"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Erri De Luca soutient depuis des années le combat des habitants de la vallée de Suse dans le Piémont, regroupés dans l'association NO-TAV, cherchant à empêcher la construction de la ligne TGV Lyon-Turin. La préservation de la vallée et le risque que des particules d'amiante soient diffusées suite au percement des tunnels sont au coeur du débat. Cet engagement du côté de NO-TAV mène aujourd'hui l'écrivain italien devant les tribunaux : suite à deux interviews parues dans la presse internationale pendant l'été, Erri De Luca se retrouve aujourd'hui sur le banc des accusés pour incitation au sabotage, et son procès s'ouvrira à Turin le 28 janvier prochain. La plainte contre lui a été déposée par la société française en charge des travaux.
Avant la confrontation avec la justice de sons pays, l'écrivain revient ici sur ses motivations, et sur l'histoire de son engagement. Il trouve des mots justes et émouvants pour parler de la responsabilité de l'écrivain dans le débat public, et pour évoquer le rôle que d'autres livres et d'autres écrivains ont joué dans sa propre vie. Il précise également l'enjeu écologique à proprement parler en résumant les faits, mais il avance surtout une réflexion très percutante sur la liberté d'expression et l'importance de ce qu'il appelle la parole contraire dans toutes les sociétés aujourd'hui.
Erri De Luca risque entre un et cinq ans de prison. La publication de ce pamphlet à la veille du procès par tous ses éditeurs européens intervient donc un contexte très particulier, mais à la lecture du texte, on est frappé une fois de plus par la manière si singulière que possède Erri de Luca d'appréhender le réel, de s'en approcher par une poésie qui n'appartient qu'à lui.
Erri De Luca, poursuivi en justice par la LTF (Lyon-Turin ferroviaire) pour avoir incité à saboter et dégrader la ligne TAV (treno ad alta velocità), risque au maximum cinq ans de prison. En effet, Erri De Luca soutient publiquement le mouvement NO TAV qui s'oppose à la construction d'une ligne de train à grande vitesse dans la vallée de Suse. En 2013, il déclare au Huffington Post, entre autres : "je reste persuadé que la TAV est une entreprise inutile et je continue à penser qu'il est juste de la saboter". La parole contraire est en quelque sorte une réponse au procès qu'on lui fait.
Dans ce court texte, Erri De Luca revient sur la présumée capacité d'incitation d'un écrivain, à partir de sa propre expérience de lecteur et évoque ses influences comme Orwell, Pasolini... Un écrivain peut-il inciter à rejoindre un mouvement contestataire ? Pour Erri De Luca, la réponse est non car la rencontre avec un livre qui nous touche et due au hasard : "La littérature agit sur les fibres nerveuses de celui qui a la chance de vivre la rencontre entre un livre et sa propre vie. Ce sont des rendez-vous qu'on ne peut fixer ni recommander aux autres. La surprise face au mélange soudain de ses propres jours avec les pages d'un livre appartient à chaque lecteur."
Pourtant, l'écrivain a bien un rôle : "Son domaine est la parole, il a donc le devoir de protéger le droit de tous à exprimer leur propre. [...] Telle est la raison sociale d'une écrivain, en dehors de celle de communiquer : être le porte-parole de celui qui est sans écoute." C'est bien ce que fait Erri De Luca en s'engageant auprès du Val de Suse, en se battant auprès de ceux qui luttent avec détermination pour protéger leur vallée d'un désastre environnemental et qui n'ont peut-être pas l'écho médiatique qu'ils souhaiteraient. Pour autant, il n'incite pas à la violence et appelle les procureurs en charge de l'affaire à regarder les différents sens du mot "saboter" dans le dictionnaire : "Son emploi ne se réduit pas au sens de dégradation matérielle, comme le prétendent les procureurs de cette affaire. Par exemple : une grève, en particulier de type sauvage, sabote la production d'un établissement ou d'un service. [...] J'accepte volontiers une condamnation pénale, mais pas une réduction de vocabulaire."
Erri De Luca revendique son droit à la "parole contraire", c'est-à-dire la possibilité d'exprimer une opinion autre, différente, et non pas obséquieuse qui elle est "toujours libre et appréciée". En relevant les incohérences et les absurdités de ce procès, Erri De Luca donne une piètre image de la justice italienne dans cette affaire et ne peut que toucher la fibre révolutionnaire qui se niche en nous.
Il y a beaucoup de citations d'Erri De Luca dans cette chronique car quoi de mieux que les mots justes et forts de l'écrivain italien pour parler de ce texte. Pour finir, l'auteur rappelle avec raison l'article 21 de la Constitution italienne : "Chacun a le droit de manifester librement sa propre pensée par la parole, l'écrit et tout autre moyen de diffusion." Voilà la vraie victime de sabotage dans cette affaire : la liberté d'expression, "liberté de parole contraire".
« Je revendique le droit d'utiliser le verbe "saboter" selon le bon vouloir de la langue italienne. Son emploi ne se réduit pas au sens de dégradation matérielle, comme le prétendent les procureurs de cette affaire ».
Depuis 2013, l'auteur se bat contre la ligne TAV Turin-Lyon qu'il juge inutile et nuisible.
Inutilité qu'il explique comme cela « Lgv Lyon-Turin de plus de 30 milliards d'euros qui nécessite le percement d'un tunnel de 57 Km qui provoquera de manière irréversible le tarissement des sources (équivalent à 250 millions de mètres cubes d'eau par an), alors que la ligne ferroviaire existante est exploitée à 17% de ses capacités ».
Il nous apprend aussi que 395 grands travaux en Italie restent et resteront « inachevés ». Je ne puis m'empêcher de me demander combien en France.
Voici le combat de cet homme contre LTF Réseau ferré Français.
Il a des soutiens de de part le monde, pour défendre sa liberté de parole.
Mais dans les hautes instances françaises ???
Il souligne qu'au parquet de Turin un département spécial a été créé comportant 4 procureurs et un adjoint pour poursuivre les opposants du NA TAV ; ils en sont à plus de 1000 inculpations.
En conclusion Erri de Luca proclame ; « j'accepte volontiers une condamnation pénale, mais pas une réduction de vocabulaire »
Pour lui le débat ne se situe pas au niveau de la liberté de parole ; il s 'agit de la liberté de « parole contraire ».
Cet écrivain est un homme avant tout, qui ne s'est pas éloigné des réalités de la vie, il clame haut et fort que le rôle social d'un écrivain c'est : « être le porte-parole de celui qui est sans écoute »
« Ouvre ta bouche pour le muet » (proverbes/Mishlé 31,8).
CHAPEAU MONSIEUR !
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