Petit problème d’impression, de livraison ? A l’heure où on bouclait, le numéro d’avril du Matricule des anges n’était toujours pas en kiosque… On fera donc sans. Ce n’est pas comme si la matière faisait défaut, en même temps : les découvertes, les sujets de réflexion — et de discussion — ne manquent pas dans la presse livres en ce début de printemps !
Pourquoi rééditer "Mein Kampf"
Un sujet costaud — délicat — pour commencer ? Ce mois-ci, Books consacre son dossier de couverture à… "Mein Kampf" d’Adolf Hitler. La réédition en Allemagne de ce livre-poison, "le mal fait texte" comme l’écrit Baptiste Touverey, tombé dans le domaine public le 1er janvier 2016, méritait bien d’être étudiée. "Réalisée par l’Institut d’histoire contemporaine de Munich et fruit de plusieurs années de travail", cette édition savante « a suscité des remous outre-Rhin, indique "Books". Pourtant, jamais le brûlot d’Hitler n’avait été commenté de façon aussi riche et précise, jamais les innombrables inexactitudes et mensonges qu’il contient n’avaient été ainsi traqués et réfutés ». Difficile, donc, de faire comme si elle n’existait pas…
Hitler inexact et menteur
Impossible de détailler ici toutes les infos contenues dans le dossier de dix-sept pages que "Books" a — très intelligemment — constitué à partir d’articles parus dans la presse allemande. Nous n’en retiendrons donc que l’essentiel, à commencer par les "inexactitudes et mensonges" d’Hitler que les historiens chargés d’éditer le livre ont pu mettre en lumière et que synthétise pour nous "Der Spiegel". Pour construire sa "légende", le Führer raconte qu’il a été pauvre. Il a, certes, vécu chichement "en peignant des cartes postales" mais seulement après avoir passé une année sans travailler "grâce à l’héritage maternel, à une pension d’orphelin ainsi qu’au prêt d’une tante". "Vraisemblablement" faux, également, le passé "ouvrier" du Führer qui, au surplus, "se met en scène comme "un individu sorti de nulle part" " alors qu’il était entouré de sa sœur Paula et d’autres membres de sa famille. Plus perturbant : "le futur meurtrier de masse (minaude) en affirmant que sa conversion à l’antisémitisme aurait été sa "transformation la plus difficile" ". Ca se passe de commentaire.
Le "programme" écrit noir sur blanc
Si "l’Holocauste n’apparaît pas dans Mein Kampf, Hitler y dévoile "ses projets avec une franchise aussi frappante que naïve", indiquent les éditeurs de l’ouvrage. Sa vision du monde y transparaît clairement, qui "se caractérise par un mépris du genre humain". Pour lui, "la guerre n’est pas un mal", "la Paix et l’Etat de droit ne sont pas des avancées mais des signes de décadence. (…) Il affirme que l’humanité sombrerait si les juifs — ces "vampires des peuples" — l’emportaient dans la lutte titanesque qui se prépare entre la création et la destruction, le bien et le mal". Son programme, en trois mots : "la dictature, le meurtre et la guerre". Tout était donc écrit, noir sur blanc. Ce qui veut dire que ses lecteurs savaient à quoi s’en tenir… "Mais dans les milieux bourgeois et ceux de la gauche, note "Der Spiegel", personne ne prit le livre d’emblée au sérieux". C’est effroyable, non ?
Noir rural
Passons à plus léger, hmm ? En ce mois d’avril marqué par la tenue de l’immanquable festival Quais du Polar de Lyon (notez-le dans votre calendrier pour l’an prochain, c’est vraiment bien !), "Lire" a choisi de se pencher sur le roman noir, ses incontournables, connus et moins connus, et sur un genre particulier : le polar de campagne. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a pas qu’aux Etats-Unis que les grands espaces inspirent les auteurs de romans à frisson. Nos champs, nos forêts et nos bois recèlent aussi bien des mystères que Benoît Minville (Rural noir, Gallimard) et Franck Bouysse (Plateau , La Manufacture de livres) s’emploient à nous révéler, sur un mode bien français et tout ce qu’il y a de plus contemporain. Comme l’observe Christine Ferniot, ce genre — ou ce sous-genre —, quoiqu’en pleine expansion, n’est pas nouveau, Pierre Pelot, "le parrain", étant passé par là… Plus "neuf", et plus étonnant, est "le roman noir pour femmes mûres"… Ma, mais qu’est-ce que c’est que ça ?
