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" Hors de l'expérience littéraire, nous n'avons pas accès à la souffrance des autres. " Alexandre Soljenitsyne Le Pavillon des cancéreux, c'est le quotidien du bâtiment numéro treize de l'hôpital de Tachkent, celui où quelques hommes alités souffrent d'un mal que l'on dit incurable. En s'y installant, Roussanov, haut fonctionnaire du Parti, ne voit pas d'un bon oeil d'être contraint de partager sa chambre avec des patients de moindre valeur comme Kostoglotov, un ancien prisonnier du Goulag. Mais, très vite, il va se rendre compte que tous les titres et passe-droit dont il usait dans la vie réelle ne lui serviront à rien. Il est mis dans la salle commune et doit se soumettre aux traitements. Comme les autres, il va vivre le combat de l'homme face à la vision de sa mort et son dénuement devant la vanité de sa vie passée. Dans cette salle d'hôpital, on vit de l'intérieur l'angoisse de chacun des sept personnages qui y sont enfermés, qu'on pourrait voir comme un échantillonnage de la société russe au moment dit du " dégel ", juste après la mort de Staline. Le lieu vit presque en autarcie, pourtant il est plein des bruits du monde et hanté par la guerre et le communisme. Au-delà des malades, on découvre peu à peu le personnel médical : Zoé, une jeune infirmière, Véra, le médecin, Lioudmila, la chirurgienne et la difficulté de leurs décisions, leur impuissance et leurs interrogations face à des traitements encore incertains.
Imaginé en 1955, rédigé dix ans plus tard, Le Pavillon des cancéreux est l'oeuvre la plus accessible de Soljenitsyne, et sans conteste celle où il est le plus fidèle à la grande tradition du réalisme russe du XIXe siècle.
Un très beau roman, qui a certes un peu vieilli en ce qui concerne l'histoire de la Russie, mais qui se lit avec aisance car il est remarquablement écrit. Ce qui nous intéresse, c'est le combat contre la maladie des soignants et des soignés, et la réflexion sur le sens de la vie qui se dégage de l'ensemble du roman. On sait qu'il est en bonne partie autobiographique, car Soljenitsyne s'est miraculeusement régénéré de la tumeur qui lui a valu le séjour dans ce fameux "pavillon des cancéreux". Il laisse une leçon de résistance inoubliable, d'une grande profondeur quant à l'analyse de la nature humaine.
Les hommes et les femmes qui entrent au pavillon des cancéreux, pavillon numéro treize, ironie du sort, n’ont aucune garantie d’en sortir un jour. A l’intérieur, la tumeur, le cancer, quel que soit le nom que l’on veut lui donner, semble remettre tout le monde d’accord. L’égalité entre les hommes qui constitue l’objectif du communisme paraît enfin atteinte. Toutefois, les hommes qui entrent là y entrent avec un passé, le récit de leur parcours individuel fonde la description, critique, d’une époque et d’une société. Au cœur de l’ouvrage, la liberté bien sûr, tant chérie des hommes et complètement absente du monde construit par Lénine puis par Staline. Cette liberté, elle est aussi absente du pavillon des cancéreux, où un corps médical sincère et sûr de son fait prend les décisions à la place des patients, sans leur communiquer la moindre information sur leur état de santé, et où on envoie les mourants s’éteindre à l’extérieur au profit des statistiques d’un système qui n’admet aucune faille.
Tout au long du roman, l’atmosphère est pesante. Il faut dire que le cancer est dans cette œuvre un personnage à part entière, dont la présence est loin d’égayer l’ambiance. Le pavillon des cancéreux étant un pavé (plus de 750 pages dans l’édition lue), sa lecture a pu parfois s’avérer pénible, tout simplement parce que les sujets abordés ne sont pas réjouissants.
La lecture éprouvante d’une œuvre intelligente, marquante, et admirablement bien construite.
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