L’un des meilleurs romans de la rentrée, sans doute le plus vache, érudit et séduisant.
L’Île introuvable, quatrième roman de Jean Le Gall (Robert Laffont) a conquis les explorateurs de la rentrée, sous le charme de cette plume néo-hussarde.
On retrouve la critique de François, éloquente et précise, sur ce roman qui fait partie des 50 proposés aux explorateurs cette année.
L'avis de François sur L’Île introuvable de Jean Le Gall
L’île introuvable, une surprise ! J’en termine la lecture, ferme le livre, le dépose sur la table. Je le regarde et me contemple : trempé, éclaboussé de la tête aux pieds par des évocations, des anecdotes, des critiques à l’égard d’écrivains et de leurs écrits. J’émerge d’un bain de littérature, à tout le moins d’une douche de critiques littéraires. Je ne m’y attendais pas ! Je laisse dégouliner, je respire, reprends souffle et je tâche de me faire une opinion.
Qu’ai-je bien pu trouver à cette île introuvable ?
La fragrance qui colle à la peau, le musc qui imprègne mes doigts après avoir tourné chaque page de ce récit romanesque est un subtil mélange des traces laissées par des ‘huiles littéraires’ s’étant un jour crues essentielles : Balzac, Cohen, D’Ormesson, Dumas, Houellebecq, Hugo, Sulitzer, pour ne citer qu’eux, de mémoire mais dans l’ordre alphabétique, et par un auteur original, Jean Le Gall, atypique dans le traitement de son sujet.
En effet, « L’île introuvable » est avant tout un roman littéraire. Un roman ‘genèse’ qui expose les affres et tourments d’un ‘écrivant’ rêvant de devenir écrivain et d’être publié, lu, encensé par les lèvres du tout Paris. Ce qui apporte de l’originalité dans le traitement du sujet, somme toute assez commun, c’est la prise pour cibles de toutes ces huiles dans le chef d’Olivier Ravanec, anti-héros, auteur en quête d’imagination qui voudrait jouer dans la cour des grands et qui sue toute sa rancœur de ne pas l’être. Il n’a trouvé pour se sentir un peu moins mal que l’idée de prendre plaisir à déprécier tous les capitaines aux longs cours de la littérature qui ont jeté l’encre bien plus loin que lui. Ce roman est donc une histoire de jalousie !
Mais c’est aussi un roman d’amour et de jalousie !
Une histoire teintée de passions confirmant l’adage : ‘l’amour commence à trois !’ Car Ravanec ancre sa vie dans un amour décalé pour Dominique Bremmer, cadre des Editions Gallimard, alors que l’amour en date est un autre, celui qu’elle porte à Vincent Zaid. Tandis qu’elle excelle dans l’art de plaire et déplaire, toujours occupée à se montrer trop vraie sans jamais être vraiment de son temps, lui se vit tout à la fois criminel, mafieux, impresario de génie, noceur, amoureux transi, violent et assoiffé de vengeance. Et, bien sûr, ce roman d’amour sera donc aussi un roman de jalousie qui ne sera pas que littéraire, et pourra virer à la vengeance.
Enfin, L’île introuvable est peut-être avant tout le roman de la désillusion. Zaid, Bremmer et Ravanec n’ont jamais imaginé devoir s’adapter au temps d’après. Le monde leur appartenait, déjà ou en promesse ! Comme du sable, il a fui entre leurs doigts. Les certitudes d’hier sont devenues inadaptées, celle de demain pas encore inventées. Comment se sentir de nouveau appelé à vivre après avoir brûlé une jeunesse pensée éternelle? Vivre une telle métamorphose tiendrait du miracle… Mais, il en est, dit-on, capables de faire renaître des Phénix de leurs cendres… Mais là, silence ! Je ne dirai rien de plus à propos de l’histoire. A chacun de larguer les amarres, cap sur l’île…
Quant à l’écriture, j’ai aimé chez Jean Le Gall l’art de bâtir un roman qui se façonne à travers le temps, les époques, les priorités d’alors et les ambitions de toujours. Il utilise beaucoup, mais de manière efficace, la mise sous tension d’idées proches dont la juxtaposition inattendue fixe le cadre, les personnages, leurs idées. Ex : « Dans les campagnes, les coqs se répondent. En ville ce sont les voitures. » ou « Je veux faire un roman romanesque ou le sujet serait la littérature. […] ou tout ce qui est proscrit dans les recettes habituelles serait autorisés : l’humour, la digression, le commentaire du commentaire, le mélange des genres […] et même la politique. Un roman total, totalement emmêlé. »
Incontestablement, il a le sens de la formule et bien qu’il fasse dire à Ravanec : « C’est curieux: mes idées semblent appartenir à tous et mes sentiments ne tenir qu’à moi », le lecteur se prendra plus d’une fois à partager les sentiments des personnages sans nécessairement faire siennes leurs idées. A travers son écriture, Jean Le Gall lève le voile sur la vie de tout écrivain en butte avec ses points de vue, qui assènent des vérités aussi irréfutables que les contrevérités qui leur donnent corps. Le roman touche alors à plus grand, plus large que lui, le roman se fait invitation !
Permettre au lecteur de croire l’histoire, d’accepter le romanesque de cette île qui concentre des personnages pleins de curiosités ! Et tant pis si l’on perd parfois le fil du récit, noyé de digressions telle la représentation du système planétaire des grands noms de la littérature (digressif mais superbe travail, repris aux pages 242-243). L’auteur se connaît amateur de chemins de traverse et de digressions. Et s’oblige à ponctuer son récit d’une voix off rassurante : ‘On se rappellera que Ravanec…’ Surfant sur ces ruptures de rythme, le lecteur pourra méditer sur le fait que toujours, face au temps qui passe, les modes se façonnent, s’estompent et s’effacent. Au-delà ou à cause de cette « île introuvable », le lecteur prendra davantage conscience de ce temps qui passe.
Puisse-t-il avoir envie de reprendre en main le sien et de s’immerger, une fois encore, dans ce que les écrivains ont à nous conter.
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Merci pour cette belle chronique ! J'ai hâte de lire ce roman qui me paraît très intéressant et non conventionnel.
Merci pour cette chronique sur ce roman "d'amour et de jalousie"!