"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le bout du monde est une fenêtre interroge la distance entre soi et l'horizon, le jour et la nuit, les êtres et les désirs. À travers la fenêtre d'une maison penchée, Rose et Samuel engagent leurs solitudes dans un dialogue sans mots, plein de folies et de secrets. En écho, les voix des personnages, tous des marginaux, se relaient, dans ce théâtre d'ombres où perce l'envie de vivre et d'habiter le pays.
Quand sa grand-mère décède, Samuel, huit ans, sait qu’il doit quitter Suzanne, ce village pauvre de pêcheurs, pour partir tenter sa chance à Port-au –Prince. Il quitte le bord de mer pour une ville immense et sale où viennent s’échouer tous les miséreux.
L’enfant va de rencontres en rencontres, jusqu’à ce vieil homme, Marcel, qu’il aide dans son commerce d’alcool.
Devenu jeune homme, Samuel trouve de l’embauche dans un garage qui fait face à une drôle de maison penchée. Là vivent les mulâtresses Lilas et Rose, avec leur mère qui s‘enfonce dans la folie. Rose, qui ne sort jamais et qui a peur de la vie, reste des heures derrière le rideau de sa fenêtre à observer l’animation du garage. Elle a remarqué Samuel, solitaire et silencieux, si différent des autres, tandis que le jeune homme passe son temps à fixer sa silhouette derrière le voilage. Il se prend de passion pour la jeune fille à peine entrevue. Un monologue s’installe de part et d’autre de ces deux solitudes que la différence sociale sépare. Pour Samuel, Rose devient Metrès Dlo, cette sirène qui apporte la fortune aux hommes qu’elle se choisit, mais qui peut aussi les précipiter dans la mort.
Ce roman raconte deux vies, deux destins qui s’observent mais ne se rencontrent jamais si ce n’est dans l’imaginaire des personnages. Il y a une dimension fantastique quand Samuel évoque la sirène maitresse des eaux : Metrès Dlo.
Ce récit mêle réel et imaginaire sur fond de pauvreté et précarité. Tout au long de son parcours initiatique, Samuel croise différents personnages qui représentent ces figures du peuple : le chauffeur alcoolique, le vieux marchand d’alcool, les putes, les marchandes de soupe... De l’autre côté, loin de son monde, vivent les Labarre, cette vieille famille de mulâtres désargentée qui campe sur les décombres de sa richesse passée et de son rang social. L’auteur tisse un lien fragile entre ces deux mondes qui se côtoient en s’ignorant, elle brode une fresque sociale à laquelle s’ajoute la dimension fantastique de Metres Dlo, le tout dans un Port-au-Prince surpeuplé, bruyant et sale où se prépare le carnaval.
Bien documenté, ce roman se lit avec plaisir. On suit avec intérêt le parcours du jeune Samuel. L’auteur sait nous faire entrer dans l’univers de ses personnages qui traversent la vie avec une certaine fatalité, elle ne prend jamais parti.
L’histoire se déroule avec aisance et finit par se cristalliser sur l’observation distante et muette des jeunes gens, Rose derrière sa fenêtre et Samuel depuis le garage. Beaucoup de lenteur et de non-dits dans ces monologues secrets.
Le roman aborde le problème de l’errance, la filiation, le rapport à l’autre et la solitude jusqu’à la folie.
On peut ne pas aimer la lenteur et le manque d’action qui dominent, mais l’auteur ne dénonce pas la misère, la précarité d’une certaine population, elle raconte plus qu’elle ne témoigne et le lecteur doit se laisser glisser dans ce récit initiatique.
L’écriture est fluide, harmonieuse, elle est empreinte de poésie tout en restant simple.
Roman à lire pour les personnages, attachants, pour l’atmosphère bien décrite de Port-au-Prince, pour l’écriture sobre et poétique.
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