"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Quoi écrire sur Venise qui n'ai été mille fois écrit par d'autres ? Kauffmann n'essaye pas à tout prix d'éblouir son lecteur, de lui proposer une énième visite " originale du Venise secret" mais de partager se que fut son aventure vénitienne, une recherche sur des lieux ( les églises fermées au public) qui l'intriguent, des rencontres avec des personnages tour à tour attachants, légers ou taiseux. Une échappée belle servie par une écriture fluide et talentueuse.
Jean-Paul Kaufmann n’est pas le genre de personne à enfoncer des portes ouvertes. Il préfère, et ce pour notre plus grand plaisir, rechercher la difficulté, tenter l’impossible, se ronger les noisettes afin d’accéder à l’inaccessible, aux lieux verrouillés quasi interdits. Parmi les lieux de prédilection de l’écrivain, se trouve Venise. Non pas pour la place Saint-Marc ou le Pont des Soupirs mais pour les sites insolites oubliés des touristes et des guides à leur encontre.
Elevé dans la tradition catholique, ancien enfant de chœur, Jean-Paul Kaufmann a décidé de s’installer quelques mois avec son épouse dans la ville aux cent clochers pour essayer de fouler les voies impénétrables des églises fermées. Une gageure face à l’administration de la curie vénitienne en ajoutant le caractère privé de certains anciens édifices religieux. Avec l’aide des hasards des rencontres comme avec Alma, guide touristique et d’une volonté infaillible, il va pouvoir débloquer quelques cadenas, malgré les obstacles, malgré l’attitude du Grand Vicaire, si énigmatique que l’on se demande s’il n’est pas l’un des descendants de La Joconde…
Une visite insolite dans l’ombre de Sartre, Pratt et surtout avec le fantôme de la psychanalyse de Jacques Lacan, se déroule entre un tableau de Palma le Jeune ou la fresque du Paradis du Tintoret, et, s’ajoutent des découvertes grandioses (comme justement où a été peinte la toile pour le Palais des Doges, c'est-à-dire dans la Scuola della Misericordia) et une réflexion judicieuse sur le catholicisme et par extension sur « le christianisme dionysiaque de Venise », cette foi qui interdit et qui pardonne, ces dogmes austères et qui à travers l’art osent la nudité et toutes les tentations.
Si la notion de l’espace est à peine effleurée, une large place est accordée au temps, toujours ce temps mais dans une version bénéfique, celle où il faut le laisser agir sans l’effacer. A force de trop raccommoder, on supprime le pourquoi d’une œuvre d’art, on gomme l’histoire d’un monument. Comment ne pas penser à Alberto Giacometti qui soulignait judicieusement qu’une « sculpture égyptienne cassée, un Rembrandt tacheté, rayé, pâli, noirci, restent aussi belle sculpture, aussi belle peinture que le jour où elles ont été faites ». A l’instar des rides, signe de vieillissement, et donc de vie, rides qui sont les mots inscrits sur le visage et le corps de l’individu. Pour les pierres, ce sont des siècles d’éclats et de tragédies qui nous parlent.
Jean-Paul Kaufmann n’écrit que des récits, des témoignages et pourtant cet écrivain est à lui seul un personnage de roman. On l’imagine arpenter Venise, poser sa main sur une porte, humer l’air, respirer l’art, communiquer avec Vittoro Gassman, communier avec Luigi Nono, réécrire les histoires de vie avec Casanova.
Luigi Nono faisait parler le silence, Jean-Paul Kauffmann s’imprime de cette audace pour abolir les frontières de l’inaccessible et rendre audible ce silence des espaces fermés, interdits, abandonnés. Redonner l’existence par le bruit du vide. Sans connaître Venise, elle vient vers vous. Avec ces portes fermées, des fenêtres s’ouvrent sur un patrimoine à préserver pour que des cantates et non des requiem continuent de s’envoler au firmament de l’empyrée.
