Des conseils de lecture pour tout l'été !
Puis il s'était penché. Je m'étais approchée pour lui offrir ma joue. Mais il s'était penché encore. Et soudain, dans le choc des visages, j'avais senti l'humidité de sa bouche s'échouer au coin de mes lèvres. Je n'avais eu que le temps d'esquisser un mouvement de recul. Il avait refermé la portière, me faisant un signe de la main en me souriant tandis que la voiture démarrait et que je m'effondrais sur le dossier, essuyant mon visage avec dégoût sur la manche de ma veste en jean, le coeur battant, en retenant mes larmes.
New York, septembre 1997. La jeune Cécile est étudiante. L'un de ses professeurs est un écrivain célèbre : Serge Doubrovsky, pape de l'autofiction. Entre elle et lui s'installe une relation très forte. Les années passant, la jeune femme et l'écrivain se voient, à Paris ou à New York, ils dînent ensemble, apprennent à se connaître toujours plus intimement, échangent sur la littérature et sur la vie. Bientôt, ils n'ont plus de secret l'un pour l'autre, une confiance absolue les lie. Pygmalion ou père de substitution, Doubrovsky n'est pour Cécile ni l'un ni l'autre. Du moins se plaît-elle à le croire et à le lui faire croire.
Des conseils de lecture pour tout l'été !
Je ne m’y attendais pas. Autant le dire de suite, je m’attendais à un livre léger ou geignant ou je ne sais quoi d’autre. Mais pas à une telle lecture. Pas à une telle densité.
J’ai été pénétrée à la fois par l’histoire, le style, les personnages, le rythme, au point d’en rester essoufflée et avec tant de pensées se bousculant en même temps qu’il m’est difficile d’en définir la nature même
Une fille de passage est une auto-fiction. Qui parle d’un des maitres de l’autofiction, l’inventeur de ce mot, Serge Doubrovsky. Sorte d’inception de l’auto-fiction, donc. Cécile Balavoine rejoint en cela d’illustres noms comme Annie Ernaux, Jean-Paul Dubois, Philippe Jaenada (tiens donc, il y avait longtemps) ou encore Marcel Proust. Je convoque volontairement ces noms car le livre entre en écho avec ceux-ci, s’en nourrit, nous transporte dans les mêmes aventures intérieures dont on ne sait comment on reviendra mais dont on sait que l’on ressortira changé.e
Une fille de passage est une œuvre sur les sentiments. Ceux de la narratrice mais aussi en miroir ceux d’un Serge Doubrovsky vieillissant, refusant de se plier au temps qui passe. Elle est entrée en écho avec Un homme de Philip Roth en l’enrichissant de sa propre musicalité, d’une fille de nos jours, de mon âge, dont je suis le parcours en parallèle du mien, les embranchements que ses choix de vie lui font emprunter. Beaucoup de ses choix suivent une logique qui lui est propre, construite à partir de son désir d’indépendance et de ses peurs. Etre une femme libre comporte un prix souvent cher payé
Une fille de passage creuse les sillons de notre Histoire commune, faite d’évènements marquants, heureux ou traumatisants, qui sont autant de balises partagées, de repères face à l’oubli. La page 148 à propos d’un de ces évènements du siècle dont tout le monde se souvient est une merveille d’humour et d’absurdité élevés en rempart face à l’horreur
Une fille de passage est un livre des lieux, des villes que nous habitons un temps et que nous emportons avec nous, qui laissent leur trace indélébile dans notre mémoire, parfois de manière encore plus incisive qu’une personne, un parfum, une conversation car elles sont tout ceci à la fois.
Une fille de passage parle d’Allemagne et de judaïté, réconcilie au travers de la langue et de la mémoire ces deux univers qui fondent mon histoire personnelle. La revanche par la mémoire et la transmission pour certaines des femmes qui croisent le chemin de Cécile Balavoine, la revanche par la gloire pour Serge Doubrovsky à Munich en 1985.
Une fille de passage est tout ceci à la fois et bien plus. Roman complexe sur le désir, le temps qui passe, la féminité, le désir d’amour, le désir d’être aimé.
