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Découvrir un roman différent, un monologue pas banal, avec Krivoklat de Jacek Dehnel (Noir sur Blanc)

"Je ne sais pas trop par où commencer. Je ne sais pas non plus si j'ai aimé ou non. Une chose est sûre : ce livre m'a bouleversée"

Découvrir un roman différent, un monologue pas banal, avec Krivoklat de Jacek Dehnel (Noir sur Blanc)

Krivoklat, citoyen autrichien, est à nouveau interné en institution psychiatrique. À chaque fois qu'il en sort, il réitère son geste fou : asperger ou tenter d'asperger d'acide sulfurique un chef-d’œuvre de l'art occidental. Son idée fixe est de celles qui vous donnent du talent.

Nous avons proposé à deux lectrices de découvrir Krivoklat le roman pas tout à fait ordinaire de Jacek Dehnel, et la découverte est étonnante, émouvante, bouleversante, un roman à lire pour…  "écouter Krivoklat comme on écoute un vieil homme que l'on va voir dans sa chambre d'hôpital et dont on accepte le grain de folie".

 

 

L’avis de Coralie :

Je ne sais pas trop par où commencer. Je ne sais pas non plus si j'ai aimé ou non. Une chose est sûre : ce livre m'a bouleversée. C'est l'histoire de Krivoklat, un interné psychiatrique au Centre Médical du Château Immendorf, enfermé à cause du geste fou qu'il répète à chaque sortie : asperger à l'acide sulfurique à quatre-vingt-seize pour cent des tableaux de grands maîtres.


C'est une véritable immersion dans l'intimité de Krivoklat, qui nous pousse à voir le monde à sa façon pour comprendre ce geste d'amour destructeur. L'éditeur a bien nommé la structure de ce récit : "un monologue torrentiel". J'ai eu l'impression que Krivoklat parle, parle, parle sans arrêt, c'est d'ailleurs l'impression que donne la mise en forme du récit : sans aucun retour à la ligne, avec de très rares points. C'est la là difficulté de ce roman, car il faut s'immerger complètement dans l'histoire. Très difficile à lire dans les transports en commun, où l'on est toujours interrompu par quelqu'un qui vous bouscule ou des bruits de discussion. Un jour, j'ai perdu ma page à cause d'un câlin surprise de mon chat, pas besoin de dire que j'ai eu un mal de chien à la retrouver... C'est donc le genre de livre à lire dans son lit, au chaud, au calme, sans rien ni personne pour nous empêcher de plonger avec Krivoklat dans le débit vertigineux de son histoire. 


Il raconte son passé, à un moment que l'on ne parvient pas à dater, comme si le temps c'était arrêté dans sa chambre. D'ailleurs, on ne sait même pas où on est. Et toutes les choses qu'il raconte, toutes ces choses qu'il critique dans un mélange de rage et de passion, semblent être rangées selon l'ordre aléatoire avec lequel elles apparaissent dans son esprit. Il n'y a aucune coupure dans le récit, véritablement comme une vraie discussion où l'on passe d'une idée à l'autre suivant le court de ses pensées. Une fois qu'on est plongé dans ce roman, difficile dans sortir, même le temps de faire une pause aux toilettes. Cette forme est pour moi un avantage autant qu'un inconvénient. Je suis du genre à lire n'importe où, n'importe quand, et la structuration de récit traditionnelle, avec des chapitres, des retours à la lignes, des points, me donnent des repères pour interrompre ma lecture puis la reprendre. Ici, j'ai dû changer complètement mes habitudes, et au lieu de consacrer cinq minutes par-ci, cinq minutes par-là à ma lecture, j'ai dû y consacrer plusieurs longues plages horaires. Je ne regrette cependant rien du tout, car j'ai vraiment pu découvrir autre chose, une façon d'écrire et de raconter complètement différente de ce dont j'ai l'habitude. C'est un mélange entre récit de son passé et critique du monde occidental, de notre façon de consommer l'art, des travers de notre société. C'est donc l'art qui sert de porte d'entrée pour la critique que l'auteur développe.


