#RL2015 C'est aussi le clash chez les Explorateurs... Ils ne sont pas d’accord, mais pas d’accord du tout sur certains romans de notre sélection, ils le font savoir, ils vous le disent, et ils ont des arguments.
Découvrez les critiques Pour-Contre de Benoit et Christophe pour Illska de Eirikur Örn Norddahl aux éditions Métailié.
L’Islande, un tout petit pays qui inonde le monde de sa littérature fascinante et addictive. Les sagas et le goût pour la poésie sont-elles à l’origine de cette littérature si singulière ? Eirikur Örn Norddahl en est une nouvelle voix, qui ne passe pas inaperçue en cette rentrée. Son roman, Illska, n’a pas laissé les explorateurs indifférents.
Pour :
Il n’y a pas de mot pour décrire ce livre, ou alors il y en a trop. Après une longue réflexion : Vertigineux, Ebouriffant et Brillant, semblent à peine satisfaisants afin de qualifier cet étrange roman.
Vertigineux dans la forme. Construit comme une spirale qui s’enroule et se déroule (ou comme un labyrinthe), on se laisse perdre au fil des pages, par des chemins a priori détournés mais qui se croisent et s’entrecroisent implacablement, comme les pièces d’un puzzle. Il faut simplement dépasser les 20 premières pages, qui permettent de s’habituer à cette étrange imbrication des personnages avec des «apartés» qui coupent le récit. Un véritable tour de force de l’auteur qui jongle avec passé et présent sans jamais perdre son lecteur (à condition que ce dernier reste bien concentré).
Ebouriffant par l’histoire racontée avec talent. Agnès, Omar, Arnor, un triangle «amoureux» complexe sur fond de recherches intellectuelles sur les néo-nazis. L’auteur saisit parfaitement le recul nécessaire à une telle histoire, avec un style des plus brillants. Impossible de sauter des lignes, chaque mot, chaque phrase est important, d’autant que le roman fait 600 pages. L’écriture est précise, fine, percutante et sert le récit avec acuité.
Brillant car le sujet est sensible, les thèmes abordés brulants (nazisme, Shoah, holocauste, génocide…). L’auteur, avec génie, slalome entre les embuches de la provocation gratuite et les pièges du consensus. Il manie le second degré avec talent et grâce à une connaissance, à une «culture» impeccable, prend le recul nécessaire.
Impossible de raconter l’histoire, impossible de lâcher ce livre. Ce qui est sur c’est que ce n’est pas un roman de plage, ni un roman de gare, mais au milieu d’une production littéraire parfois tiède, Illska (le Mal), frappe fort, bouscule, dérange.
Achetez ce livre, empruntez le, volez le, mais lisez le.
Contre :
4 parties, 600 pages… de souffrance ! J’ai mis énormément de temps à le lire (beaucoup trop de temps !): mes sessions de lecture furent très nombreuses car elles ne dépassaient que rarement les 30 pages tellement ce roman est « spécial », extrêmement dense et demande une grande concentration pour tenter de garder le fil. L’auteur en a d’ailleurs conscience puisqu’il joue avec nous dans le début du livre et n’hésite pas à nous interpeller. « Je sais que ce n’est pas très drôle de lire tout ça, mais ce n’est pas une raison pour vous aviser de baisser les bras. C’est important. C’est à vous que nous parlons ». Il nous remotive aussi au début de la deuxième partie (p234) : « Mais nous ferions sans doute mieux de commencer Illska, le Mal par le commencement même si le livre est passablement avancé, même si nous aurions dû commencer depuis longtemps ».
Il n’empêche, j’ai eu beaucoup de mal avec la construction plus que déroutante du roman (mélange incessant sans chronologie des sujets, des événements, des conversations), avec les très (trop ?) nombreux personnages, avec cette obsession du sexe (mais pourquoi être aussi explicite, quel est l’intérêt dans un tel roman ? Et pourquoi cette obsession sur l’anneau pénien ?) Mais à l’arrivée n’étant pas à une contradiction près je dis : chapeau l’artiste ! Cet auteur est un virtuose. Il nous secoue! Et cela fonctionne parfaitement : on est pris aux tripes, on est littéralement empoigné par ce texte!
Tout démarre semble-t-il avec une histoire d’amour « classique » entre Agnès qui doit rédiger une thèse sur les populismes en Europe et Omar, un jeune homme qui vivote dira-t-on. Mais très vite vient Arnor, un intellectuel nationaliste (néonazi) avec un grand charisme qui devient l’amant d’Agnès. Et puis arrive l’enfant, Snorri… d’Omar ? d’Arnor ? Cette relation amoureuse n’est pas de tout repos. Omar craque et part. Il fait un grand voyage assez macabre dans toute l’Europe sur les lieux de l’Holocauste qui se termine chez les parents d’Agnès en Lituanie. L’amour, la solitude, les responsabilités de parents…
A cette comédie amoureuse à 3 en Islande, l’auteur ajoute donc la Lituanie, pays où vivent les parents d’Agnès et où ont vécu les arrières grands parents de cette dernière. Il évoque surtout le massacre des juifs durant la seconde guerre mondiale… Sujet très lourd et traité sous une forme différente à l’habitude au travers de l’histoire familiale de Agnès. On apprend par exemple qu’un arrière grand-père d’Agnès a tué l’autre arrière grand-père. Le style est percutant, mordant, juste et surtout sans concession. Pas toujours évident à suivre mais très intéressant…
L’Holocauste, le fascisme, mais également les mouvements d’extrême droite actuels, la crise économique, l’auteur nous interpelle sans cesse et nous fait réfléchir sur les horreurs du passé… et les horreurs actuelles. C’est oppressant, écœurant même par moment. L’auteur réussit à merveille à faire passer son message grâce à une parfaite maitrise de la narration. En cela, Illska est un grand texte politique. « Toute violence nous prive d’humanité. Que nous soyons celui qui frappe ou celui qui encaisse les coups ». A méditer…
En résumé, Illska, Le Mal est un roman aussi atypique qu’ambitieux qui va détonner dans cette rentrée littéraire. Il en devient donc un roman indispensable. Long et difficile à lire, je suis heureux d’en être venu à bout.
(c) Benoit LACOSTE
Une petite précision de ma part:
Je ne suis pas contre ce livre… bien au contraire je l’ai bien apprécié au final et donc bien noté.
Par contre effectivement, c’est vrai que ma chronique se prête bien à ce ping/pong.