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Depuis 1989, le paysage constitue un des éléments importants des préoccupations d'Anne Favret et Patrick Manez, le paysage comme la trace visible d'un monde en perpétuel renouvellement.
Cela faisait longtemps qu'ils cherchaient à travailler autour de l'idée d'utopie.
« Les Arpenteurs » présente leur travail réalisé à l'observatoire du plateau de Calern, situé sur les hauteurs de Nice. Hors du temps, ce plateau calcaire aride et vallonné est traversé de chambres souterraines qui parfois en façonnent la surface sous forme de dolines. Dans cet espace unique, un petit village de chercheurs s'est établi, où vingt-cinq personnes construisent elles-mêmes leurs propres outils de travail, capables de produire du savoir comme des objets. Combinée à la spécificité géologique du site, la diversité des bâtiments rencontrés - monuments à l'aspect futuriste et baraques en tôle - confère à l'endroit, où semble vivre une civilisation isolée, un caractère particulier. Les vestiges des hommes se mêlent aux constructions de la nature et le plateau paraît baigner dans une autarcie qui incite au développement de l'imaginaire.
De ce lieu dans lequel ils se sont immergés plusieurs années, les deux photographes font émerger leur vision d'une utopie contemporaine, rejoignant la conception de Moore, pour qui l'utopie est un non-lieu, une société coupée du monde, établie dans un espace à la géographie imaginaire. Pour créer cet univers particulier, ils se sont ainsi intégrés dans le quotidien de la station de recherche, comme ils l'expliquent eux-mêmes : « depuis plusieurs années, semaine après semaine, nous nous sommes immergés dans la vie de l'Observatoire, échangeant avec l'ensemble des équipes, accompagnant les événements du site, travaillant au rythme des saisons sur les différentes activités de Calern ». Ils ont ainsi pu capter l'évolution des saisons, dont l'enchaînement anarchique contribue à extraire le lieu de toute temporalité. Cette impression est renforcée par la luminosité particulière des images, qui ne permet pas de situer la scène à un moment précis de la journée.
Le lieu de la recherche scientifique et de la production de savoir devient ainsi un lieu de l'imaginaire, une île utopique isolée sur son plateau, qui sert de décor aux photographes pour la réalisation de leur récit. L'ouvrage devient lui-même un nouvel espace, celui du conte construit par Favret et Manez.
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