Le "roman noir pour femmes mûres"
Absents du dossier "spécial polar" de "Lire", "les romans noirs destinés aux femmes d’âge mûr (…) rencontrent aujourd’hui un immense succès", nous apprend "Books". Auteur d’un article sur le sujet, publié dans "The Chronicle of Higher Education", Paula Rabinowitz explique que l’essor de ce nouveau genre repose sur un double sentiment de frustration. D’un côté "(l’)étouffement des talents féminins sur le lieu de travail ", de l’autre, le "refoulement des désirs féminins dans la famille". OK. Et, en clair, sinon, concrètement, ça donne quoi ? "En un sens, décrypte Paula Rabinowitz, ces ouvrages abordent indirectement le problème de la violence domestique, mais pour l’inverser, puisque, dans la vraie vie, les hommes commettent près de 90 % des meurtres, dont la victime est souvent leur compagne". Faut-il comprendre qu’ici, les sages épouses se transforment en meurtrières ? Vous avez tout compris ! "Aujourd’hui, laver les vitres ; demain, découvrir que son conjoint a étranglé une femme, résume la journaliste. Mais le jour d’après… eh bien : "Lecteur, je l’ai tué"". Wow, carrément ! Et on trouve ce genre de livres en français ? Oui, da : « Books » a pensé à tout, et cite, en exemple, Le secret du mari de Liane Moriarty, publié chez Albin Michel. Un livre traduit, donc. A quand un "roman noir pour femmes mûres" 100 % français ?
Frédéric Ciriez à l’unanimité
Que lire d’autre, de nouveau et de frais, en ce mois d’avril ? Un livre semble faire l’unanimité : Je suis capable de tout de Frédéric Ciriez (Verticales). On y suit les aventures d’un fils de famille, Paul Béranger, auteur de « la bible du psycho-training », d’une de ses — trop — fidèles lectrices, prénommée Julie, et de sa fille, heureusement plus affranchie. " "Je suis capable de tout", le titre du livre ne ment pas, Ciriez l’est. Et d’abord de nous faire rire", écrit Oriane Jeancourt Galignani dans Transfuge. "C’est avec une malice jouissive, note Baptiste Liger dans "Lire", que Frédéric Ciriez (…) fait s’entrechoquer (…) le langage des manuels censés vous aider au quotidien et le vocable de la romance kitsch, critiquant au passage la dictature contemporaine du bonheur à tout prix". Testé et approuvé, on dirait…
Zia Haider Rahman prometteur
Vous avez envie de quelque chose de plus savant et de plus réfléchi ? A la lumière de ce que nous savons de Zia Haider Rahman (Christian Bourgois) pourrait bien faire votre affaire. Très largement autobiographique, le roman raconte l’ascension d’un "Gatsby contemporain, qui intègre l’élite britannique sans jamais dire d’où il vient, grâce à une brillante éducation intellectuelle, pour ne pas dévoiler ses origines. Jusqu’à ce qu’il explose en plein vol, raconte "Transfuge". (…) L’écrivain n’a pas le romantisme de Gatsby mais la lucide connaissance des classes supérieures de Fitzgerald, nuance le mensuel. Son amertume nourrit un brillant réquisitoire romanesque sur l’impuissance des élites à accueillir la singularité d’un Haider Rahman". "L’ambition et l’intelligence de Rahman montrent déjà la naissance d’un grand talent, assorti d’une haute idée de la littérature", confirme Baptiste Liger. Le journaliste de "Lire" est en revanche moins emballé par la volonté de l’auteur de tout embrasser : "considérations historiques, économiques, géopolitiques (…), philosophiques, narratives ou mathématiques" qui, selon lui, "nuisent à la fluidité de l’ensemble". La lecture de A la lumière de ce que nous savons est, apparemment, un poil exigeante… Au moins, vous êtes prévenus, hein ?
