L'Odeur de la forêt est le quatrième roman d'Hélène Gestern. Si l'on y retrouve ses thèmes de prédilection, la mémoire, le secret de famille, le pouvoir de la photographie, c'est de loin le plus ample. C'est à un véritable voyage qu'elle nous convie et on embarque avec elle dans ce texte prolifique, multiple, surprenant dans ses rebondissements, avec toujours ce sentiment d'être au plus près de l'émotion. Texte multiple donc, d'abord par ce qu'il donne à voir : l'horreur physique et psychologique de la guerre des tranchées, la période trouble et héroïque de l'occupation, et le présent de la narratrice. Multiple aussi par les formes d'écriture choisies : journal, correspondance, narration directe.
L'avis de Christophe :
Hélène Gestern dessine, au fil de sa production littéraire, la carte du tendre de nos souvenirs, de notre passé, de notre mémoire collective. Avec l’odeur de la forêt, son quatrième roman, elle poursuit son œuvre, et cet ouvrage vient comme l’aboutissement des trois premiers. Comme si d’un côté nous avions une sorte de triptyque (attention les trois premiers romans ne sont pas une trilogie, ne se suivent pas et peuvent se lire dans un ordre aléatoire) qui fixe les bases de sa production littéraire, établit son style, et de l’autre côté ce livre, comme une apothéose, parfaitement maitrisé, la pierre angulaire de sa carrière.
Traité à la première personne, le personnage principal, Elisabeth Bathori tient son journal dédié à l’absent (on comprendra très vite qu’elle est en période de deuil d’un compagnon décédé dans un contexte difficile). Cette historienne de la photographie va hériter d’un fond précieux, les lettres d’un lieutenant, écrites de 1914 à 1917 (il mourra au front). Avec ce simple point de départ, Hélène Gestern va déployer un roman de 700 pages prodigieux et vertigineux.
L’auteur nous entraine dans l’enquête menée par l’historienne pour remonter le fil de ces lettres, percer quelques énigmes, éclaircir les zones d’ombre que fait naitre l’Histoire (avec un grand H), mais également dans la quête de son personnage qui va partir à la redécouverte d’elle-même et refaire surface après son deuil.
C’est toute une galerie de portraits que l’on visite au fil des pages, entre les personnages du passé (famille et amis du soldat) et ceux du présent qui entourent Elisabeth.
En dehors du sujet, de cette histoire aux mille ramifications (un arbre généalogique n’aurait pas été de trop) c’est tout un univers qui se dévoile peu à peu autour du personnage principal, ses lectures, ses gouts musicaux, les souvenirs de sa mère et de son enfance, sa pratique de la natation, ses amours, son travail, son deuil. Là est un des points forts du roman, nous faire approcher au plus près de l’intime d’Elisabeth, par petites touches, comme des petits cailloux semés au fil des pages. Les passages où elle évoque cet intime, où elle dévoile son être, sont d’une sensibilité rare.
Et puis, il y a le style, précis, subtil, d’une finesse et d’une acuité dans la description des sentiments, qui crée le lien avec le lecteur, le rend familier des personnages, comme des amis que l’on suit tout au long du récit. Quant à la forme, Hélène Gestern maitrise de bout en bout son roman, entrecoupe le récit à la première personne, des lettres écrites pendant le conflit, d’extraits d’un journal intime d’une jeune fille prise dans la tourmente de la Grande Guerre ou de courts chapitres en italiques qui viennent éclaircir les zones obscures de l’histoire. Le récit étant apprécié sous l’angle d’une seule personne (l’historienne) et d’une seule époque (de nos jours), ces éclairages en italiques nous rappellent que nous réécrivons notre histoire, en comblant les vides par notre propre perception, souvent bien loin de la réalité historique. Un tour de force que réussir à croiser les époques, les styles, les personnages sans jamais perdre le lecteur, avec une incroyable capacité de description des photos, des objets, des choses, des gens (on retrouve ici, l’exécution parfaite de la technique littéraire de l’auteur déjà employée dans ses précédents romans).
Un roman dense, puissant, envoutant, teinté de mélancolie et de fascination pour une période, cette guerre de 14 qui continue de hanter notre mémoire collective, ces fantômes de la Grande Guerre que l’on cherche à ressusciter afin de leur rendre leur place et l’honneur qui leur est dû.
Un grand merci à Christophe de nous faire découvrir avec passion et enthousiasme ce roman et pour ses réponses à nos questions.
