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Quelle est la nature des liens qui subsistent entre Français et Vietnamiens ? La période coloniale est close depuis longtemps, la guerre ayant ensanglanté ce pays est terminée depuis 1975, si l’on n’inclut que les guerres menées par les Français , puis les Américains . Dans un roman à la facture originale, Thuân, auteure vietnamienne conte le parcours d’une thésarde qui a étudié longuement à Paris, s’est liée avec un certain P. C’est la dénomination accordée à son amant français. Ce qui frappe d’emblée dans le récit, ce sont les liens familiaux décrits avec le père de la narratrice : un homme patriote qui décide de rentrer au Viêtnam après la victoire de 1975 : « De l’aéroport de Marignane, il se rendit à l’entreprise où il était ingénieur en mécanique, tenant en main son passeport de la république démocratique du Viêtnam. Ses collègues se jetèrent sur lui pour le prendre dans leurs bras et l’applaudir. « Le Viêtnam a gagné ! ».
Ce père exerce sur la narratrice une sorte de tutelle à distance, de surveillance discrète , lui demandant lors de chaque conversation téléphonique :quoi de neuf à Paris ?
Ce sont les descriptions des tempéraments respectifs des peuples français et vietnamien qui éclairent le lecteur sur la vision de la narratrice de son pays de résidence , la France : « Si le pessimisme est la maladie chronique des Français, l’optimisme est le plus grand point commun des Vietnamiens .Ils ont sont si fiers qu’ils ont mis au point pour l’espèce humaine un nouveau concept qu’ils ont baptisé « optimisme révolutionnaire », mais qu’au final eux seuls comprennent et célèbrent à l’unisson . »
La narratrice s’interroge, aussi sur le recul de l’influence française au Viêtnam, et plus particulièrement sur l’apprentissage de la langue, délaissée au profit de l’anglais, dont la possession et la maîtrise sont synonymes de réussite sociale reconnue. Une autre interrogation décisive pour la narratrice est exposée : quel est mon chez soi ? Paris, Saigon, Hanoi ? Au terme d’un long débat intérieur, notre thésarde vietnamienne se rend compte qu’elle n’aurait pas été prête à « sacrifier tous mes dimanches matin pour aller faire du jogging dans les bois avec lui. » Cet homme, c’est P., l’amant français. La réponse à cette question est négative, ce qui la décide à retourner au Viêtnam.
Roman original dans son approche, qui ne dédaigne pas égratigner les stéréotypes entretenus en France sur les femmes asiatiques, et éclaire d’un jour particulier les aspects de la vie du Viêtnam contemporain, pas celui des guerres, celui de la paix retrouvée, mais un Viêtnam sorti des imageries journalistiques, plus ancré dans le quotidien des choses.
Saïgon est tombée ou a été libérée (c’est selon le camp dans lequel on se trouvait) le 30 avril 1975. Avril est le quatrième mois de l’année et pour tous les Vietnamiens le mois d’avril reste marqué au fer rouge car comme l’écrit l’auteur « sache, lecteur, qu’en général, dans toutes les familles on trouve des vainqueurs et des vaincus ».
Commençons par évacuer le procédé littéraire de ce roman qui assène des 4 à chaque phrase, à chaque ligne, presqu’à chaque mot. Quatre pour avril d’accord ! Mais aussi quatre sortes de Vietnamiens (entre le nord et le sud du pays il y a 1650km soit 2,5 fois la distance entre Paris et Marseille) ceux du Nord qui y sont restés après la prise de pouvoir des communistes en 1954 et ceux du Sud, puis ceux du nord qui sont partis au sud en 1954 et enfin ceux du sud qui ont quitté le sud pour l’étranger avant ou juste après avril 1975.
« Elle dit qu’il y aura des 4, tellement de 4 que le lecteur en sera dégoûté. 4…comme le mois d’avril, celui de la guerre et de la victoire».
On peut dire que l’objectif est atteint, le lecteur non vietnamien que je suis (ce qui n’exclue pas un vif intérêt et une grande sympathie pour les malheureux habitants de ce pays martyrisé pour s’être trouvé sur la ligne brûlante de ce qu’on appelait la guerre froide) est effectivement victime d’une indigestion ad nauseam de 4, de 44 ou de 444 à tel point que le café des deux magots s’en trouve dédoublé.
Ce n’est pas une raison pour ne pas voir, ne pas lire, ne pas éprouver les sentiments des deux personnages principaux : Il (il n’a pas de nom, vit à Paris et a quitté le Vietnam à l’âge de 4 ans) et Ly-An…à la réflexion, ils ne sont pas deux mais quatre en ajoutant les deux sœurs Linh et Anh dont la destinée est, à elle seule, un résumé du martyre des Vietnamiens.
Ces sentiments sont forts : d’abord le malheur, terrible, imprescriptible, ravageur (« Elle voudrait lui dire qu’elle ne peut pas écrire de happy end ») fait de séparations, de reniements, de familles écartelées ; ensuite le souvenir qu’on tente de préserver avec des lettres, des photos qui arrivent de loin puis n’arrivent plus, qu’on encadre et magnifie, qui aident à souffrir en silence et à supporter l’insupportable ; enfin l’amertume d’avoir tant souffert, de souffrir encore pour quel résultat ? Des destins se croisent, certains ont hérité de ce qui a été confisqué aux autres, tous souffrent pour qu’au final quelques uns viennent « claquer leur fric en faisant du shopping à Paris ».
Trois bonnes raisons de lire ce roman :
Le sujet est fort, les personnages attachants et complexes.
Le contexte historique et social est intéressant y compris sur la diaspora française.
L’écriture est fluide, le roman se lit bien et vite.
Bien entendu, ce roman est interdit au Vietnam, raison de plus pour le lire ici…oui je sais ça fait quatre…impossible d’y échapper !
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