Souvenez-vous, il y a quelques mois, nous vous proposions de participer à une expérience d’autobiographie collective avec Mathieu Simonet qui a mis à votre disposition 50 carnets récupérés après la Nuit Blanche 2014.
Vous avez été nombreux à partager un texte sur votre adolescence. Un grand merci à tous pour votre participation !
Mathieu Simonet a reçu et lu l’ensemble de vos textes. Cinq ont été retenus et ont fait l’objet d’une lecture musicale le mardi 23 juin à Paris dans l’extraordinaire Musée des moulages de l’hôpital de Saint-Louis.
Cette semaine, chaque jour, nous vous proposons de découvrir à votre tour l’un de ces cinq textes publié anonymement.
Carnet 2 :
J'avais 17 ans et j'avais, non pas enfilé mon pull au joli coloris bois-de-rose, mais je l'avais mis sur mes épaules.
Je croise le prof d'Anglais dans la cour du lycée. « Vous n’êtes pas à Saint-Tropez ici ! ».
Ça c'est sûr, je n'étais pas à Saint-Tropez, j'étais à Blois, dans un lycée que j'ai toujours détesté pour son côté conservateur et inhumain.
Je venais de perdre ma mère, après plusieurs hospitalisations.
C'est difficile de voir sa mère souffrir et de déjà percevoir que la maladie nous confronte à la solitude.
J'ai conservé dans ma bibliothèque d'adulte, les récits d'écrivains que j'ai pu lire au fil de l'eau qui relatent une expérience similaire. Simone de Beauvoir, Albert Cohen, Le Clézio, Annie Ernaux… A l'époque, je parlais peu mais lisais beaucoup.
Dans ce lycée, il s'est également passé un événement dont je n’ai jamais parlé ! J'étais moi-même externe dans ce lycée qui par ailleurs avait un grand internat de filles. Un matin, le cours fut interrompu, les internes (6 ou 7) étaient convoquées par la direction.
On apprit ensuite qu'elles avaient été exclues du lycée.
Pour quel motif ? Une jeune fille de 16 ans, qui n'était pas dans notre classe, mais qui était interne, avait caché sa grossesse à ses parents qui n'avaient rien vu (ce qui me semble aujourd'hui complètement incroyable, une mère, même très myope, a une intuition maternelle qui lui permet de comprendre ce qui ne peut se dire, enfin, en principe…). Les profs n'avaient rien vu non plus d'ailleurs ! Ou pire, avaient fait semblant de ne rien voir : la grossesse n'était pas dans les programmes scolaires ! Et cette jeune fille a accouché une nuit dans le dortoir de l'internat. On peut imaginer sa panique et son désarroi dans cette situation.
Le renvoi des internes a été motivé par la directrice au motif qu'elles n'avaient rien dit alors qu'elles devaient le savoir. Je crois que je n'ai jamais été confrontée à une plus grande injustice au cours de mon adolescence.
2 des internes renvoyées n'avaient pas de famille et ce fût pour elles également la fin d'une scolarité. Certaines avaient des problèmes dans leurs familles : parents en cours de séparation ou déjà séparés « qui allait s'occuper d'une ado à problème ? ».
Aujourd'hui, j'ai 63 ans et ce souvenir est toujours vif dans ma mémoire. J'ai fait beaucoup de choses dans ma vie et en particulier pour l'éducation, l'enfance, l'adolescence, les jeunes adultes… A chacun ses responsabilités, et c'est aux adultes de montrer l'exemple pour que le cours d'une vie ne bascule pas vers des choses vraiment très difficiles à réparer.
Mais il me semble bien qu'en 2015, la société est devenue un peu plus intelligente sur ces sujets.
Et quant à moi, je continue à aimer beaucoup lire mais en plus, je parle beaucoup et même j'écris !