Le livre qui a bercé votre enfance ? Plusieurs, mais à tout seigneur tout honneur : Jules Verne, Le tour du monde en 80 jours en version courte pour enfants, même si, avec le recul, je trouve que 20 000 Lieues sous les mers ou Voyage au centre de la terre, sont des chefs d’œuvres
Aujourd’hui, je me rends compte que ce qui a forgé mes gouts est une littérature « féminine ». Mon éducation de lecteur a été faite sous l’impulsion de ma grand-mère maternelle et de sa sœur. J’ai été nourri de romans comme : Rébecca de Daphné du Maurier, Pavillon de femmes de Pearl Buck, des sœurs Bronté, Ruth Rendell, Patricia Highsmith, Les Gens de Mogador d’Elisabeth Barbier, Le Pays du Dauphin vert d’Elizabeth Goudge.
Un seul homme tire son épingle du jeu, Irwin Shaw avec Le Bal des maudits ou Quinze jours ailleurs. … Certains de ces ouvrages (d’époque), sont encore dans ma bibliothèque, gardés précieusement comme un héritage affectif.
Plus tard, mais la voie était ouverte, je me suis naturellement tourné vers Karen Blixen, Sylvia Plath ou encore Magaret Atwood dont Le Tueur aveugle ou La Servante écarlate sont à mes yeux des classiques que l’on devrait faire lire .
Pour compléter le tableau, ma grand-mère paternelle, m’a fait découvrir La dynastie des Forsyte de J Galsworthy – Le choc de ma vie ! J’aime beaucoup l’idée de cette double culture qui voit s’affronter les Gens de Mogador contre la Saga des Forsyte, français contre anglais, on avait rien fait de mieux depuis la guerre de cent ans.
Le livre qui vous donne le moral ? Le moral n’est pas le mot exact, mais relire régulièrement les romans d’Agatha Christie avec Hercule Poirot, ou Miss Marple … c’est comme retrouver de vieux amis, on les connaît, on sait exactement comment ça va se passer et on est jamais déçu. Le Crime de l’Orient-Express, Dix petits Negres, Le miroir se brisa, La nuit qui ne finit pas, sont des œuvres que je relis régulièrement avec le même plaisir et la même joie malicieuse à la fin.
Le livre qui vous rend triste mais que vous lisez quand même ? Même réponse que pour le moral, ce n’est pas de la tristesse, mais des sentiments forts qui s’emparent de vous au fil de votre lecture, qui vous hantent, vous gênent, vous « grattent » là où ça fait mal. Des romans comme Une constellation des phénomènes vitaux de Anthony Marra, Illska de Erikur Orn Norodahl, Aucun homme ni dieu de Willian Giraldi, vous asphyxient littéralement, vous lisez en apnée. Ce sont des romans très durs dont on ne ressort pas indemne
Le livre que vous relisez tout le temps ? Sans hésiter Madame Bovary de Gustave Flaubert, lu au lycée, et depuis, tous les 10 ans je m’y replonge. En vieillissant je ne relis jamais le même livre, mon esprit s’attache à de nouveaux détails, des émotions, des sentiments que je redécouvre sous un autre angle. Une des plus belles œuvres du 19me, avec Le lys dans la vallée de Honoré de Balzac.
Et vous ?
Si vous étiez un livre, vous seriez ? La princesse de Clèves de Madame de Lafayette. Un roman sublime, une petite pépite littéraire, court et si dense, si magnifiquement écrit, tout en finesse, en subtilité, en sous-entendus, l’œuvre ultime.
Si vous étiez un personnage de roman, vous seriez ? Ha, alors réponse double : en bon marseillais, Edmond Dantes Le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas, reste un roman fou. On se laisse emporter par l’histoire et chose incroyable impossible de décoller le nez des pages. C’est LE « pagge-turner » avant l’heure. Ou alors, le Pharaon du Roman de la Momie de Théophile Gautier, personnage superbe.
Si vous étiez un auteur ? Question horrible. Si j’ai droit à trois réponses je dirai : Iris Murdoch, Anne-Marie Garat et Virginia Woolf, encore des femmes ! J’aime l’idée que ces auteures arrivent à créer un « corpus », une œuvre globale avec des entrées diverses selon les romans (tous différents) mais avec des grands sujets et thèmes transversaux que l’on retrouve malgré tout de roman en roman. La religion et la foi chez Iris Murdoch. Le hasard ou synchronicité (selon votre appréciation des événements) et le mouvement des objets chez Anne-Marie Garat, si j’étais un étudiant en faculté je crois que pour cette dernière, j’en ferais un sujet de thèse.
beau portrait