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Douze tableaux, douze nouvelles, douze lunes devrait-on dire... Car on parle ici de lunes, de cycles, de sang. De menstruations. Un thème tabou, un bastion que la littérature a souvent refusé d'investir parce qu'il y a un je-ne-sais-quoi de tribal, de reculé, de primitif dans ces histoires qui doivent rester secrètes, refoulées ou proscrites : qu'elles soient accueillies avec déception, soulagement ou exaspération, les règles nous ramènent à notre condition animale.
Balayant les préjugés, l'auteure parcourt ce delta maudit pour tenter d'accoster sur des rivages parfois glauques, mais pas seulement... En parler sans trivialité semblait définitivement exclu et pourtant Pascale Pujol vous laisse suspendu(e) au fil de son talent.
Avoir ses menstrues, ses époques, ses anglais, ses ours, ses lunes, ses affaires, ses règles, ses ragnagnas, sa semaine ketchup, ses coquelicots, ses catimini, ses histoires...
Des histoires, oui. Des histoires esquissant douze sanguines déclinées du vermillon à la brique en passant par l'écarlate et le carmin. Toutes les nuances du sang qui s'écoule périodiquement du corps des femmes suscitant aussi bien la douleur physique, la honte, la frayeur que l'épanouissement, la fierté et la tranquillité. Douze manières de briser le tabou qui entoure si solidement ce flot mensuel que la publicité nous laisse encore croire que le sang des femmes est bleu.
Il fallait un bel aplomb pour braver cette sorte de malédiction littéraire qui fait que les règles sont escamotées de la plupart des univers romanesques. Il fallait un sacré talent pour réussir à créer des récits aussi vigoureux sans tomber dans le croustillant, ni le scabreux. Pascale Pujol a eu cet aplomb et possède ce talent. Ses douze nouvelles sanguines parcourent le territoire du jamais-dit, en nous plaçant entre maléfice et enchantement, entre réalisme et symbolisme, sans jamais lâcher la part d'humour léger et d'indulgente ironie qui donne tant de relief à son écriture. Elle nous emmène dans un voyage ou la répulsion côtoie la fascination et où l'on met au jour les pulsions les plus primitives des êtres.
Dans ses histoires, les règles deviennent philtre d'amour ou métamorphose du corps adolescent, les hommes en sont dégoûtés ou médusés et les femmes en font une épiphanie ou un fléau. Chaque nouvelle possède un ton qui lui est propre, une atmosphère singulière, et suscite des émotions et des réflexions différentes, parfois contradictoires, toujours complémentaires. L'homogénéité du recueil vient du thème, bien sûr, mais surtout de cette écriture qui façonne le réel tout en l'étirant vers des contrées poétiques, culturelles et même anthropologiques. Jamais l'auteur ne cède à la tentation du sublime ou de l'éthéré. Jamais non plus elle ne s'abîme dans l'obscène. Et c'est sur ce fil ténu que son écriture parvient à tenir l'équilibre.
"Sanguines" brise avec éclat l'accord tacite qui établit que "l'on ne parle pas de ces choses-là". En lisant ces douze nouvelles, je n'ai eu qu'un regret : que le recueil n'en comporte pas davantage !
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