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Très belle illustration de couverture de la version française due à Florent Mulot qui donne envie d'entrer à l'hôtel Lebac. Et une fois entré, on n'est pas déçu par l'ambiance ni par les personnages qui y habitent. C'est un court et très beau roman qui raconte une époque révolue, celle des pensions de famille dans lesquelles se côtoyaient des gens très différents, des artistes, des solitaires, des fêtards, souvent pauvres... Je ne connais pas bien l'Uruguay, je sais que la dictature militaire arrivera une dizaine d'années plus tard pour presque quinze ans, Carlos Caillabet en sera une des nombreuses victimes puisqu'emprisonné de 1972 à 1985 pour activités au sein d'un mouvement d'extrême gauche.
Dans son roman, il raconte un pays libre, dans lequel un jeune homme apprend la vie au hasard de ses rencontres. Pas totalement insouciant parce que sa mère peine à payer la pension et trouver du travail, il a néanmoins des préoccupations d'adolescent. C'est avec beaucoup d'humour que Carlos Caillabet écrit ce roman d'initiation, un humour teinté de nostalgie et de gravité pour décrire sa génération -il est né en 1948- et celle de ses parents. Il met en exergue une citation de J.D. Salinger dans L'Attrape-cœurs, qui exprime assez bien ce que l'on ressent à la lecture, cette nostalgie des gens rencontrés qu'on ne voit plus : "Mieux vaut ne jamais raconter à personne. Dès lors que l'on commence à raconter, le monde entier se met à nous manquer." Et pourtant, ils racontent... pour notre plus grand plaisir
Montevideo, 1960. Tomy, 14 ans, et sa mère, sont obligés de quitter leur maison, faute de pouvoir payer le loyer. Ils ne comptent plus sur l’aide du père de Tomy, qui ne donne plus signe de vie depuis qu’il est parti chercher du travail en Argentine après avoir été viré de son emploi pour avoir participé à une grève. La mère de Tomy a vendu leurs meubles, et ils ont à présent tout juste de quoi tenir deux mois dans leur nouveau foyer, une pension de famille pompeusement nommée « Hôtel Lebac ». Ils y découvrent un petit univers dans lequel les autres pensionnaires sont, comme eux, à la limite de la précarité. Un couple de personnes âgées, deux étudiants en médecine, une infirmière militaire peu commode, un homme qui préfère vivre dans une pension que seul dans sa grande maison, et désormais Tomy et sa mère. Tous tentent de s’entendre plus ou moins cordialement, sous la houlette à peu près bienveillante de Mr Lebac, propriétaire des lieux, et usurier à ses heures perdues.
En dehors de ce microcosme contrasté, fait de solidarité, de frustrations, de mesquineries et de générosité, Tomy découvre également, au fil de ses escapades en ville avec son nouveau copain Julio, la « vraie » vie, en côtoyant, entre autres, une prostituée et un patron de bar adepte de paris clandestins.
Roman initiatique, « Hôtel Lebac » raconte une année dans la vie d’un adolescent en route vers l’âge adulte. Un passage qui n’est pas sans difficultés, fait d’arrachements et de désillusions. Mais heureusement pour lui, le Tomy de 14 ans ignore encore tout des heures sombres, économiques et politiques, dans lesquelles l’Uruguay va plonger quelques années plus tard. Le Tomy narrateur, par contre, qui écrit cette histoire bien après les événements, sait à quoi s’attendre, d’où la tonalité mélancolique du récit.
A la fois chronique sociale douce-amère et galerie de portraits savoureux, ce roman est tendre et lucide, très drôle par moments. La plume de Carlos Caillabet est toute en sobriété, simple mais addictive. Sous les auspices de J.D. Salinger et avec un clin d’oeil à John Fante et son double Arturo Bandini, « Hôtel Lebac » (le seul livre de l’auteur traduit en français, pour l’instant?) est une mélancolique mais belle découverte. « Je n’ai pas tardé à comprendre qu’il en serait tout autrement et que ce monde heureux, sûr et ordonné n’existe pas pour des gens comme ma mère et moi. Mais c’est une autre histoire que je raconterai peut-être un jour. Pas maintenant car, s’il y a bien une chose que j’ai apprise, c’est que dès lors qu’on commence à raconter, le monde entier se met à nous manquer – comme cela m’arrive quand je repense à ce monde, si petit et si grand, de l’Hôtel Lebac ».
