Dans le paisible village de Tharcy, l'arrivée de Monsieur Peck et de son incroyable invention vont tout changer...
Dans le paisible village de Tharcy, l'arrivée de Monsieur Peck et de son incroyable invention vont tout changer...
Hors des sentiers battus, des ouvrages étonnants pour assouvir votre soif de découvertes
Trop humain d'Anne Delaflotte-Mehdevi lecture lu dans le cadre des coups de coeur du mois de Femina.
L'autrice revient sur ses propres souvenirs pour cette intrigue ce qui lui permet de construire une oeuvre avec des intriguant personnages, comme Suzie héroïne émouvante et attachante, qui nous plonge en pleine ruralité moderne. Les autres personnages sont aussi percutants et modernes.
Les langues se délient et l'hostilité, les rumeurs, réalité virtuelle et I.A, vieillissement de la population, traumatisme de la seconde guerre mondiale, nature secret et robotique.
La plume de l'autrice laisse une belle part à l'oral avec un style incisif.
"Quand vous êtes vieux, renoncez une fois à un geste, et c'est fini, vos mains ne retrouvent plus le chemin des choses, alors je me coule dans l'habitude, en automatique, et allez, je vous resserre un petit Porto ? Et voilà ! Elle marche, le pas de plus en plus glissé, les hanches de plus en plus fixes. Elle va seule, rien devant, rien derrière."
A Tharcy, le Café du Bal réunit les habitués auxquels se mêlent, depuis quelque temps, des "pièces rapportées" qui ont déserté la ville. Parmi eux, l'excentrique monsieur Peck promène son élégante nonchalance. Derrière le comptoir, Suzie officie depuis 70 ans. Indéchiffrable Suzie, qui a arrimé son existence à son café-restaurant, à sa cuisine et à son jardin et qui voile son histoire tragique sous une limpidité avenante. L'irruption de Tchap, l'Assistant de Vie Electronique de monsieur Peck, conçu par lui-même pour l'aider après une maladie grave, va troubler l'assoupissement du café, du bourg et de Suzie jusqu'à provoquer le drame.
Le roman de Anne Delaflotte-Mehdevi est à l'image de Suzie, son personnage principal : sa lumineuse transparence permet de dissimuler des secrets enfouis au creux des mémoires. En instaurant dépositaire d'une tragédie personnelle, elle-même inscrite dans l'histoire du bourg, un robot, un "non-humain", le récit entrelace passé et présent et interroge de manière lancinante la définition de l'humain. Quelle place pour l'humain dans les actes cruels ? Paradoxalement, Tchap, une machine, montre une humanité dont ne font pas preuve les habitants de Tharcy. La bonté de Suzie, qui nourrit ceux qui lui ont fait du mal, n'est pas synonyme d'oubli, ni de pardon. Immuable dans son café, lieu de vie et de rencontre des habitants, elle demeure le reflet implacable des indignités commises dans le passé. Sa présence même empêche tout oubli, mais elle ne peut empêcher non plus la répétition d'évènements presque similaires. A quoi, alors, sert la mémoire si nul ne prend en compte les erreurs du passé ?
"Trop humain" tisse un maillage serré de thématiques, elles-mêmes générant de passionnantes réflexions, stimulées par une écriture très fluide. Comme une boîte de Pandore, le récit s'ouvre sur le meilleur et le pire de l'âme humaine, sur toute sa complexité, ses méandres et ses linéarités. Un roman épatant qui m'a fait passer par un bouillonnement d'émotions, de poésie et de plaisir.
De l’auteure, j’avais aimé Le livre des heures et adoré La relieuse du gué.
Je retrouve sa plume avec plaisir et suis étonnée qu’elle situe son récit dans un futur proche dans lequel les humains peuvent acheter des AVE, des Assistant de Vie Electronique pour les aider.
J’ai aimé Suzie qui tient la Maison du Bal, hôtel-restaurant qui ne sert plus que 12 repas les midis. J’ai aimé qu’elle raconte à l’AVE nommé Tchap ses parents, sa vie et le cruel décès de sa mère à la Libération.
J’ai aimé que les souvenirs de Suzie soient épars, qu’ils viennent en fonction de ce qu’elle a envie de raconter à ce moment.
J’ai aimé Tchap, ainsi nommé en hommage à Capek, écrivain tchèque inventeur du mot « robot ». Et puis, « a good chap » en anglais veut dire un bon gars.
J’ai aimé la conjugaison du verbe corréler : Tchap doit corréler les informations que lui donne Suzie.
J’ai aimé les leitmotivs : Suzie adore cuisiner les oeufs que lui donnent ses poules ; les veillées pendant lesquels Suzie raconte ses souvenirs ; le champ de foire en face du restaurant de Suzie.
J’ai aimé que Tchap devienne plus humains que les hommes, lui qui pouvait dire sans se tromper l’humeur de Michel ou si la boulangère avait assez dormi. Les hommes eux, ne veulent que du pain frais.
