Il n'est pas trop tard pour les découvrir... ou les offrir !
l’histoire se déroule entre 1868 et 1873, en France, puis en Nouvelle Calédonie. Victor, suite à braquage familial perpétré avec son frère Alphonse et son père est condamné à 9 ans de réclusion criminelle qu’il effectue, au Mans, puis à Toulon et enfin au bagne de la nouvelle près de Nouméa. Les terribles conditions de détention sont abondamment illustrées par les sévices administrés par des gardiens impitoyables et frappent aussi bien les communards que les prisonniers de droit commun. Aussi effroyable soit-elle, c’est une aventure humaine qui est bien mise en perspective et nous permet de revisiter les règles carcérales du bagne à cette époque.
"Francksbooks", je connaissais pour être abonnée à ce blog et apprécier d’en lire les chroniques. Je ne savais pas en revanche que derrière ce pseudonyme se cachait Franck Chanloup, romancier. Lorsqu’il m’a proposé la lecture de son premier ouvrage "Les enchaînés", j’ai accepté. Découvrir un nouvel auteur et…une maison d’édition, ça me plaisait.
Un nouvel auteur, donc, mais aussi une maison d’édition, qui plus est ultra-marine. Son nom, magnifique, "Au vent des îles" était prometteur de voyage. Il fut beau malgré l’histoire plutôt triste. La couverture l’est quelque peu aussi qui pourtant avec sa couleur sépia et ses personnages d’un autre âge, traduit parfaitement l’époque et le sujet traités. Triste, disais-je, que la vie de Victor, seize ans. Nous sommes en 1868 et il se retrouve accusé d’un meurtre commis par son grand frère. Il fait partie d’une pauvre famille de petits truands habitués aux maraudages sans importance jusqu’au jour où le pire arrive. Victor est condamné à neuf ans de bagne. Il se retrouve à la prison du Mans, est transféré au bagne de Toulon puis quelques mois plus tard vers celui de Nouvelle Calédonie.
"Equarquille tes esgourdes, Victor. Au moindre mouvement tu siffles, compris ?
Le vieux me fait face, sa peau est luisante ; ses yeux, deux petits orifices sombres qui me fixent."
Une écriture de facture classique, simple mais précise, parsemée de mots vieillis, voire argotiques, rend la lecture à la fois limpide et plaisante. Malgré cela, rien ne nous est épargné des atrocités endurées par les prisonniers, du manque de nourriture, du froid qui règne dans les geôles, des vêtements plus souvent proches de haillons, de la cruauté des gardiens et gradés. Impossible de ne pas s’attacher à ce Victor, encore presqu’enfant qui, la nuit, pense aux outils qui lui seraient nécessaires, il veut être cordonnier : "une paire de pinces à trois francs, un marteau à deux francs, deux tranchets à un franc…", impossible de ne pas souffrir avec lui et ses comparses, de ne pas rougir du sort qui leur est réservé, inhumain au-delà de toute limite.
L’auteur est bien documenté qui nous conte les jours par le menu, relate la Commune de Paris, narre l’arrivée des communards au bagne, le voyage vers Nouméa, long et difficile, hommes ferrés, parqués dans des cages en fond de cale, la vie sur l’île. Le rythme pour lent qu’il est au départ s’accélère vers la fin et entraîne le lecteur au pas de course, haletant, jusqu’à une fin de laquelle, naturellement, je ne vous dirai rien.
J’ai beaucoup aimé ce roman, réquisitoire contre une période noire de notre Histoire – une de plus – et véritable outil de mémoire.
https://memo-emoi.fr
Depuis quelques années, Franck Chanloup sévit sur la blogosphère avec ses chroniques pertinentes qui sont des véritables sources d’inspiration pour moi. De par son thème, si ce n’avait pas été le premier roman d’un ami blogueur, je ne crois pas que j’aurais tenter cette lecture. Mais étant fan de son travail, je voulais être aux premières loges pour assister à son passage de « l’autre côté » !
Pour tout vous dire, je suis ravi de l’avoir fait ! Dès les premières pages, on s’aperçoit que l’auteur a un style littéraire bien à lui. En se plaçant dans la tête de son narrateur, illettré et miséreux, il adapte sa manière de raconter. Ce dialogue intérieur est un savant mélange d’écriture exigeante et de mots d’argot. Grâce à cette prose authentique, il nous emporte dans le monde pathétique de Victor. On suit ses mésaventures faites d’emprisonnements, de travaux forcés et de tortures.
La grande qualité de ce roman réside dans sa capacité à incarner l’atmosphère qui règne dans ces lieux sordides. Le lecteur est plongé au milieu des odeurs, de la crasse, des souffrances, du sang, des larmes et en discerne les moindres nuances. Ressentant toutes ses sensations, il vit les déboires du personnage principal à ses côtés, entre en empathie avec lui et s’attache à son destin.
