une certaine idée de la chevalerie, par, notamment, la réorganisation rationnelle et la centralisation à marche forcée du royaume de France.
La mort de Jeanne d'Arc, abandonnée aux inquisiteurs par Charles VII (qu'elle avait installé sur le trône), la disgrâce de La Trémoille, protecteur de Gilles, la nette chute des ardeurs guerrières, laissèrent pour compte ce chef de guerre que le bruit et la fureur des champs de bataille avaient longtemps sauvé de lui-même.
Comme le note Georges Bataille : « Dans la tragédie de Gilles de Rais, il y a eu d'abord un étouffement. (...) La tragédie eut lieu lorsque les conditions acquises, sur lesquelles reposait la vie des privilégiés, se dérobèrent. Ce dont le monde féodal avait vécu, se déroba. L'étouffement dont il s'agit tendit à devenir invivable. Au même moment, ses châteaux commencèrent à sentir la mort. » Et, plus loin, « Les crimes de Gilles de Rais sont ceux du monde où il les commit. Ce sont les mouvements convulsifs de ce monde qu'exposent ces gorges tranchées ».
Sauf à exhumer tel document inédit qui éclairerait le dossier sous un très nouveau jour, nul ne peut aujourd'hui prétendre à trancher sérieusement en faveur de l'innocence ou de la culpabilité de Gilles de Rais. Je tiens néanmoins que le désir compassionnel qui porte l'homme de théâtre à l'incarnation de ses semblables peut nous instruire en toute subjectivité de l'âme en peine de Tiffauges.
Le poème dramatique L'Apothéose secrète (qui fera l'objet d'une création sous forme d'oratorio), doit son titre à une expression de Robert Badinter évoquant la terrible fascination que la guillotine exerçait sur Buffet dans l'attente de son exécution.
Je l'ai écrit dans l'idée d'explorer le spectaculaire renversement de la figure de tueur d'enfants en celle de monstre sacré, soudain célébré par une foule à peine remise de l'effroyable inventaire d'horreurs dressé par le tribunal.
Chemin faisant j'ai rencontré ceci : si l'on en croit son disciple, le stylite Saint Syméon, atteint de la gangrène, ramassait la vermine tombée de ses jambes, et la replaçait sur sa chair en lui enjoignant de manger ce que Dieu lui avait donné.
En définitive, je ne crois pas avoir nourri d'autre ambition que de remettre, une fois encore, le ver dessus la plaie. » Enzo Cormann
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