L'attente a pris fin, les barbares ne se sont pas contentés de se montrer un court instant, ils se bousculent pour prendre le pouvoir dans le monde entier et sonnent pour annoncer l'ère dite post factuelle qui semble dominée par le mensonge public. Dana Schutz (née en 1976 à Cleveland, Ohio, vit actuellement à Brooklyn) suit depuis longtemps la trace de ce phénomène généré par les médias dans ses tableaux à l'huile, dont certains grand format.
Chez elle aussi, les observateurs évoquent Dix, Kirchner, Grosz ou les oeuvres figuratives cubiques de Picasso, mais elle en a encore accru le radicalisme dans ses dernières réalisations par rapport à des travaux plus anciens. C'est notamment une véritable orgie sanguinaire qui semble avoir eu lieu dans le tableau « Fight in an Elevator 5 »: le vieillard furieux qui montre les dents en ouvrant les portes de l'ascenseur tient par les cheveux la tête coupée d'un homme plus jeune, tandis qu'on voit par terre une autre tête de femme blonde. On se demande ce qui a bien pu se passer de terrible. Tout, et pourtant rien, telle est la réponse, car cette représentation paraît bien inoffensive par rapport aux scènes de même nature diffusées avec force détails sur les réseaux sociaux.
Les modèles de l'histoire de l'art ne s'imposent pas automatiquement à nous mais - les tableaux de Dana Schutz nous en font douloureusement prendre conscience - nous les cherchons désespérément car nous voulons refouler les autres visions du quotidien, nous ne voulons pas accepter que des décapitations puissent réellement avoir lieu, et tiennent lieu de simples nouvelles destinées à nous distraire. Nous en sommes encore à nous délecter de l'humour sombre de l'artiste et n'avons pas encore remarqué que l'ascenseur et son tout dernier équipage de barbares s'est mis en mouvement - et pourrons-nous jamais être de nouveau sûrs qu'il s'arrêtera quelque part à un moment dans sa prétendue « ascension »?
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