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La même année que Napoléon Bonaparte naît dans une bourgade de la Sarre un enfant roux dont le père, tonnelier de son état, a servi dans les armées de Frédéric II. À la faveur des guerres de la Révolution et de l'Empire, l'enfant roux est appelé à devenir l'un des plus illustres maréchaux de France, avant de mourir fusillé à l'angle des jardins de l'Observatoire. Entre-temps, il aura été vainqueur à la Moskova, héroïque lors de la retraite de Russie, indécis ou calamiteux dans d'autres circonstances, déloyal à l'empereur, traître à la monarchie restaurée, défait à Waterloo et indéfectiblement fidèle à quelque chose d'éclatant et d'obscur.Aujourd'hui, le boulevard qui lui est dédié relie la porte de Saint-Ouen à la porte d'Aubervilliers à travers des quartiers qui ne comptent pas parmi les plus paisibles ou les plus aérés de la capitale. D'autres destins s'y nouent, d'autres échecs s'y consomment. Celui de Gérard Cerbère, rescapé de nombreuses Berezinas, retranché avec sa caravane à l'intérieur d'un pilier soutenant le périphérique. Celui de Lito, officier des forces armées zaïroises échoué au McDonald's de la porte de Clignancourt. Ou encore celui de Ginka Trifonova, une jeune Bulgare, assassinée une nuit de novembre 1999 sur un talus de la rue de la Clôture.
Une immersion originale dans le nord parisien entre boulevard extérieur, voies ferrées et périphérique.
Jean Rolin a choisi d’arpenter le boulevard du Maréchal Ney qui va de Saint Ouen à Aubervilliers. Il va longer le périphérique, traverser des terrains vagues en friche pour rejoindre les énormes piliers des ponts à la rencontre de gens qui y sont installés.
Ce faisant, il nous rapporte une belle ébauche biographique de Michel Ney, ce soldat fidèle et infidèle à l’Empereur Napoléon 1er, ses batailles, ses victoires et ses défaites, sa vie familiale et amicale et celle de l’homme proche de la brute épaisse sans grand esprit ni bon goût. Semblant inconscient du danger, Ney est habité par une violence sanguinaire aveugle qui le fera prendre des risques inconsidérés et gagner des combats improbables.
Doté d’un égo qui le fait tourner en girouette, il est attiré par la voix du plus fort, sans opinion personnelle bien tranchée. Assoiffé de reconnaissance et de fortune, il obtiendra une renommée glorieuse mais qui par de mauvais choix politiques, le conduiront à la ruine, la fuite puis l’échafaud.
A la grande Histoire, l’auteur mêle l’actualité des quartiers et chemins parcourus en nous faisant partager ses rencontres et les batailles pour survivre que se livrent SDF, prostituées, immigrés en mal d’identité et leurs Bérézina. Toutes gens qui, à l’instar de Michel Ney, ont connu leur gloire avant la déchéance qui s’offre à eux sur les trottoirs, sous les ponts, dans les barres de HBM (habitat bon marché) qui deviendront par la suite des HLM.
De la porte de Clignancourt à la porte de la Chapelle, de ronds-points en abribus, de grillages en dépôts, de fête de la musique en victoire de la Coupe du monde de foot, de 14 juillet en Saint Sylvestre, de terrasses de bistrots et McDo en chambres d’hôtels minables et sordides, la plume de Jean Rolin décrit des vues saisissantes sur les réseaux routiers et ferrés, sur des carrefours où se pressent prostitution et trafics en tous genres.
Il va à la rencontre de la zone, un monde toutefois bien organisé, qui vit dans le tumulte des rails et des moteurs. « Lorsqu’il fait chaud à Paris, et que l’air est pollué, ces deux phénomènes sont toujours légèrement amplifiés dans l’espace qui s’étend entre les extérieurs et le périphérique. »
Il nous rapporte ses conversations et se lie de sympathie avec certaines personnes rencontrées.
Il dénonce la violence gratuite des jeunes délinquants qui foutent le feu ci et là par désœuvrement, bêtise et besoin d’une affirmation d’eux-mêmes. (Déçus de ne trouver que des yaourts dans une camionnette de livraison, ils l’incendient).
Il note les espaces herbeux, les friches, ce talus de la rue de la Clôture où une prostituée d’origine bulgare a été retrouvée sans vie, le corps lardé de coups de couteau.
La plupart des prostituées qu’il voit, sont des très jeunes filles venues en France de l’étranger, soit de l’Est européen soit d’Afrique, avec la promesse d’études ou d’un boulot sérieux de baby-sitting ou autre et se retrouvent piégées par des types violents et sans scrupules qui les forcent à tapiner sous mille et une menaces.
Ce livre qui débute en 1998 et se termine à l’aube de l’année 2000, n’a pas pris une ride.
Seul le tramway aujourd’hui, nous facilite le parcours que Jean Rolin a fait à pied le long de ce boulevard des Maréchaux. Il a osé s’approcher au plus près de l’exclusion humaine et sa précarité pour la restituer sans fard, noir sur blanc.
Son regard vigilent et bienveillant lui fera noter en fin de livre, cette très jeune fille africaine, assise sur une couverture à l’intérieur du Centre de réception, des lunettes sur le nez, plongée dans un livre qu’ « on aurait aimé savoir quel était ce livre, et ce qu’il avait pour mériter d’être lu dans des conditions si précaires ».
C’est sans se départir de son ton caustique ni de sa mélancolie qui marquent l’ensemble de ses écrits couronnés de prix littéraires en pagaille dont le Médicis et le grand prix de littérature Paul-Morand pour l'ensemble de son œuvre, que l’auteur livre ici, un roman sans fiction exceptionnel qui nous oblige à regarder notre propre environnement sans baisser les yeux et sans détour.
Comment rouler sur le périphérique dorénavant sans penser à Michel, Daniel, Gérard, Roger et les autres. Comment regarder un agent de sécurité africain sans penser à Lito... Comment aller en vacances en Bulgarie sans penser à Ginka Trifonova…
Doué d’un talent d’écrivain érudit hors du commun et d’une intelligence du cœur qui sue sous chacun de ses mots, l’humanisme de Jean Rolin, sons sens de la fraternité et de la liberté, sa tolérance et son respect envers la race humaine sont à saluer chapeau bas.
PS. J’attends avec impatience le 20 août 2020, date de sortie de son dernier livre « Le pont de Bezons ».
Allez-y ! Au-delà du plaisir de l’écriture, (Prix de la langue française en 2013), lire Jean Rolin, est un enrichissement personnel !
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