"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Dans ce court roman, aucune description, aucune narration : ce sont les voix qui font avancer l’histoire. Les voix d’une jeune fille et d’un vieil homme.
“- Qui es-tu ?
- Qu’est-ce que ça peut te faire ? Je suis quelqu’un qui crève de froid. J’ai vu la tente et je suis entrée.”
Lui est un ancien horloger qui a fait fortune, qui aime camper, seul, en montagne et jouer au Mikado pour conserver la précision de ses gestes. Elle est une gitane qui a fui sa famille pour éviter un mariage forcé et qui a traversé les montagnes, seule, de la Slovénie à l’Italie.
Dans la majeure partie de ce livre, qui n’est qu’enchaînement de répliques courtes et franches, les deux protagonistes s’apprivoisent peu à peu, une question après l’autre, coup après coup, comme dans une longue partie de Mikado. Dans le dialogue point une réflexion subtile sur l’âge, où la fougue de la jeunesse - lorsqu’elle n’est pas dénuée d’expérience - et l’expérience de la vieillesse, quand elle n’est pas obsolète, se révèlent être de parfaits compagnons. “Tu es vieux, mais tu ignores beaucoup de choses.”
Tout aussi surprenante, la dernière partie délaisse la forme du dialogue - “certaines choses ne peuvent se dire que dans une lettre.” Le lecteur a alors toujours affaire à une voix, mais cette fois à l’écrit, pas à l’oral. Une voix qui le malmène quelque peu et qui l’emmène ailleurs, vers une dimension plus politique. C’est comme un nouveau lancer de bâtonnets colorés. Un autre jeu, avec les mêmes règles, toujours sans trembler.
Très beau livre où les sentiments sont mis à nu tout en finesse. Un épilogue surprenant où transpire beaucoup d'amour...
Une belle découverte !
Le Mikado demande de la patience, de la maîtrise de soi et ses bâtonnets en quinconce échafaudent l’édifice d’un roman où il n’est pourtant en rien question de jeu.
Elle est gitane et à 15 ans, elle fuit un mariage forcé et quitte la Slovénie.
Lui a 60 ans, il est horloger et vient régulièrement planter sa tente dans les montagnes italiennes, « même en hiver ».
Ils se rencontrent à la frontière lorsqu’elle arrive devant son campement et s’instaure entre eux une relation de confiance et de partage.
Ils se trouvent des points communs et ont notamment tous les deux pour devise une des règles du Mikado : « agir doucement, sans attirer l’attention ».
Un court roman, à la première partie presque philosophique dans laquelle ces deux êtres devisent, dans des dialogues proches d’une pièce de théâtre, sur le sens de la vie.
Mais la deuxième partie vient éclairer ce début plein de sagesse avec des faits concrets de l’ordre d’un polar, qu’elle et lui décrivent de leur vie d’avant et d’après leur rencontre, dans des lettres qu’ils s’échangent.
Cela donne un roman assez déroutant qui hésite entre deux styles et que l’on aurait aimé voir approfondi dans l’une ou l’autre de ces deux voies alors qu’il ne fait que les survoler.
Une narration surprenante, au déroulé inattendu, qui se lit comme une nouvelle et qui va dévoiler progressivement le bâtonnet noir de la réalité, caché sous un empilement de faux-semblants.
L’auteur nous informe dès le début
« Je présente donc les deux personnes qui engagent un dialogue au début de cette histoire
Lui, c’est un vieux campeur solitaire. Il passe de longues périodes en montagne, même en hiver. Elle, c’est une jeune gitane qui a fui sa famille et son campement. »
L’homme aime aller planter sa tente dans la montagne par tous les temps, retrouver la solitude qu’il aime tant. Ici, il est près de la frontière séparant l’Italie de la Slovénie. L’horloger devenu riche a créé une fondation venant en aide aux jeunes immigrés ou non en grande difficulté. Lorsque la jeune fille lui demande de lui laisser une petite place dans sa tente alors qu’il gèle dehors, il ne peut que la faire entrer et la réchauffer.
C’est une gitane, âgée de quinze ans que sa famille veut marier. Avant il faut qu’elle grossisse. Des deux choses, elle n’en a nulle envie et se sauve.
Ils vont se découvrir et transformer cette rencontre fortuite (?) en une amitié. L’horloger décide de sauver la jeune fille en la cachant chez un ami. Il va lui apprendre à lire et écrire, lui apprendre une autre liberté.
En très peu de mots et de pages, Erri de Luca rend les deux personnages vivants. Comme Marie-Hélène Lafon, il travaille ses phrases jusqu’à l’os pour qu’il n’en reste que l’essentiel. Le mécanisme des mots ronronne comme une horloge bien réglée (je n’allais pas louper ce jeu de mots tout de même!)
J’ai beaucoup aimé leurs dialogues
« Tu es un étrange vieil homme. Tu as l’air calme, incapable de réagir, puis tu sors un spray qui aveugle, puis un pistolet. Je ne t’imaginais pas aussi vif.
-Il est inutile de s’agiter pour être prêts.
Les gens eux aussi sont des mécanismes. Il est facile de comprendre le comportement de ceux qui sont agressifs. On peut s’adapter et arranger les choses. »
Et hop, je t’enlève un bâtonnet, puis l’autre… sans toucher le troisième. C’est cela, le jeu de Mikado et leur dialogue y ressemble.
La seconde partie apporte un haussement de sourcils de ma part et montre comment cette rencontre fortuite a changé les deux personnages. La gitane, à qui l’horloger a appris à lire et écrire, s’est construit une toute autre vie. Mariée au fils du vieux pêcheur qui l’a recueillie après l’horloger, elle est maintenant veuve avec deux enfants. Mariée surtout pour changer de nom et que son clan ne la retrouve pas. Il lui en a fallu du cran pour apprendre à vivre dans un tout autre cadre, jusqu’à vendre ses cheveux pour acheter des livres..
L’oubli possible ou pas, l’entraide, l’altérité, le courage, le besoin de l’autre… Le tout en 160 pages. L’homme est horloger et le livre est une horloge ou une montre à gousset qui referme le même nombre de pièces mais qui est beaucoup plus petite.
Un joli coup de cœur, comme à chaque fois que Erri De Luca m’emmène dans son monde.
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