« Les enchaînés » est un récit âpre qui pousse l’âme humaine dans ses retranchements et nous fait découvrir une page inconnue de notre Histoire. Dans ses propres lectures, Franck Chanloup a toujours eu un faible pour les personnages approfondis, pour les romans avec du fond et pour les belles écritures. Avec une maîtrise impressionnante pour un primo romancier, il a su projeter toutes ces qualités dans son nouveau rôle. Le pas est franchi avec succès. Il est donc devenu l’écrivain qu’il aurait aimé chroniquer et pour ça, je lui tire mon chapeau ! Vivement le prochain l’ami !
https://leslivresdek79.wordpress.com/2021/04/26/648-franck-chanloup-les-enchaines/
« Et ceux qui dansaient furent considérés comme fous par ceux qui ne pouvaient pas jouer de la musique. F. Nietzsche & Franck Chanloup. »
Poignant, lucide, « Les enchaînés » est une page certifiée de notre Histoire, percutante et nécessaire.
« Écarquille tes esgourdes, Victor. Au moindre mouvement tu siffles, compris. »
D’emblée le ton est donné. Le livre sera sombre malgré quelques rais de lumière. Qu’importe ! Ne pas se voiler le visage. Inutile d’ignorer ce qui fut et restera dans la nuit des temps. Lire et retenir, suivre cet enfant Victor, des yeux, du cœur, de toutes les latitudes. Son père veuf élève seul ses trois fils. Victor est le cadet.
« André Chenaval, c’est mon patron, quand le vieux veut bien me laisser tranquille. Il m’apprend le métier de cordonnier. Je suis son apprenti comme qui dirait. »
Son père est une brute, une bête noire. Violent et alcoolique, jaloux et sauvage, il frappe ses enfants à coups de haine et de mépris.
« Sans aucune explication, ils m’ont embarqué avec eux. Au moindre mouvement tu siffles et tu fais ce que je te dis, c’est compris ? »
Son père et son frère Alphonse vont commettre un crime. Tuant un homme afin de lui dérober son argent. Victor est obligé d’avouer aux gendarmes qu’il est complice, son frère étant marié avec un enfant, il doit se dénoncer à sa place sur ordre de son père sans état d’âme. Son père le sait pour lui-même se sera la guillotine.
« La nuit tombe, les prisonniers sont allongés au sol. »
Victor perçoit sa chute et ses rêves brisés. Lui, le cordonnier, le jeune apprenti voulait s’émanciper et s’enfuir des griffes de son père. Pourtant, autour de lui gravitent des êtres humbles et respectueux pour lui. Baume au cœur, résurgence, des sourires qui font œuvre de thérapie.
« -Toi, tu vas t’en sortir. Avec ta belle gueule et tes cheveux soyeux, il ne peut rien t’arriver. A seize ans, tu seras bon pour la transportation. Ils ont besoin de gros bras là-bas. Dix ans maximum dans un pays neuf, c’est ce qui peut t’arriver de mieux, crois-moi. »
Mars 1869, tribunal du Mans, l’implacable pour lui. L’enfant va être condamné. Il va avec les autres prisonniers partir pour Toulon. Poulbot que l’on aime de toutes nos forces. La fraternité communicante, bagnards encerclés dans les cellules nauséabondes. Victor ne résiste qu’à la force intrinsèque de l’espérance.
« - Adepte de Proudhon, sale anarchiste, vaurien ! »
Neuf ans de terreurs pour Victor. Le périple jusqu’au bagne de Nouméa en 1872 sera de toutes les épreuves. Enfant balloté, si jeune, dans les violences intestines. A contrario la trame est si douce, si posée que l’on ressent une compassion approuvée pour ces êtres en partance. Elle est un cercle d’hommes et de femmes (Les Pétroleuses) qui s’allient pour résister aux épreuves quasi insurmontables. On a du mal à penser ce bagne réel. Pourtant là où gravitent les forts et les faibles, les soldats et les prisonniers, tant de cruautés exacerbées, les Droits de l’Homme bafoués, La Marianne sanglote.
« -Eugène, il te reste un petit truc pour mon ami ? »
L’enfant a faim, en proie au désespoir. Comment grandir dans cette orée impitoyable ?
« Mais parfois je me dis que pour un condamné à vie, la falaise doit paraître bien attirante. »
Le livre s’achève, pas l’histoire qui restera éternelle. Franck Chanloup lève le voile sur l’évasion advenue. Je ne peux en dire plus. Ici, il s’agit « Des Enfants de la Veuve. » Retenir entre vos mains, la solidarité, la camaraderie, l’alliance des Frères, les prisonniers courant sur la plage, Les enchaînés des lumières. Cet enfant Victor, cordonnier dans l’âme, oisillon tombé du nid sous les injustices, l’inégalité, les horreurs d’un bagne, arrivera-t-il à franchir la rive de concorde ? Lisez ce livre, ce perpétuel pour ne jamais oublier. C’est un devoir de mémoire. Victor est le symbole. Une urgence de lecture. Publié par les majeures Éditions Au vent des îles.
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