Michael Cunningham à l’heure du conte
Et côté grosses têtes d’affiche, qu’a-t-on en rayon, ce mois-ci ? Un recueil de contes intitulé Ils vécurent heureux, eurent beaucoup d’enfants, et puis…, publié chez Belfondet signé par l’auteur des Heures, on a nommé… Mr Michael Cunningham, bien sûr ! Et ? Et, à en croire Christine Ferniot de "Lire", hé bien… ça n’est pas tout à fait ça. "Ce recueil fantaisiste, écrit-elle, est parfois gracieux, souvent astucieux, rarement convaincant, et le mot "désenchantement" est alors à double tranchant". Houlà ! C’est si grave que ça ? A lire l’interview que l’auteur a donnée à Diacritik, le projet, l’intention, paraissent pourtant loin d’être inintéressants : "Quand j’étais enfant et que ma mère ou ma grand-mère me lisaient ces contes et que tout se termine sur les mots "ils vécurent heureux, etc. ", explique l’écrivain, je disais "ben continue, et après, il se passe quoi ? ". Et on me répondait : "c’est fini". Mais non, ce n’est pas possible, il leur arrive quoi après ? Et ma mère allumait une cigarette et me disait d’aller au lit. Ma mère ne peut plus m’envoyer au lit. Donc certains de ces contes ont pour sujet l’après "ils vécurent heureux", le fait que nos vies se confrontent à ce "ils vécurent heureux" et que le bonheur est bien plutôt affaire d’une heure, une journée, de moment présent ; donc je voulais qu’ils disent cette ambiguïté et cette complexité du monde des adultes". Une belle idée, non ? D’autant plus belle qu’elle est en plus très joliment illustrée, comme on le voit sur le site de Diacritik… Peut-être… peut-être ce Cunningham inattendu, "différent", mérite-t-il malgré tout un coup d’œil ? Perso, nous, ça nous a fait envie. A vous de voir !
David Foenkinos et le désir d’être lu
Vous le savez forcément : le nouveau livre de David Foenkinos, Le mystère Henri Pick (Gallimard), vient de sortir. "Lire", pour l’occasion, publie un long entretien — de six pages ! — avec l’auteur de Charlotte. On en a retenu deux passages. Au cœur du "Mystère Henri Pick", il y a la découverte d’un chef d’œuvre dans une bibliothèque constituée de livres refusés. Et l’idée, ainsi résumée par David Foenkinos, que l’on peut "s’assouvir artistiquement uniquement par la création, et pas du tout dans l’attente de la réception de cette création". Cette idée, souligne l’écrivain, ne va pas de soi, et va même à l’encontre de ce que, lui, personnellement, ressent profondément : "Dans ce livre, confie-t-il, en effet, je dis qu’écrire pour soi, c’est comme faire sa valise sans partir en vacances : un écrivain est dans le mouvement, dans la destination. (…) Pour moi, il y a dans toute entreprise artistique le désir d’être compris, d’être aimé, d’être intéressant aux yeux de quelqu’un".
Pourquoi David Foenkinos écrit
"Je me rends compte que le but caché (de l’écriture) n’est pas de mieux se comprendre, mais de revisiter les émotions que l’on a connu au plus profond de nous-même, dit encore l’écrivain à "Lire". (…) Mais ça ne fait pas pour autant de moi quelqu’un de nostalgique (…). Au contraire, c’est une façon pour moi d’être dans une forme de jouissance de ces moments, une jouissance qui est profondément liée à l’événement le plus marquant de ma vie : à 16 ans, j’ai eu une infection à la plèvre (…). J’ai été au bord de la mort (…). De cette expérience, j’ai gardé une tension de vie qui intègre le fait qu’on n’est peut-être jamais loin de la fin". Brrrr ! C’est intense, tout ça ! Bah, c’est comme ça, les livres : ça remue tout plein de choses. Chez les écrivains, comme chez les lecteurs. Difficile, du coup, de s’en passer, pas vrai ?
© Barbara Lambert
Merci pour cette chronique dense et pétillante