"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
J’ai découvert Eka Kurniawan, jeune romancier indonésien lorsque Sabine Wespieser avait publié L’Homme-tigre, publication qui avait eu lieu lors de la rentrée littéraire été-automne 2015. Je l’avais lu de mon côté en 2016, si je me réfère à une chronique courte publiée à l’époque sur Babelio. J’avais trouvé ce roman intéressant par sa structure narrative mais j’avais émis quelques réserves. Je n’avais pas réussi à m’attacher au destin des personnages et j’avais trouvé trop de répétitions dans les événements qui nous étaient racontés plusieurs fois. Ce roman avait été traduit par Étienne Naveau, enseignant-chercheur à l’Inalco, spécialiste de la langue indonésienne et de la culture, de l’Histoire de cet archipel. Ce livre fut publié grâce au soutien du CNL. Il faisait moins de 300 pages.
Avec Les belles de Halimunda, publié lors de la rentrée littéraire été-automne 2017, Sabine Wespieser mettait en lumière le premier roman de l’écrivain qui est admirateur en particulier du grand auteur indonésien Praomedya Ananta Toer dont le Buru Quartet traduit depuis l’indonésien a été publié intégralement en 2017 et 2018 par les éditions Zulma qui le rééditent d’ailleurs progressivement en poche. Ce premier roman de Kurniawan est d’une grande densité narrative et c’est surtout un pavé de plus de 600 pages. Il a été également traduit par Étienne Naveau et publié grâce au CNL et au concours de LitRl qui est un programme du Centre national du livre et du ministère de l’Éducation et de la Culture de la République d’Indonésie. Je rappelle que pour ses écrits et ses opinions, Praomedya Ananta Toer fut enfermé longtemps au bagne de Buru, lieu que l’on retrouve dans Les belles de Halimunda à un moment donné. Dans ce livre, nous retrouvons des thématiques qui tiennent à cœur visiblement à Eka Kurniawan. Ces dernières sont la vengeance, la condition féminine, les relations familiales troublées, la violence ainsi qu’une part de « réalisme magique ». Ses romans se passent au XXe-XXIe siècles ou comme ici traversent une grande partie de l’Histoire de l’archipel indonésien tout en y mêlant des légendes.
J’ai été totalement envouté par cette histoire terrifiante d’une génération de femmes maudites en amour notamment, de femmes qui doivent lutter pour survivre, en commençant par Dewi Ayu, la prostituée la plus célèbre de la ville qui sort de sa tombe au début du roman. La construction narrative de ce roman est extrêmement brillante, ce n’est pas linéaire et il faut bien sûr s’accrocher pour nouer tous les fils narratifs. Nous passons souvent à l’histoire d’une des filles de Dewi Ayu au nombre de quatre à l’autre ainsi qu’à l’histoire par la suite de leur descendance. J’ai adoré découvrir la dure réalité de la colonisation néerlandaise puis de l’occupation japonaise et par la suite la chasse qui fut faite contre les communistes. Ce roman ne nous épargne rien en matière de violence : viols, massacres en particulier. Les animaux ne sont pas en reste parmi les victimes et cela m’a fait beaucoup de peine. C’est un magnifique roman sur la force qu’ont des femmes pour survivre dans des moments très troublés de leur vie ou pour résister aux hommes. C’est aussi un roman très sensuel, avec des scènes extrêmement torrides, remarquablement écrites. Les personnages de ce livre sont beaucoup plus attachants que ceux de L’Homme-tigre, même ceux qui sont plus violents, c’est-à-dire les époux de deux des filles, en particulier Mamane Gendeng et le fascinant Shodancho. Kliwon est un personnage pour lequel on entre en empathie. Les enfants ensuite de ces couples vivent également des choses terrifiantes, sont très perturbés, c’est le moins que l’on puisse dire. Ce livre n’est sans doute pas à mettre entre toutes les mains mais ceux qui aiment l’Histoire, les sagas familiales – un arbre généalogique en début de livre et qui est bien utile nous est proposé – ainsi que le « réalisme magique » cher à Garcia Marquez dont j’ai tenté de lire Cien años de soledad en langue espagnole directement, idée vite abandonnée vu la difficulté ne pourront que trouver ce roman passionnant. Il faudra que je lise le roman de « Gabo » en français.
En avril 2019, Sabine Wespieser éditera un troisième roman d’Eka Kurniawan et je le lirai bien évidemment. Le titre est déjà tout un programme : La vengeance se paie cash. Ce roman sera « très réaliste et ultra-contemporain ». Là encore, les femmes auront un rôle important. Il y aura d’ailleurs à nouveau un personnage de prostituée. Je me réjouis que Sabine Wespieser publie cet écrivain asiatique extrêmement talentueux. Je souhaite que le partenariat avec Folio en poche puisse se poursuivre pour donner accès au plus grand nombre de lecteurs à ce romancier.
Le jeune Margio est-il responsable du crime bestial de son voisin, l'élégant Anwar Sadat, ou n'est-ce pas plutôt le tigre qui est en lui le coupable ? Cette belle et dépaysante découverte romanesque nous plonge au coeur d'un petit village indonésien, à l'étonnante galerie de personnages où se mêlent légendes et croyances animistes, vies familiales et conjugales, relations de voisinage.
Après un premier chapitre ébouriffant où l'humour narratif répond à un profond tragique, la réjouissante et belle narration d'Eka Kurniawan remonte le fil de la vie de Margio à la découverte du tigre blanc qui est en lui...
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