Lancé en janvier 2015, le Club des Explorateurs permet chaque semaine à deux lecteurs de lire en avant-première un même titre que nous avons sélectionné pour eux et de confronter ainsi leur point de vue.
Cette semaine, Colette a choisi Dominique pour partager sa lecture et son avis sur le livre Pour vous servir de Véronique Mougin (Flammarion).
L'avis de Colette
Son Michel de mari, cuisinier de son état a vu trop grand et leur restaurant est en faillite. Il faut faire bouillir la marmite et les voici donc lui, cuisinier et elle, gouvernante chez les nantis, autrement dit, larbins chez les richards. Je vois bien cela dans la bouche de Michel qui ne supporte pas cet état de "basse caste". Tout ceci grâce à Séraphin, ange gominé, propriétaire d’une agence de placements qui a su voir le potentiel de Françoise.
Nous suivons le couple et, surtout, Françoise dans ses tribulations ethnologiques au pays des ultras riches. Michel, quant à lui, fera une immersion œnologique qui les mènera au divorce. Mais revenons à nos plumeaux ! Attention, vous entrez dans la quatrième dimension. Une contrée où « Un bon employé de maison est un employé invisible même quand il est là. » Leçon n°4. Où « Rares sont les pensées intimes, les fantasmes les plus secrets, les penchants inavouables, qu’une gouvernante consciencieuse ne découvre pas. » Leçon n°18. Eh oui, le petit personnel voit tout, écoute beaucoup de choses ! Mais bon, il y a des limites : « La collaboration courtoise entre patron et employé de maison s’arrête où commence la revendication salariale ». Leçon n° 8
C’est qu’il faut avoir l’échine souple dans ce métier de gouvernante. Accepter d’être corvéable à merci, ne pas avoir de velléité d’indépendance, regarder les patrons vivre leurs vies de nababs, mais ne pas vivre sa propre vie. Comme l’écrit l’auteur : « leur vie s’écoule gentiment, sans eux » Leçon n°23.
Ce livre est judicieusement conçu. A chaque maison le même rituel. Découverte des patrons, connaissance du milieu, immersion totale dans le microcosme puisque Françoise sera toujours logée, plus ou moins bien, mais logée, fin de la collaboration et pour clore le compte-rendu de mission, une petite leçon pleine d’ironie, de sagesse, de vérités. Une sorte d’anthologie de la gouvernante qui ne tient pas le gouvernail. La description du contrat en CDI de la page 363 est un résumé savoureux de la vie de gouvernante.
Véronique Mougin, même si elle pratique l’ironie pour décrire les patrons n’est jamais trop méchante. Pas de vitriol, comme si elle contenait ses émotions, mais une amertume et une rancœur certaines.
Livre lu dans le cadre du Club des Explorateurs initié par le site lecteurs.com. Je remercie Karine pour cette lecture édifiante et savoureuse.
L'avis de Dominique
Parce qu’il commence comme un récit, ce roman m’a tout d’abord interpellée : vais-je plonger dans les récits révoltés d’une gouvernante acariâtre et frustrée alors que j’imaginais lire un bon roman ? Ou vais-je me retrouver dans la tête d’une employée rebelle qui saura me décrire les tribulations d’une gouvernante avec un œil aussi critique et divertissant que Les tribulations d’une caissière d’Anna Sam, ou le Absolument dé-bor-dée ! de Zoé Shepard ?
Françoise, la narratrice, nous parle des années qu’elle a passé au service des ultra riches, et qui semblent être aujourd’hui derrière elle par on ne sait quel heureux coup de pouce du destin. De sa rencontre avec Michel, son mari, dans un bistrot parisien, à la naissance imminente de sa petite fille, toute une vie va défiler. Alors que leur couple allait plutôt bien, les années de galère après l’achat malchanceux d’un restaurant dans le sud de la France vont pousser cet ancien cuisinier à boire. Mais il faut rembourser les dettes et donc travailler, Michel n’ayant pas su passer le cap de "patron d’un restaurant" prospère puis lourdement endetté, à "employé de maison" salarié et servile, Françoise saura s’en séparer pour avancer seule dans cette vie au service de patrons tous plus bizarres les uns que les autres. Françoise et son mari, puis Françoise sans son mari, vont évoluer pendant vingt ans de Neuilly à Saint-Cloud, d’un château dans le Lubéron à un palais de prince arabe, de Genève à Paris.
Bienvenue dans ce monde où les ultra riches ne sont pas toujours ceux que l’on croit, où la culture, la connaissance, la bonne éducation, mais également la confiance, la générosité, le partage, la bienveillance, l’altruisme, la reconnaissance, sont souvent des qualités répandues avec parcimonie. Bienvenue aussi dans le monde des tensions et cruautés entre le personnel qui veut garer sa place et ses petits privilèges et le nouvel arrivant, dans le monde des délations, des méchancetés, mais aussi parfois dans celui de l’amitié et du partage.
L’auteur a su donner à la succession des employeurs de Françoise des caractères et des vies assez éloignés les uns des autres pour nous intéresser à ses tribulations et à ses misères, à ses aspirations, à ses difficultés. Car il est quasiment impossible à Françoise d’obtenir une augmentation ou un logement correct de patrons qui vivent dans des palaces, ou, alors qu’elle travaille sans compter ses heures, d’obtenir de simples jours de congés pour s’occuper de son propre fils, lui qui, l’adolescence arrivant, aura tant de mal à voir ses parents se transformer en domestiques serviles.
Ponctué des quelques "leçons" que Françoise va tirer de ses expériences et de ses contrats tous plus cocasses les uns que les autres, c’est un roman très plaisant et divertissant à lire, qui fait passer un bon moment. L’écriture est agréable, drôle et enjouée, ni méchante ni vindicative, avec un zeste d’humanité, et ce malgré parfois quelques répétitions.
Merci à Colette et Dominique pour ces chroniques passionnantes !
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