Devenu journaliste après treize ans d’emprisonnement politique, l’Uruguayen Carlos Caillabet s’est lancé dans la littérature avec une série de trois romans centrés sur des adolescents découvrant la vie et ses vicissitudes dans la période qui a précédé la dictature militaire. Chaque volet de la trilogie met en scène un très jeune homme, issu d’un quartier chaque fois différent de la capitale Montevideo, au travers duquel l’on découvre le quotidien de la population au cours des années soixante, alors que la crise économique commence à déliter à son insu une société jusqu’ici citoyenne et pacifique.
Seul des trois romans aujourd’hui traduit en français, Hôtel Lebac clôt le triptyque mais se lit indépendamment sans problème. En 1960, alors que, licencié pour avoir fait grève, son père est parti chercher du travail en Argentine et ne donne plus signe de vie, Tomy et sa mère, privés de ressources, se voient contraints de quitter leur maison et de se rabattre sur une modeste pension de famille dans un quartier populaire de Montevideo. Soutenu par les encourageants commentaires du voisinage : « Quand on part, on meurt », « Vous allez y rester si vous déménagez », le garçon de quatorze ans qui n'avait « jamais imaginé un jour devenir pauvre » aborde cette épreuve avec angoisse, leur ancienne vie désormais toute entière contenue dans un sac et une valise, le minuscule pécule tiré de la vente de leurs possessions ne leur laissant que deux mois pour voir venir.
Déroulée sobrement au gré des souvenirs de Tomy, se retournant à l’âge adulte sur cet épisode de sa vie, aussi marquant pour lui que représentatif des tragiques mutations de la société uruguayenne à cette époque, la narration excelle à recréer le micromonde de la pension, fièrement baptisée « Hôtel Lebac » du nom de son imposant propriétaire, où les pensionnaires, qui ont tous connu des jours meilleurs, apprennent à cohabiter avec plus ou moins de bonheur. Si chacun donne soigneusement le change, personne n’est dupe : tous se savent sur l’étroit chemin de crête qui les sépare de l’abîme de la grande pauvreté, et, s’efforçant de n’en pas regarder le fond, s’évertuent par tous les moyens possibles de conserver un équilibre qu’ils n’auraient jamais imaginé devenir un jour aussi incertain.
Dans cet échantillon humain bigarré, nageant entre deux eaux dans une dangereuse précarité et souvent, bien malgré lui, à la lisière de l’interlope – usure, prostitution, paris clandestins – et de sa violence associée, finissent par se dessiner des personnalités croquées avec autant de tendresse que de férocité, en une galerie de portraits d’une singulière véracité démontrant que, dans ce climat menaçant, c’est uniquement sa solidarité qui préserve alors encore tant bien que mal cette frange fragilisée de la population.
Le journaliste engagé réussit ici en peu de pages un roman plus social que politique, qui, au travers du regard d’un adolescent découvrant le monde des adultes, nous montre les lézardes de la société uruguayenne des années soixante, préfigurant le basculement à venir du pays. C’est avec un serrement de coeur que l’on achève cette lecture sur l’écho de son épigraphe empruntée à J.D. Salinger : « Dès lors que l’on commence à raconter, le monde entier se met à nous manquer ». Car, l’on se doute bien que si, après en avoir eu si peur, le narrateur repense maintenant avec tant de nostalgie « à ce monde, si petit et si grand, de l’Hôtel Lebac », c’est bien parce que, à l’image du parcours de l’auteur, de bien plus terribles épreuves l’attendaient par la suite.
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