J’ai eu de la peine pour Michel qui ressasse sans cesse ce qu’on fait ses parents contre la mère de Suzie. Ce souvenir reste vivace pour lui, au point que les mêmes causes produisent les mêmes effets.
J’ai aimé que Marius cherche sa place dans le village puis force la porte de Suzie, devenue trop fragile pour continuer de servir en salle.
J’ai aimé cette salle de bal qui renait au fur et à mesure du roman.
J’ai aimé le mot de l’auteure en fin de roman : il ne reste que la mémoire forcément défaillante, celle qui oublie des détails. Et parfois, c’est mieux.
Un bémol : certains débuts de paragraphes qui commencent avec le nom du personnage qui va parler. Puis à la ligne le dialogue commence. Un procédé assez déroutant mais qui évite les « Suzie dit – Tchap répond… »
Quelques citations :
un royaume doué d’extraterritorialité, « fiction juridique » dit le dictionnaire Petit Robert.
L’enjeu suprême sera toujours d’être aimé par un semblable ou d’abuser un semblable. Nos relations avec les AVE se placent à un autre niveau.
Même de l’invention de la roue, une forme parfaite, on s’est démerdé pour faire un instrument de torture !
L’image que je retiendrai :
Celle des veillées de Suzie et Tchap, seuls dans la salle de bal vide.
https://alexmotamots.fr/trop-humain-anne-delaflotte-mehdevi/
Émouvant, d’une beauté infinie, tremblant de sentiments, « Trop humain » est irrésistible.
Le portrait d’une femme, Suzie, âgée et souveraine, dont on aime les gestuelles, les regards et ses pas feutrés.
Elle vit dans le village de Tharcy depuis toujours. Elle gère et affectionne l’unique café, au préalable l’hôtel-restaurant Le Bal.
Chacun connaît l’autre. Les petites manies, les heures ajustées aux persiennes qui s’ouvrent subrepticement. Le village est pleine mutation, par de nouveaux arrivants : jeunes.
Suzie est le point du centre de ce récit sensible et palpitant. Habillée de rituels, de calme et de constance, rien de bouscule son quotidien. Elle est réfléchie, seule et son pragmatisme est l’arbre que cache la forêt.
Jusqu’au jour où monsieur Peck qui vient d’acheter le presbytère, est intriguant et source de conversations à voix basse. Il faut dire qu’il y a une raison à cela, ce dernier vient de concevoir un AVE : un assistant de vie électronique prénommé Tchap.
Ce dernier va semer la zizanie. C’est une machine capable de suivre une conversation « un ressort de l’étrangeté ». Atypique, dans le rythme pavlovien du café, Tchap ne passe pas inaperçu. Il faut dire que monsieur Peck ne se déplace jamais sans lui. C’est un symbole générationnel. La solitude est comblée par une machine. Serait-ce le fléau de notre siècle ?
Anne Delaflotte Mehdevi avance les pions. Le récit est voluptueux, sociétal et mélodramatique. Tchap, le robot, capable d’anthropomorphisme. Peu à peu, il devient complice de Suzie qui ne se sent plus seule. Il reste dans le café jusqu’à plus d’heure. Il est le confident, une bouée de sauvetage , l’exutoire.
Attachant, subtil, perspicace, l’intelligence fine, il va briser la carapace de Suzie. « Monsieur Peck l’a aussi programmé pour alimenter la conversation en matière de sciences, littérature, musique, robotique, programmé pour argumenter, avancer dans une discussion. »
Le village palpite. L’évènementiel d’un quotidien tiré au cordeau est bousculé. Tchap est le point de mire. Suzie s’attache à ce robot. « Parce qu’on finirait par la faire pleurer encore une fois. Une dernière, pour la route. Suzie aurait le temps de composer avec Tchap, avant de le conjuguer, même lui, au passé. »
Tchap, peu à peu, comprend son rôle. Loin des carcans d’une simple machine, il est programmé pour apaiser les doutes, faire remonter la sève du passé de Suzie.
Comprendre que la salle de bal est ornée de secrets. Suzie ne s’est jamais mariée.
L’écriture éclate et étincelle sur les lignes. L’envolée tendre d’une trame, à l’instar de rais de lumière. Pétri d’humanité, ici, les rencontres sont sincères. Marius, un jeune homme cabossé par la vie. Il prend racine dans le café, cherche ses repères et la connivence entre Suzie et lui est du baume au cœur. La rémanence des sentiments, une noria d’oiseaux en plein vol.
Tchap fait danser Suzie. La rédemption boréale. « Trop humain » est tendre comme du bon pain. Judicieux, et sous ses faux-airs, la gravité des grandes importances. Suzie a des faux-airs de la concierge dans « L’élégance du hérisson ».
Intergénérationnel, comme le café du Bal qui va prendre un nouvel élan. Un livre qui accroche ses bras autour de votre cou.
« Trop humain » est le génie littéraire. Publié par Éditions Buchet-Chastel.
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