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Populisme et affects Les démocraties sont en crise, minées par les mouvements populistes. Les dirigeants de leurs partis prétendent représenter le peuple souverain, en se réclamant d'une conception plébiscitaire de la démocratie, en polémiquant sur les distinctions socioculturelles et le rejet des migrants. Ils investissent avant tout les enjeux émotionnels des affaires publiques. L'originalité de cet essai consiste à situer l'interprétation de leurs revendications de souveraineté nationale dans l'histoire et sous l'égide de l'analyse freudienne des foules et des régressions identitaires que suscitent ces mouvements. Les foules furent à l'origine de la démocratie et leur mobilisation continue de s'imposer contre les régimes répressifs. Et pourtant, ces mouvements se sont aussi imposés comme des phénomènes collectifs difficiles à gérer, sombrant parfois dans l'anarchie et la violence. Freud s'en est inquiété au lendemain de la Grande Guerre, alors que surgissaient les signes annonciateurs de tyrans s'employant à manipuler des masses déboussolées. Les foules favorisent l'esprit moutonnier. Avant de les rejoindre, les individus ne partagent pas toujours les mêmes expériences de vie, ni des idées semblables ou des intérêts convergents. En leur sein, ils clament les mêmes mots d'ordre, répètent les mêmes slogans et manifestent des attitudes identiques, assument parfois la même agressivité. Les foules ont un aspect onirique. Elles suivent un chef ou un groupe de référence, des instances qui peuvent affaiblir le libre choix de leurs participants et les pousser à transgresser les normes et les procédures qui fondent l'ordre démocratique. Cet essai souligne que le cadre interprétatif d'inspiration psychanalytique apporte une contribution significative à la compréhension des dimensions affectives de la scène politique, celles que la démagogie populiste mobilise. Dans Malaise dans la civilisation, Freud explique bien la difficulté que les individus éprouvent à encadrer leur monde pulsionnel, à endiguer leurs passions, à sublimer leur agressivité par des engagements socialement acceptables, notamment par des créations scientifiques ou artistiques. En brisant les codes de civilité, les populistes s'en prennent ainsi aux digues qui contiennent ce monde pulsionnel. Ils rendent tolérables et jouissifs des discours et des manifestations d'agressivité ou des comportements indécents auxquels la vie en société, l'ordre politique en particulier, est censée imposer des bornes. Leur contestation débridée, l'inconsistance de leurs conceptions idéologiques et leur inclination au culte de la personnalité sont une expression de cette réalité. Dans des sociétés réfractaires aux limites, faisant une part démesurée au « culte du moi » et à l'exhibition des affects individuels, la défiance des populistes à l'égard de l'ordre établi trouve une large audience. Les sociétés démocratiques ont toujours été fragiles. Leurs processus de décision politique sont lents, tortueux, parfois incohérents. À plusieurs reprises dans l'histoire, elles ont versé dans la dictature sous les coups de boutoir de foules insensées, idolâtres et manipulées. Elles sont aujourd'hui menacées par la montée en puissance sur la scène internationale de régimes politiques corrompus, répressifs et même totalitaires, mais elles sont également mises en péril de l'intérieur par les débordements d'agressivité et les velléités d'incivisme des mouvements populistes. Les démocraties sont aussi résilientes. Elles sont fondées sur des constitutions, des lois, des procédures juridiques et des systèmes de protection sociale assurant la liberté de pensée, le pluralisme et la créativité intellectuelle. Leurs mécanismes institutionnels restent une protection contre le fantasme d'unité communautaire sous l'emprise d'un chef idéalisé, une illusion que l'on retrouve en embuscade dans toutes les manifestations de fanatisme, celui de la religion et du nationalisme en particulier. En fin de compte, elles sont mieux armées que les régimes autoritaires pour gérer les crises et affronter les défis de l'avenir, parce qu'elles soutiennent les démarches scientifiques et l'empirisme, des engagements qui vont de pair avec l'acception du doute et de la complexité. En faisant quelques concessions à la théorie de la fin de l'histoire, on peut même reconnaître que les représentations politiques et les valeurs de civilisation légitimant les États démocratiques restent indépassables
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