"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
À l'image de Naples, écrasée par la chaleur d'un mois de mai estival, le commissariat de Pizzofalcone baigne lui aussi dans une atmosphère étouffante. En effet, l'équipe se débat avec un cas difficile : l'unique petit-fils d'un riche entrepreneur napolitain, aussi respecté que détesté, a été enlevé. La demande de rançon ne se fait pas attendre, toutefois, entre la mère révoltée contre l'autorité paternelle, le beau-père " artiste endetté " ou la secrétaire diffamée du patriarche, tout le monde semble avoir de bonnes raisons de vouloir toucher le magot. L'enquête, menée par Romano et Aragona, progresse à tâtons, tandis que Lojacono et Di Nardo sont chargés d'une « simple » histoire de vol dans un appartement. À première vue, aucun lien ne semble exister entre les deux affaires. Mais à l'instar des ruelles napolitaines, chaque découverte en fait resurgir une nouvelle...
En ce mois de mai, la canicule s'est abattue sur Naples comme la misère sur le monde. C'est alors que le commissaire Palma est informé de la disparition d'Edoardo Borrelli, âgé de neuf ans, petit-fils d' Edoardo Borrelli senior, riche et influent entrepreneur napolitain, vieillard intraitable et acariâtre. Pendant que Romano et Aragona essaient d'y voir plus clair au sein de cette famille plus unie par la haine la dépendance matérielle que par l'amour, Lojacono et Di Nardo enquêtent sur un cambriolage plutôt louche survenu dans l'appartement du couple Parscandolo: pourquoi Lojacono a-t-il l'impression d'une mise en scène? Et pourquoi Salvatore Pascandolo ment en déclarant que son coffre fort ne contient rien d'important?
Malgré l'appel des ravisseurs, l'enquête piétine: malgré l'acharnement de Romano et d'Aragona qui se démènent tant qu'ils peuvent, aucun indice significatif ne fait surface. Et si, finalement, l'enlèvement du jeune garçon masquait un crime plus grave? Tandis que Lojacono et Di Nardo soupçonnent la femme de Parascandolo de ne pas être aussi "blanche" qu'elle veut bien le faire croire, les "salauds" de Pizzofalcone vont devoir se serrer les coudes et user de toutes leurs ressources pour démêler l'écheveau inextricable de ces deux sordides affaires.
Dans ce troisième opus de la série mettant en scène l'inspecteur Lojacono, Maurizio de Giovanni continue d'explorer les tréfonds de la ville de Naples, cette fois en racontant une lamentable histoire d'enlèvement et d'un banal cambriolage, sur fond de crise économique et de désespoir, montrant avec sa dextérité habituelle que derrière la plus jolie façade se cachent les pires instincts, réduisant en miettes les sentiments les plus nobles, transformant les êtres en de redoutables prédateurs. Comme l'ont constaté les plus grands philosophes des siècles passées, notamment Erasme, Francis Bacon ou Hobbes "Homo homini lupus est", ce qui signifie " L'homme est un loup pour l'homme", locution on ne peut plus pessimiste...
Le style: dès les premières pages, le ton est léger, l'ambiance est décontractée, avec beaucoup d'humour: "-Président, si je ne t'avais pas parlé, tu ne te serais même pas rendu compte de ma présence. Ô vieillesse ennemie!... Le plus âgé et le plus jeune du commissariat adoraient se titiller, l'un sur le ton d'un professeur ayant affaire à un élève attardé, l'autre en ramenant systématiquement sur le tapis le sujet de la démence sénile." (Page 13)...Ou quand Aragona se moque gentiment de Romano, surnommé "Hulk" à cause de son caractère impulsif et emporté: "Eh! Hulk! Ton surnom, ils te l'avaient déjà donné dans ton ancien commissariat, non? Et maintenant, tu vas te foutre en rogne, devenir tout vert et arracher ta chemise." (Page 16). Cependant, la langue est riche, imagée, presque poétique par moments, surtout lorsque l'auteur décrit la ville.
