"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
1953, Hollywood. Fritz Lang tourne Human Desire, un remake du film de Jean Renoir, La Bête humaine, adapté du roman de Zola : un drame de la jalousie qui met en scène un triangle amoureux et le porte à la haine, à la violence et au meurtre. Vicki, une jeune femme mariée à Carl, un homme usé et violent, tente de convaincre Jeff, son amant, jeune cheminot de retour de la guerre de Corée, de l'aider à se débarrasser de son mari. Ce dernier la fait chanter après avoir assassiné un homme riche et influent dans les bras duquel il avait poussé son épouse pour conserver son emploi. Qui est Vicki Buckley ? Une femme fatale cynique, menteuse, perverse, usant de ses charmes pour manipuler les hommes et arriver à ses fins ? Ou bien une jeune femme victime d'une Amérique puritaine, de la violence et de la lâcheté des hommes, qui cherche désespérément à sauver sa peau ? La Bête, c'est elle, martèlent les producteurs. Mais pour Fritz Lang, le Mal est partout, pas seulement sur les épaules de Vicki. Excédé par la bêtise de l'idéologie hollywoodienne et ce qu'il voit comme un moralisme niais, il se bat pied à pied pour déjouer les injonctions des producteurs avec la seule arme qui lui resteâ¯: la mise en scène. C'est la mise en scène qui montrera que Vicki n'est pas la garce que le scénario a fabriquée, mais une femme beaucoup plus complexe et riche de secrets. Portrait du vieux Lang en artiste Inspiré de faits réels, Vicki et Mr. Lang est un roman construit autour de la relation passionnelle qui unit Lang à son héroïne (le réalisateur n'est-il pas aussi secrètement amoureux de son actrice, Gloria Grahame?) : l'auteur réinvente des personnages authentiques (Fritz Lang, les acteurs du film) et fond la fiction dans la fiction, le film dans le tournage du film tel qu'il l'imagine. Entrecoupant le récit de Human Desire de scènes d'écriture du scénario, de scènes de tournage, d'autres encore où Lang s'interroge ou se remémore des tournages passés, le roman alterne les points de vue sur Vicki, celui du cinéaste, celui du narrateur, tous deux scrutant son âme, pour mieux la cerner et percer son mystère. Jean-Paul Engélibert imagine un Fritz Lang virtuose de la mise en scène, travailleur acharné, obsessionnel, mais aussi vieillissant (il a 63 ans), solitaire et désabusé, tyrannique sur le plateau : sa carrière américaine touche à sa fin et 3 ans plus tard, ne parvenant plus à tourner à Hollywood, il rentrera en Allemagne pour y faire ses 3 derniers films. Volontiers méditatif, regrettant peut-être sa jeunesse en Allemagne, il se retourne avec nostalgie sur un passé où il avait les coudées franches pour exercer son art.
« Vicki et Mr. Lang » est bien plus qu’un roman. Nous sommes dans une autre dimension. Une littérature siamoise, entre une mise en abîme d’un scénario celui du film de Fritz Lang « Human Desire », une version remaniée de « La Bête humaine » de Jean Renoir (via Zola). Ce livre à haut potentiel cinématographique en noir et blanc, profond et prodigieux est mené d’une main de maître.
Il faut dire que Jean-Paul Engélibert « a consacré de nombreux cours au cinéma, et notamment à l’œuvre de Fritz Lang, il a publié, en 2016 et 2017, deux courts récits de fiction sur l’image. »
Ici, dans cette fiction s’emmêle un scénario en direct et l’histoire autour de ce dernier. L’ambiance en devient vive, sombre, contemporaine et captivante.
Vicki Buckley est le point du centre de grand livre. Elle semble effacée. Elle s’ennuie chez elle, soumise à son mari, beaucoup plus âgé qu’elle. Elle ne fait rien de ses journées. Elle s’est mariée avec lui, car selon ses dires, il était honnête. Son mari Carl, amoureux, dépassé par les aléas, une perte de travail en tant que cheminot. La fatigue qui l’éreinte. le spartiate de leur foyer est de l’huile sur le feu. Un couple en proie aux turbulences, aux relents d’une jalousie prégnante pour lui. Vicki, énigmatique et secrète, au borarysme sublime et assumée. Manichéenne, dont Carl ignore tout ou presque. Double-jeu, cornélienne, Fritz Lang saisit tout d’elle et ne laisse rien passer.
On ressent comme une urgence de mise sur image. Un scénario qui rassemble l’épars et redonne la véritable Vicki à l’objectif.
Le style de ce récit filmique est un train qui file à vive allure. On est happé par les séquences, la violence de certaines scènes et pour cause.
Dans le huis-clos de ce drame, la surenchère sur Vicki. Qui est-elle véritablement ?
L’écriture surdouée et olympienne encense la trame de mouvements et d’allures, d’arrêts sur images.
« Une phrase revient à sa bouche, une phrase sur la honte, c’était dans le livre du Rhinocéros, une phrase allemande, qu’il se surprend à murmurer, ses lèvres dessinant les mots allemands… le rêve d’une existence à l’abri de la honte, il faut l’étouffer dans les ricanements. Il aime le Rhinocéros. Il terminera le film. »
On aime ce producteur, cet homme qui règle ses propres comptes, exutoire, un projecteur pour mettre en lumière ses propres souffrances et le Mal emblématique.
« Il faudra qu’ils gardent le visage fermé comme tous ceux qui savent qu’il est trop tard . »
« Un jour, peut-être, il saura filmer la mer. Alors tout sera accompli . »
Ce livre serait comme sans point final. Tant le générique poursuit le lecteur. Ici, vous avez l’Humain dans toute sa splendeur et ses passions, ses folies et les affres cauchemardesques et les contre-façons. Les faux-semblants, les trahisons, les déceptions et les regrets. L’amour en quelque sorte mais à La Duras sublime, forcément sublime.
La beauté d’une trame, gamme musicale en plein vol. Qu’importe les cruautés parce que c’est cela en fait la vie.
« Les miracles de la vie quotidienne sont plus fabuleux que ceux des Mille et une Nuits. Tous les journaux racontent chaque jour des comédies et des tragédies humaines, des histoires uniques et universelles… Ses attentats sont des images, ils ne provoquent pas le chaos, ils provoquent le grand sommeil. »
Pour les érudits du 7ième art !
Les lecteurs (trices) avides d’originalité et d’exigence littéraire.
Pour tous, tant il est grandiose.
À noter une magnifique couverture illustrée par Carole Lataste dont on aime le fil rouge sur chacun des livres des Éditions L’Ire des Marges.
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