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La nuit terrestre que Birgitta Trotzig, de livre en livre, fait se refermer toujours plus implacablement sur ses personnages, atteint ici une épaisseur qui donne au livre une dimension de cauchemar épique d'autant plus terrifiant qu'il ne cesse d'être lié aux choses les plus concrètes de la nature et de la vie, et qu'il nous est communiqué selon les règles narratives d'un strict réalisme. La misère matérielle, dans l'univers de Birgitta Trotzig, ne se distingue en rien du malheur métaphysique, de l'absence de Dieu. Et ce serait trop peu de dire que l'auteur affronte ici le problème du Mal : le Mal comme problème a ses rires, ses échappées heureuses, ses défis, son plaisir. Rien de tel dans ce livre, où le Mal, si Mal il y a (mais il n'est pas nommé), règne en maître absolu. Cette vaste parabole est inséparable du cadre où elle se déroule : ciel bas sur les terres plates des champs de betteraves argileux, haies de saules dans le blanc dégouttant de pluie, brume, maisons grises. La seule couleur vive est celle des flammes de la briqueterie et celle de la guerre, des ghettos et des villages incendiés. Nulle psychologie, nulle parole presque, nul dialogue ne relance le récit. Dans le mutisme général, gestes et regards traduisent seuls la «vie intérieure», qui se confond avec les cris muets de l'inconscient, la pensée larvaire du rêve, l'incompréhension, traversée de lueurs de pitié. C'est là sans doute la singularité la plus frappante de Birgitta Trotzig que son réalisme insistant, cruel, presque incommodant, atteigne comme sans la rechercher jamais la force poétique.
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