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« Ce n'était pas à une forêt ordinaire que Chentiru pensait, mais plutôt à la forêt des poèmes classiques tamouls, au cour de laquelle une eau pure comme le lait se jette en cascade entre des parois rocheuses où s'accrochent des ruches sauvages. Elle voulait séjourner dans une forêt. Une forêt pour laisser derrière elle les bruits de voitures, de conversations, de pas, d'appareils ménagers. » C'est ainsi qu'on entre, par la puissance du verbe et de l'image, dans l'univers si singulier d'Ambai. Qui nous mêle sans crier gare à la destinée de femmes on ne peut plus habitées - écrivain, musicienne, éditrice, ou femme au foyer par accident -, bousculant soudain, à la faveur d'un geste, d'un départ, d'un renoncement, leur monde tel qu'il est.
Avec son écriture limpide soudain balayée par un trait percutant, Ambai donne au short cut toute l'ampleur du temps romanesque.
Née au Tamil Nadu, dans le sud de l'Inde, Ambai vit à Bombay. Écrivain, traductrice, universitaire reconnue, elle compose patiemment une ouvre de fiction, qu'elle a choisi d'écrire en tamoul.
À travers les quatre longues nouvelles qui composent De haute lutte, Ambai explore avec une finesse infinie - et une étonnante liberté de ton - toute la complexité du statut des femmes dans l'Inde d'aujourd'hui.
Inédite en français, l'ouvre d'Ambai est une immense découverte.
Nouvelles traduites du tamoul (Inde) par Dominique Vitalyos et Krishna Nagarathinam
4 nouvelles qui me font entrapercevoir la vie de 4 femmes Tamoules. Chentaramai, Châyâ, Cempakam et Chentiru ont pour elles une certaine culture ou une culture certaine et de se trouver mariées à des hommes qui, en toute logique indienne, les étouffent. Une fois mariée, elles n’existent plus, perdent toute importance, deviennent quasi invisibles.
Que la femme indienne tamoule soit jeune ou dans la force de l’âge, elle doit lutter contre la tradition, contre l’enfermement moral Quelle qu’elle ait été avant son mariage, une fois unie au destin d’un homme, elle n’est plus rien que son ombre.
Chentaramai découvre, ce qu’était, dans la vraie vie, son père, poète reconnu et renommé, ses agissements envers sa femme et la maison d’éditions que son père lui avait léguée.
Châyâ élabore des lois dans sa tête à l’encontre des maris comme le sien. C’est le moyen qu’elle a trouvé pour supporter le quotidien avec un homme méprisant à son encontre, grippe-sou. La pensée, le rêve, d’un possible divorce lui a traversé l’esprit.
« Dites-moi ce qu’il y a de révolutionnaire à dire qu’une veuve ne peut espérer retrouver l’accès à une vie digne de ce nom qu’en se remariant ? Nous devrions plutôt l’aider à étudier et à trouver un travail. »
« Quand vous affirmez qu’il est nécessaire de lui associer un homme pour lui offrir un nouvelle vie, c’est comme si vous disiez qu’elle doit toujours rester sous le contrôle d’un représentant du genre masculin, qu’elle doit se glisser dans son ombre, qu’il est son seul refuge possible. » Ces tirades de Râmasâmi, mère de Chentaramai me paraissent être un très bon raccourci aux quatre nouvelles d’Ambai.
Cempakam, chanteuse et musicienne hors pair, reconnue, élue par son maître Ayya ne chantera plus en public une fois mariée au fils de celui-ci et contre son avis. Mais…
Chentiru, elle, est soutenue par son mari mais préfère, les enfants élevés, s’enfoncer dans la forêt pour ne vivre que de poésie et de nature. Dans cette nouvelle s’entremêle la vie de Chentiru, ce qu’elle écrit et la légende.
