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Labyrinthe arachnéen, Hemlock évoque les destinées tragiques d'une Italienne de la post-Renaissance - Beatrice Cenci -, d'une Française du Grand Siècle - la marquise de Brinvilliers - et d'une Anglaise de l'époque edwardienne en Inde - Mrs Fulham -, entraînées dans le vortex du crime par l'enchaînement des circonstances, leur faiblesse et leur passion. Au-delà des contingences chronologiques, des visions récurrentes, des lieux, des objets, des leitmotive les relient entre elles.
Comme aussi à Hemlock, une femme de notre temps, étrangère à leurs crimes mais déchirée entre les espérances et les craintes d'une situation extrême dont la présence, véritable fil d'Ariane, domine tout le livre. Dans ce texte tumultueux rigoureusement articulé autour des angoisses de Hemlock, rien n'est aléatoire et l'apparent arbitraire obéit à des lois aussi inéluctables qu'insolites. Quant aux trois meurtrières, le cheminement de leurs histoires illustre les mots de Shakespeare, que l'auteur place en exergue de son ouvrage : "Seigneur ! Nous savons ce que nous sommes, mais ne savons pas ce que nous pouvons être".
Une fresque grandiose au charme vénéneux. Gabrielle Wittkop est née le 27 mai 1920 à Nantes et décédée le 22 décembre 2002 à Francfort. Elle rencontre dans le Paris sous occupation nazie un déserteur allemand homosexuel du nom de Justus Wittkop, âgé de vingt ans de plus qu'elle. Ils se marient à la fin de la guerre, union qu'elle qualifiera d' "alliance intellectuelle" . Son mari se suicide en 1986, alors qu'il est atteint de la maladie de Parkinson.
Gabrielle Wittkop affirmera "Je l'y ai encouragé. J'ai raconté ça dans Hemlock".
Hemlock fait partie de ces livres dont on s'arrache avec difficulté, que l'on ne sait pas vraiment terminer tant son atmosphère, ses personnages vous imprègnent, vous accompagnent longtemps et vous subjuguent. Je n'en avais jamais entendu parler, ni de Gabrielle Wittkop, grave lacune. Une fois le roman dévoré (mais pas encore tout à fait digéré), je me suis plongée dans le long article que consacrait Liberation à son auteure qui aurait eu cent ans cette année, ce qui explique les rééditions de certaines de ses œuvres dont Hemlock qui n'étaient plus disponibles depuis trente ans. Quelle brillante idée ! Gabrielle Wittkop est aussi fascinante que ce roman, et le fil de sa vie irrémédiablement lié, entremêlé à sa production littéraire.
Hemlock est l'héroïne centrale de ce roman, dont les réflexions et les moments de vie s'insèrent entre les chapitres d'une histoire construite avec des récits gigognes qui se répondent, se complètent et reviennent tous à la question centrale qui préoccupe (devrais-je dire obsède ?) Hemlock : la mort. D'ailleurs, en anglais Hemlock signifie "cigüe". Le mari d'Hemlock, H. est atteint d'une maladie neurodégénérative, situation qu'elle supporte difficilement autant par l'amour qu'elle porte à H. que pour la façon dont cela entrave sa propre liberté. Elle voudrait qu'il meure et elle n'en supporte pas l'idée. Hemlock s'échappe parfois, voyage dans le monde entier et croise ainsi par-delà les siècles, à travers les endroits où elle séjourne, les destins d'autres femmes étroitement liés à la mort. Des empoisonneuses célèbres : Béatrice Cenci au 16ème siècle à Rome, la marquise de Brinvilliers au 17ème siècle à Paris et à Londres et Augusta Fulham à la fin du 19ème siècle et début du 20ème à Londres puis en Inde. Elles ont tué pour se libérer du joug paternel ou conjugal, elles ont empoisonné à petit feu, elles ont été condamnées et exécutées. Ce sont ces trois histoires qui s'enchaînent et s'emboîtent dans ce roman, ponctuées par les réflexions d'Hemlock ou ses échanges avec H., autour des destinées, de l'amour, de la liberté et de la mort.
"Je suis née dans une maison hantée, je suis moi-même pleine de fantômes".
Dans ce roman, Gabrielle Wittkop développe une monstrueuse puissance littéraire, autant par son univers que par la qualité de son écriture et l'intelligence de sa trame narrative. Trois lieux, trois époques et à chaque fois, le lecteur est totalement immergé dans un décor qui se referme sur lui par tous les sens ; les descriptions sont à couper le souffle, qu'il s'agisse des rues de Paris, des bords de la Tamise, des scènes de torture, des avortements, des accouchements ou des exécutions capitales.
"La ville sentait le gruau, la cendre, la marée et le suif des chandelles. C'était une odeur froide et lourde qui collait sur les choses, avec aussi des fadeurs de sang et la noire suavité des pourritures, une haleine transportée par la fumée du charbon et le gros brouillard jaune qui par la Tamise montait des marécages. Entre les carrosses, les chaises, les troupeaux, les charrois, la foule déversait son fleuve tumultueux dans le chenal des rues".
Le lecteur est embarqué, spectateur fasciné par les drames qui se déroulent sous ses yeux, par la chaîne du mal qui se tisse au fil des siècles, les destins qui semblent se répondre, s'entremêler, les passerelles sans cesse tendues par l'auteure par le truchement d'un tableau, d'un livre, d'un bijou ou d'une chambre. Et toujours, ce lancinant débat dans l'esprit d'Hemlock face à son amour désormais indissociable de la mort, de l’ambiguïté de ses sentiments, de la mémoire qui se délite en engloutissant les millions d'instants qui composent une vie commune. C'est fort, c'est puissant, c'est impressionnant.
Pour moi, Hemlock est un chef d’œuvre et je me sens bien chanceuse de l'avoir désormais dans ma bibliothèque.
(Chronique publiée sur mon blog : motspourmots.fr)
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Merci pour votre message, c'est un roman comme on n'en rencontre pas tous les jours et je vous en souhaite une excellente lecture.
Merci pour votre chronique Nicole , j'avoue que je suis curieuse à présent et je pense que je m'achèterai ce roman. Belles lectures. Prenez soin de vous