Pour autant, il ne faut pas s'y tromper: Et l'obscurité fut est un roman sombre, sans aucune illusion sur la présence du Mal parmi les humains...Alors que les ténèbres les plus noires s'emparent de leur cœur et de leur âme, à l'image des flics ripoux qui ont entaché la réputation du commissariat de Pizzofalcone. De ce fait, le récit alterne ces passages légers avec des passages plus graves, braquant ses projecteurs sur la détresse et la misère humaines, que l'on peut croiser à chaque coin de rue, sous n'importe quelle forme, sans distinction de sexe, d'âge ou même de classe sociale.
L'histoire du commissariat constitue à elle seule un récit dans le récit: c'est pour remplacer les quatre flics ripoux destitués l'année précédente que Aragona, Romano, Di Nardo et Lojacono ont été nommés à Pizzofalcone; avec pour premier défi de redorer son blason, et surtout d'honorer la confiance toute relative accordée à Palma par la préfecture centrale en obtenant des résultats tangibles, faute de quoi le commissariat serait définitivement fermé. "En effet, si la police entière de la ville les désignait ainsi ( "i bastardi, en italien, ce qui signifie "les salauds"), c'était à cause des quatre collègues du commissariat qui s'étaient fait pincer pour trafic de cocaïne. Calabrese et Pisanelli avaient été les témoins directs de cette sale affaire (...)Le commissariat avait même été menacé de fermeture. Pour finir, l'enquête avait été close et les quatre brebis galeuses, que tout le monde appelait désormais les Salauds de Pizzofalcone, remplacés. Or leurs successeurs avaient hérité de cette étiquette insultante." (Page 14)...
Avec pour mission officieuse de montrer une image positive de la police qui, avec cette affaire, en avait pris un sacré coup: "Comme beaucoup de ses collègues qui luttaient du matin au soir, dans la douleur, contre la décomposition des rues et des ruelles sous l'action de leurs habitants, il (Palma) se sentit dégoûté, en proie à la colère. Ainsi, lorsqu'il apprit que le préfet avait l'intention de fermer le commissariat, admettant par là l'échec des forces de l'ordre, il se rebella et demanda à reprendre le poste." (Page 19).
Avec cette troisième enquête de l'inspecteur Lojacono et de ses collègues du commissariat Pizzofalcone, De Giovanni est monté d'un cran. En effet, l'intrigue est efficacement mise en place, les enquêtes sont menées sur les chapeaux de roues par les policiers, au rythme de la ville toujours en éveil dans laquelle ils évoluent. Il suffit de fermer les yeux pour entendre le bruit des voitures et des scooters, pour sentir les odeurs de gaz d'échappement mêlées aux relents de la mer qui s'étalent au pied des collines, pour voir ces gens de toutes conditions se démener afin de tirer à soi une partie, si infime soit-elle, de la couverture qui recouvre les riches maisons bourgeoises.
Les personnages récurrents sont criants de vérité, même lorsque l'auteur dresse un portrait comique, presque caricatural avec notamment Aragona, le frimeur de service, ou Romano, le "dogue" du commissariat. Peu à peu, on les découvre aussi dans leur vie quotidienne, celle qu'ils ont une vie en dehors de leur travail, leur solitude, leurs problèmes de couple, d'argent aussi, montrant qu'ils ne sont pas des super-héros, mais des hommes et des femmes comme tout le monde, avec leurs qualités et leurs défauts. Ce qui les rend attachants, proches de nous, humains...
Dans ces romans très réalistes, Maurizio de Giovanni s'attache à montrer le dessous des cartes postales destinées aux touristes: Naples est cité peuplée de gens qui aiment, qui souffrent, qui vivent et qui meurent comme partout ailleurs. On pourrait presque les comparer à une étude sociologique, analysant les travers et les manquements d'un pays si loin et en même temps si proche du nôtre, luttant pour se sortir du marasme de la crise qui accable toute l'Europe, pour se redonner de nouveaux repères et enfin aborder des rivages plus cléments...
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