Ces portraits de femme sont très intéressants et montrent qu’il est très difficile, malgré quelques avancées, d’être femme en Inde, de vouloir vivre sa propre vie. Certaines osent se révolter, certaines trouvent des palliatifs pour supporter leurs vies. Comment faire pour respecter la tradition alors que vous voudriez crier à l’injustice ? Comment ne pas se révolter alors que vous avez un don, beaucoup d’instruction et que l’Autre, le mari, veut et doit briller à votre place ? Comment ne pas se révolter alors que vous êtes chef d’entreprise et que les hommes ne veulent pas avoir à faire à vous et vous ignorent ? Comment ne pas réagir face à ces maris, sont toujours en train de récriminer contre leurs femmes, trop chaud, trop de ceci, pas assez de cela, trop cher, tu es la femme de qui… ? Pourquoi cette si grande distance entre les agissements des pères et des maris ? Ces 4 femmes sont très attachantes et montrent, une fois de plus, le poids écrasant de la tradition et la complexité très grande de la femme dans ce pays. Comme souvent, la vie maritale est faite de petites victoires et de grands désenchantements.
L’écriture d’Ambai est belle, poétique, fine, fluide, subtile avec juste ce qu’il faut d’ironie pour ne pas plomber le livre. Aucune pleurnicherie ne vient altérer les descriptions. J’ai aimé sa façon de parler de la musique et de la littérature tamoules, de sa richesse, de son importance. J’ai aimé les traductions de quelques rimes des chants traditionnels. Mon seul regret ? Le glossaire des noms tamouls en fin de livre que je n’ai découvert qu’à la fin de ma lecture.
Quatre nouvelles dont trois m'ont beaucoup plu, et une, la dernière, intitulée La forêt, m'a laissé sur le bord par son écriture plus décalée, moins descriptive, plus mystique. Je me concentrerai donc sur les trois premières qui à elle seules valent qu'on découvre cette auteure.
- Le manuscrit : une jeune femme est invitée en tant que descendante d'un poète célèbre à une commémoration. Elle découvre qui était vraiment son père : un homme violent avec sa mère lorsqu'il avait bu, et il buvait beaucoup. Malgré son niveau d'études, ses qualifications, l'épouse battue ne pouvait vivre selon ses désirs, brimée par cet homme qui ne vivait que pour son art.
- Les ailes brisées : Châyâ est une femme mariée qui lorsqu'elle est seule invente des lois qui devraient être votées en Inde, comme par exemple : "Prohiber les grosses bedaines, les poitrines grasses et flasques sur les corps masculin, se dit Châya." (p.51) Et elle sait de quoi elle parle, son mari Bhâskaran, est le type même décrit plus haut. Et pour couronner le tout, il ne lui parle que pour lui faire des reproches : sur la nourriture trop salée, sur ses dépenses inconsidérées alors qu'il gagne sa vie correctement. Car le plus gros problème de Bhâskaran c'est sa pingrerie extrême qui empêche sa femme et son fils de vivre. Châyâ rêve d'indépendance, de vivre seule avec son fils qu'elle élèverait sans avarice. Le jour où sa sœur présente son futur mari à sa famille, elle décide malgré l'avis de Bhâskaran qui refuse de dépenser de l'argent pour le trajet et le cadeau de se rendre chez ses parents.
- De haute lutte : Cempakan est une excellente musicienne formée par un maître dont elle a épousé le fils. Celui-ci, malgré les recommandations de son père refuse que Cempakan continue à chanter en public, craignant sans doute une concurrence à son désavantage, car lui aussi est chanteur. Alors Cempakan, continue dans l'ombre à chanter chez elle et à supporter son mari. Jusqu'au jour où un élève lui demande de lui écrire une chanson (par "chanson", entendez chant traditionnel tamoul).
Belle écriture d'Ambai, à la fois moderne et traditionnelle, se référant beaucoup aux croyances indiennes (ce n'est pas un handicap de lecture, d'abord parce qu'il y a un glossaire et ensuite, parce que même si les noms sont étranges pour nous, ils ne sont pas essentiels aux fils des histoires, ils ajoutent un côté mystique à ces nouvelles), et en même temps très concrète. Elles racontent la difficulté d'être une femme en Inde aujourd'hui et de vouloir travailler, pratiquer son art ou tout simplement vivre libre.
Une très belle découverte que cette auteure inédite en France jusqu'à ce livre et qui devrait continuer à être traduite, du moins je l'espère.
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