Eblouissante tentation de Venise…
https://squirelito.blogspot.com/2019/03/une-noisette-un-livre-venise-double.html
https://evabouquine.wordpress.com/2017/02/18/jean-paul-kauffmann-la-chambre-noire-de-longwood/
"Je n’aurais pas la fatuité d’affirmer que la seule vision de Longwood permet de pénétrer le mystère de cette captivité. Du moins autorise-t-elle à en deviner la profonde tristesse. La mélancolie est à l’origine de la mort de Napoléon."
Jean-Paul Kauffmann décide un jour de s’embarquer sur le seul bateau à destination de l’île de Sainte Hélène pour y retrouver le lieu, l’ambiance, « la trace » (terme qu’il emploie également dans Courlande), l’empreinte des évènements passés : la captivité de Napoléon.
Île perdue au milieu de l’Atlantique Sud, Sainte-Hélène, c’est tout d’abord un climat hostile, ingrat, variable, à forte humidité, dont rend compte Jean-Paul Kauffmann avec une réelle acuité :
"Un crachin enveloppe et parfume le vallon de cette odeur de girofle et de faisandé, si particulière aux contrées tropicales, à la fois douceâtre et poivrée, vaguement corrompue."
De par son isolement, Sainte-Hélène a surtout servi de lieu d’exil dès sa découverte en 1502 par les Portugais. Ce sera le sort et la destination réservés à Napoléon, peu de temps après qu’il eut décidé de sa reddition au large de l’île d’Aix le 15 juillet 1815.
Grâce au plan mis à disposition du lecteur au début du livre, aux descriptions qu’en fait l’auteur (la maison est remplie d’humidité… et de rats), on imagine rapidement quel est le décor de la tragédie qui va s’y nouer jusqu’à la mort de Napoléon le 5 mai 1821 à l’âge de 51 ans. Entouré par sa cohorte de biographes (Las Cases, Gourgaud, Montholon et Bertrand), aux disputes incessantes, Napoléon sombre rapidement dans la mélancolie dans ce lieu :
"Cette maison détient un secret… Elle flotte dans un état qui n’est ni le présent ni le passé. C’est une suspension. A Longwood, la durée semble s’interrompre momentanément comme si le cours du temps voulait y marquer une pause (…). Le plus entêtant reste encore l’odeur de l’ennui. L’encens de la mélancolie, le musc des idées noires imprègnent l’intérieur de la maison."
Le récit sort du cadre étriqué de la maison pour aller sur le champ de bataille d’Eylau (l’auteur considère que le début de la chute de Napoléon date de cette bataille meurtrière, qui est aussi le cadre de son dernier opus, « Outre-terre »), mais aussi vers les relations qu’entretenait Napoléon avec les femmes, ou encore avec le vin. Par petites touches, le portrait qu’il fait du « héros fatigué » s’esquisse sous nos yeux avec beaucoup de talent.
Je ne saurais dire si c’est cette mélancolie qui m’a aussi gagné durant la lecture, mais force est de constater que j’en ressors avec un sentiment particulier ; soulagé en quelque sorte de m’échapper de cette ambiance parfois pesante. J’en conseille néanmoins la lecture à toutes et à tous, même si vous n’avez pas d’affinité particulière pour Napoléon. Vous le verrez, c’est un livre qui vous laisse aussi une trace…
Chronique autobiographique plaisante à lire. Au retour de ses 3 années de captivité au Liban, JP Kauffmann fait l’acquisition d’une propriété dans les Landes. Il nous fait vivre son rapport avec ce lieu, la région, sa nature, ses plantes, ses odeurs de tilleul, ses animaux, ses oiseaux, son climat, ses habitants, ses traditions, ses vins et sa table. Il relate sa vie d’écrivain, débutée dans cette maison, de lecteur passionné et sa relation aux livres. Je retiendrai comme lui, cette petite histoire de 2 souris qui tombent, chacune dans un bol de lait. L’une crie « au secours » et se noie. L’autre se débat sans relâche et se retrouve en vie sur une motte de beurre. C’est cela ce récit aussi. Le refus de la fatalité. J’ai aimé ce goût rabelaisien pour la vie, sa force tranquille, sa détermination. Une écriture élégante signée JP Kauffmann.
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