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Ces trois textes font partie d'un cycle de nouvelles dont le personnage récurrent est un chien.
Le chien, le maître ainsi que ses parents proches débute par une transgression lorsque Köntho met à la porte sa mère afin d'accueillir sa jeune épouse. Scandalisés, les anciens s'offusquent et le traitent de « chien ». Köntho rétorque qu'il est en effet la réincarnation d'une « chienne rouge ». Chacun se souvient alors d'événements traumatisants survenus une vingtaine d'année plus tôt : un cas de rage avait conduit les autorités à tuer tous les chiens. Un aller-retour entre les excès sanguinaires de la Révolution culturelle et ces minuscules péripéties constituent le fil du récit.
Journal de l'adoption d'un hapa tend vers le fantastique grotesque en mettant en scène un narrateur, petit fonctionnaire, et un pékinois doué de parole, le hapa. Ayant délaissé son précédent maître, ce chien est adopté par le narrateur qui l'emploie dans son service. Il manigance alors pour grimper dans la hiérarchie. La très fine description d'une société où les luttes de pouvoir, l'hypocrisie et la flagornerie sont omniprésentes donne toute sa saveur à ce récit.
Dans Le vieux chien s'est soûlé, le narrateur est un enfant dont la famille vit de l'élevage de moutons. Fils unique, il devra succéder au père, ce qui rend dispensable sa présence sur les bancs de l'école. Si l'intrigue est ténue (l'enfant veut sauver son chien), le texte oppose habilement les manipulations des adultes à la fraîcheur un peu rouée de l'enfant qui pointe les contradictions des grandes personnes et les travers d'une société où cupidité et impératif de « développement économique » n'épargnent rien ni personne.
On pourrait voir en Tagbumgyal un écrivain réaliste s'autorisant quelques touches de fantastique. Mais dans son univers, parler des chiens, c'est parler des hommes. De fait, il a un sens aigu de l'observation.
La narration est imagée, portée par une écriture cinématographique, des détails où perce son humour. Ni héros ni épopée ici, mais des sentiments étriqués, des situations ridicules, de petites lâchetés ou des trahisons ordinaires pour révéler les rouages néfastes d'une société où seuls l'exercice du pouvoir et les intérêts particuliers prévalent. Ces faits et gestes peuvent se mêler au cours de l'histoire, comme dans Le chien, le maître ainsi que ses parents proches, mais c'est pour mieux en souligner le caractère dérisoire. Car Tagbumgyal est avant tout un écrivain, non un idéologue. Sa subjectivité ne laisse dans l'ombre rien de la nature humaine ; sa critique de la religion est indulgente, son observation de la société malicieuse, et l'histoire tragique de son pays n'est évoquée qu'au moyen d'une distance ironique. C'est par cet art de l'ambiguïté que Tagbumgyal laisse toute liberté d'interprétation au lecteur.
Trois nouvelles qui ont en commun de parler du quotidien des Tibétains et de leur rapport aux chiens. L'importance de ceux-ci qui gardent les troupeaux et qui vivent très proches des hommes.
- Le chien, son maître et les parents proches raconte l'histoire d'un homme qui chasse sa mère de sa maison lorsqu'il y fait entrer sa jeune et jolie épouse. Les membres de la communauté nomade traditionnelle ne peuvent y croire et tentent de le faire revenir à la raison et d'accepter que sa mère réintègre le foyer, comme il est de coutume. Les vieux le traitent de chien et l'homme prétend être alors la réincarnation de la chienne rouge, ce qui rappelle à chacun la funeste période d'élimination des chiens imposée par la Chine.
- Journal de l'adoption d'un hapa : le hapa est un petit chien, ce que nous appellerions un pékinois. L'homme l'adopte et le chien, miraculeusement doué de parole, prend de l'ascendance sur lui, lui demande de l'emmener au bureau et de lui donner un poste pour qu'il puisse se faire bien voir auprès de la secrétaire.
- Le vieux chien s'est soûlé : dans cette histoire, le vieux chien se soûle en ingurgitant le vomi imbibé d'alcool du père du jeune garçon narrateur. Il y est question d'éducation, de nomadisme et de chiens errants.
Trois nouvelles très différentes qui ont toutes en rapport de mettre en scène des chiens diablement humains. Dans la première nouvelle, c'est la Révolution culturelle qui est critiquée, ses horreurs. Dans la deuxième, c'est l'ambition, la corruption et le népotisme courants dans les administrations. Et dans la troisième, c'est à la fois l'envie de se faire bien voir des autorités et pour cela être prêt à tout et aussi la dure condition des laissés pour compte, des errants. A chaque fois, que la nouvelle soit un peu fantastique ou ancrée dans la réalité, Tagbumgyal fait mouche. Il n'use pas des mêmes styles pour chaque histoire, mais pratique assidument l'humour, l'ironie, la moquerie et parfois de vraies piques bien senties. On peut aussi lire ces nouvelles comme de simples fables mettant en scène des animaux, mais ça me semble difficile tant les traits humains sont facilement décelables et ce serait passer à côté de tout ce qui fait le sel de l'écriture de Tagbumgyal.
N'omettez point la lecture de la postface de Véronique Gossot, la traductrice qui permet de mieux comprendre les subtilités de l'auteur et le contexte politique. Je pense que c'est mon premier livre de littérature tibétaine. Tagbumgyal est né en 1966 et paraît dans la très belle collection Sémaphores des très belles éditions Intervalles.
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