Le livre se termine en lançant les premières mesures d’une autre partition, le morceau suivant dans cette symphonie de la vie d’une fille, dont j’attends avec impatience le nouveau passage
Une auteure dont j'avais particulièrement apprécié le style dans son livre précédent "Maestro" et dont j'étais ravi de pouvoir lire son nouveau roman.
En préambule, je dis merci.... merci de m'avoir réconcilié avec des romans autobiographiques sur la complexité, la richesse d'une relation amoureuse, ici hors de tout relation charnelle, avec un auteur célèbre. En effet depuis le calamiteux roman de Vanessa Springora, même si on n'est pas ici dans le registre du scabreux et de la perversion, je craignais le pire mais là on en est vraiment très loin tant le style, l'écriture, les évocations, l'introspection et le rendu de la relation sont de qualité et l'histoire belle.Une histoire d'une relation à la fois spirituelle, intellectuelle, à caractère amoureuse entre une étudiante en lettres et un "monstre" littéraire dans sa partie ; Serge Doubrovsky entre France et USA. La narratrice, âgée d'une vingtaine d'années, découvre ce grand critique et écrivain à la vie amoureuse riche et parfois dramatique alors qu'il aborde la vieillesse, en assistant à ses cours puis en devenant une de ses intimes alors que plus de quarante ans les séparent.
C'est une relation sur la durée à laquelle Cécile Balavoine nous convie, avec des périodes de très grande proximité avec celui qui, à défaut de devenir son amant voire son mari, devient son mentor. La narratrice est une fine connaisseuse de l'oeuvre de Serge Doubrovsky, sa grande culture, son oeuvre chargée des deux ou trois femmes qui ont marqué sa vie et dont les fantômes hantent l'appartement new- yorkais où elle séjourne en colocation pendant les séjours français de Serge et tourmentent Cécile . Cette hyper-sensibilité très intime à l'oeuvre et à la vie de Serge Doubrovsky suscitera deux réactions totalement ambivalente entre ces deux êtres. Pour la narratrice une réticence, voire même un rejet quasi physique à une relation avec un homme intellectuellement et humainement séduisant mais qui pourrait être son grand-père. C'est aussi une jeune femme qui commence à peine sa vie d'adulte et qui entend vivre avec les amis de son âge, ses histoires amoureuses. Pour l'écrivain c'est l'inverse, il veut croire à un dernier amour total possible avec Cécile et ne perçoit pas l'âge et la dégénéréscence physique potentielle comme un réel obstacle. C'est un homme mûr avec ses chagrins d'enfant ayant perdu ses parents déportés parce que juifs, sa judéité, ses enfants, la perte d'une femme adorée, la séparation violente avec une seconde, le suicide d'une troisième, ses nombreuses histoires d'un jour, ses histoires d'amour en devenir, ses passions pour Freud et Proust et surtout la recherche d'un dernier grand amour.
Belle écriture fluide, sensibilité, une trame riche, une introspection vertigineuse, une exploration profonde des sentiments.... tout cela se lie et nous entraîne dans un récit passionnant.
1997. Cécile, jeune étudiante française de 25 ans à New-York crée une relation étroite avec un de ses professeurs de littérature, Serge Doubrovsky de près de 45 ans son aîné, écrivain et critique littéraire célèbre. Il a fait de sa vie la matière de son œuvre [il est le créateur de l'autofiction en tant que genre littéraire], elle a tout lu de lui et en lui sous louant son appartement à NY pendant un de ses retours en France, plus que jamais elle s'approche dangereusement de son intimité. C'est une relation faite de confidences, de gestes tendres, de rites, de longs silences, de correspondances. Elle est avide d'entendre ses histoires :
"...quelle compassion j'avais pour lui, quelle curiosité j'avais de ses histoires, de ses mots, de sa guerre, de ses parents, de tous ces gens qu'il avait pu aimer bien avant nos naissances."
Et elle ressent toujours au fil des années le besoin de lui raconter sa vie à elle :
"Il m'était nécessaire de lui confier les épisodes les plus précieux ou les plus saisissants de mon existence, car ils s'ancraient ainsi dans la réalité, s'apaisaient s'ils étaient douloureux, s'amplifiaient quand ils étaient heureux."