Le personnage de Krivoklat ne se donne pas si facilement Il se découvre, au fil des pages. Les précisions habituelles ne sont pas données : on ne sait pas son âge, sa corpulence, son physique,  on ne sait pas grand-chose sur sa famille hormis les détails qui sont donnés au compte-goutte, et d'ailleurs ce n'est pas si important. J'ai eu un petit moment à me demander "Est-il vraiment fou ? Son geste a-t-il une vraie logique ?" et puis, au fur et à mesure, je me suis rendue compte que je m'en fichais. J'acceptais de voir le monde à travers ses yeux. Et lorsque je pensais le connaître, l'avoir enfin appréhendé dans son entièreté, il me révélait quelque chose de nouveau sur lui. Sa manière de parler est vraiment particulière, comme s'il nous confiait les choses, et on se sent directement proche de lui, et ce sans jamais parvenir à saisir ce personnage. L'humour suinte dans les pages, un humour un peu noir parfois, croquant. C'est une expérience très, très étrange pour moi qui cherche sans cesse à comprendre tout. En un mot : il faut se laisser faire, faire taire ses appréhensions et s'ouvrir pour réussir à s'attacher au récit, écouter Krivoklat comme on écoute un vieil homme que l'on va voir dans sa chambre d'hôpital et dont on accepte le grain de folie qui lui fait voir le monde sous un angle complètement différent du nôtre.


Je ne peux pas dire que j'ai adoré, car me mettre à la lecture de ce roman a été difficile à chaque plage de lecture. Mais je ne peux pas dire que j'ai détesté, car une fois plongée dans cette atmosphère particulière, à part et en retrait du monde, j'ai découvert une façon d'écrire complètement différente et innovante, qui m'a impressionnée. Une découverte hors du commun à laquelle je n'étais pas préparée !

 

© Coralie Maillard

 

Krivoklat est un roman comme je n’en avais jamais lu avant, et comme je pense que je n’aurais pas l’occasion d’en relire. En l’ouvrant, j’ai découvert un texte dénué de toute mise en page. Le texte s’étale sur les pages de façon tout à fait uniforme, sans paragraphe, sans alinéa, sans retours, sans saut de ligne. La forme est très perturbante, et le fond l’est tout autant.

Krivoklat est le narrateur et le héros de cette histoire étonnante. On suit ses pensées, comme elles arrivent dans sa tête. Ses phrases sont très longues, contiennent plusieurs propositions, voire plusieurs thèmes. C’est un drôle de mélange entre oral et écrit. C’est vraiment comme si on était dans la tête de cet étrange personnage. Ce style rend la lecture assez compliquée. Chaque interruption, si petite soit-elle, nous fait perdre le fil et l’absence des repères visuels usuels rend la reprise de la lecture complexe. Idéalement, il faudrait pouvoir lire ce roman d’une seule traite, sans aucune distraction possible. C’est donc une lecture difficile. Toutefois, ce choix original est en parfaite adéquation avec le propos, et c’est là tout l’intérêt de ce livre.

On suit les réflexions d’un homme, Krivoklat, défini comme fou, qui a le désir d’asperger des œuvres d’art d’acide sulfurique dans les musées. Derrière son obsession se cache tout un tas de réflexions sur le monde. Qu’il s’agisse de la folie elle-même, de l’art, ou encore des perceptions, ce personnage n’épargne rien ni personne. Il nous livre le monde tel qu’il le voit. Il ne tente pas de nous convaincre. Il est lui-même persuadé de ce qu’il dit, et il ne fait que nous exposer sa vision des choses. S’il est difficile au départ d’accepter les pensées de ce fou, on se laisse finalement embarquer à travers les yeux de cet homme.  

On ne peut pas dire qu’il y ait une histoire au sens classique du terme. C’est plutôt un mélange de souvenirs et d’introspections diverses. Ce narrateur insolite semble s’ennuyer alors qu’il est interné et il revient sur beaucoup de choses. Sa femme, sa notion de l’art, mais aussi sa rencontre avec un artiste également interné. Il nous explique avec passion comment il envisage le monde, il nous dépeint ses perceptions que nous finissons par accepter malgré leur extravagance et leur intransigeance. Bien que tous ces raisonnements soient intéressants et aient une certaine cohérence – si tant est qu’on puisse parle de cohérence compte tenu du type de personnage en présence -, il me serait difficile de les relater, ou même de les résumer, le propos étant rendu difficilement rapportable à cause de la structure, ou plutôt du manque de structure, du récit.

Krivoklat est une découverte très intéressante, parce qu’il s’agit d’un texte écrit sous une forme très peu fréquente qui étale des propos empreints à la fois de folie et de sagesse. On ne s’ennuie pas en lisant, soit parce que la pagaille dans la syntaxe nous maintient en éveil soit parce que les pensées énoncées poussent à la réflexion et à la remise en question de nos propres perceptions. Toutefois, la lecture en est assez difficile et laborieuse, à cause du style d’écriture mais aussi de la façon dont l’auteur jette les idées sans transitions.  Une chose est sûre, Krivoklat vaut le coup d’être lu, ne serait-ce que pour découvrir son originalité."

© Léane Belaqua

 

 

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