Néanmoins à un moment donné, elle finira par comprendre ce qu'elle n'avait jamais voulu voir "que lui et moi, sans doute, n'avions pas tout à fait vécu la même histoire."
Une fille de passage fait écho à son livre à lui, Un homme de passage ( 2011), où il parle d'elle.
"C'est en faisant de moi un personnage d'autofiction qu'il m'avait enseigné, mieux qu'en mille cours, les lois d'un genre dont il avait forgé lui-même le nom."
C'est une lecture extrêmement plaisante, l'écriture de l'autrice est belle et fluide, la réflexion sur la création littéraire passionnante. Quant à cette relation, entre Paris et New-York, sur près de 20 ans, difficile à qualifier, faite de séduction, d'amitié, d'admiration, de tendresse, de respect, elle est pleine de douceur et racontée avec pudeur.
J'ai eu beaucoup de plaisir à lire ce très beau roman...
Dans ce récit Cécile Balavoine dévoile avec pudeur et sensibilité sa relation ambivalente avec Serge Doubrovsky, écrivain considéré comme l’inventeur de l’autofiction.
Lorsqu’elle le rencontre en 1997 elle est jeune étudiante de 25 ans, il est professeur de littérature à l’Université à New York. Quarante-cinq ans les séparent, il pourrait être son grand-père. Naît une complicité intellectuelle qui perdurera vingt ans durant jusqu’à la mort de Doubrovsky en 2017. Mais également une relation plus intimiste. L’homme est charismatique aux yeux de ses étudiant(e)s, elle lui voue une admiration sans bornes. Avec deux autres étudiants, Liv et Adrian, elle s’installe chez lui dans un bel appartement avec vue sur Manhattan, pendant qu’il fait ses allers retours entre Paris et New York. Une attirance intellectuelle prend forme et se mue peu à peu en une sorte d’amitié amoureuse, ce sont des moments passés en cours ou chez lui, des promenades dans les rues de New York entre Brooklyn et Manhattan, des échanges épistolaires.
Doubrovsky apparait comme une personnalité insaisissable qui exerce une véritable fascination sur la jeune étudiante qu’elle est alors et bien plus tard encore. Qui était-il vraiment ? Un intellectuel brillant tour à tour Pygmalion, mentor, confident, dénicheur de talents, maître à penser, écrivain séducteur vieillissant aux allures de Barbe Bleue …
D’une belle écriture, douce et pudique, toute en délicatesse et tendresse, elle nous livre ses émotions à travers des images fugaces de cette relation. Elle interroge aussi les ressorts de la création littéraire, elle qui lui avait soumis un premier manuscrit dans lequel il apparaissait sous un jour peu flatteur.
Et elle finit par rendre cet homme émouvant. Il lui confie son dernier manuscrit avant de mourir comme une sorte d’héritage. Elle s’est liée d’amitié avec sa dernière épouse, celle-ci lui demande expressément de parler de cette dernière volonté dans son livre.
« Et elle se met à raconter qu’ayant vécu toute sa vie dans le souvenir d’avoir été un Untermensch, Serge lui avait fait promettre que le jour de son enterrement, avant qu’on ne referme sur lui son cercueil, elle lui épinglerait pour toujours son étoile jaune sur la poitrine. »
Cécile Balavoine réussit une autofiction selon la propre définition du maître « la matière est entièrement autobiographique, la manière entièrement fictionnelle », dès lors difficile de démêler le vrai de ce qui est idéalisé, fantasmé mais l’on sent que l’écriture est libératrice, que la transmission a eu lieu. Elle a fait de lui un personnage de roman qui restera à tout jamais dans sa mémoire. « Une fille de passage » en réponse à « Un homme de passage », dernier roman publié de Doubrovsky et dont elle est le personnage principal.
Un très beau roman, sensible, tout en nuances, qui explore la complexité des êtres, des sentiments qui les unissent et résonne comme une déclaration d’amour à la littérature.
"Mais il faut choisir : vivre ou raconter." - Jean-Paul Sartre, La Nausée
"Il allait donc écrire sur moi, j'allais devenir un personnage, j'en étais fière et j'en étais inquiète."
Cécile Balavoine est l'autrice d'un premier roman, "Maestro", que j'avais glissé sur les conseils de mon indispensable libraire dans la valise au moment de m'envoler pour l'Autriche à l'été 2017. "Maestro" était de l'aventure des #68premieresfois. Pas moi. Pas encore. Je me souviens combien j'avais été conquise sans réserve par cette lecture in situ, à la beauté aérienne, à l'élégance pudique, à la plénitude réconfortante tant par son sujet que son écriture. Ce roman avait été une première rencontre et j'espérais déjà qu'il y en aurait d'autres, beaucoup d'autres. À commencer par la deuxième.
J'attendais donc le 2e roman avec cette impatience particulière, prise entre hâte et appréhension. Elle a bien raison Odile D'Oultremont d'écrire dans ses remerciements : "Le deuxième roman, c'est toute une histoire."("Baïkonour", Éd. L'Observatoire). Ce 2e roman, pour Cécile Balavoine, c'est en effet toute son histoire, à nouveau une autofiction donc, où selon les mots de Serge Doubrovsky "la matière est entièrement autobiographique, la manière entièrement fictionnelle."
"Une fille de passage" est la réponse a posteriori, que l'étudiante devenue quarantenaire envoie, par-delà le temps, à Serge Doubrovsky (1928-2017), auteur d'un livre-testament "Un homme de passage" (2011) dans lequel il profitait de quitter définitivement New York pour embrasser une dernière fois la vie derrière lui.
"Life can only be understood backwards; but it must be lived forwards." - Søren Kierkegaard
"Un homme de passage" s'ouvrait dans le salon de son appartement de fonction situé au 12e étage du 3 Washington Square Village dont les fenêtres dominent SoHo et downtown Manhattan. Alors que commence "Une fille de passage", nous sommes au mois de septembre 1997 dans ce même appartement avec vue sur les Twin Towers qui s'effondreront, un autre mois de septembre, 4 ans plus tard.
Cécile a 25 ans ; Serge Doubrovsky, l'âge d'être son grand-père. L'écrivain enseigne à New York University où elle suit ses cours, troublée de découvrir qu'en dehors de la surface de la page, il existe un être de chair :
"C'était donc lui, cet homme que j'avais tenu pour mort, dont j'avais cru qu'il n'existait qu'entre les pages de livres écornés, dans les rayons de bibliothèques obscures. C'était troublant de le voir enfin, après m'être délectée de ses tragédies, de ses frasques et de ses ébats, au bord d'une piscine, dans un jardin, dans les trains, entre mes draps, sur des bancs."
Entre mes draps…
Quand il doit quitter New York pour Paris, le vieux professeur propose à sa jeune étudiante de venir habiter dans l'appartement mis à sa disposition par NYU pour qu'elle fasse suivre le courrier à son adresse parisienne ; rien de plus qu'un échange de services, semble-t-il, que Cécile accepte. Elle emménage avec Liv et Adrian dans cet appartement qu'elle connaît bien pour avoir lu avidement l'oeuvre de son locataire.
"Je savais que je ne choisirais pas la chambre bleue, avec les lits jumeaux et les vestiges de sa vie conjugale."
Ce sera donc la chambre du fond, là où il écrit :
"Nous coucherons donc ensemble par chambre interposée ! Il avait ri, cette fois d'une voix de fausset, aiguë, malgré son timbre autrement très profond. J'étais restée un instant sans bouger, figée, honteuse. Peut-être un peu flattée au fond."
Voilà que l'allusion pas même voilée surgit au détour une phrase lâchée dans un rire si peu naturel qu'il alerte autant qu'il émeut. Cécile aurait-elle présumé de sa capacité à vivre avec les fantômes des femmes qui l'ont précédée dans ce lieu au passé écrasant ? On pense à Barbe Bleue, évidemment. Elle aussi puisque s'ensuit une crise de panique qui l'amène aux portes du Bellevue Hospital (ceux qui ont lu le roman de Ken Kesey savent !).
Et le lecteur de s'interroger sur ce qui se noue/se joue déjà entre ces deux-là - le chat joue avec la souris ? - alors qu'ils entament une correspondance entre Paris et New York où le vous glisse au tu. Ces lettres, de plus en plus longues, font évoluer leur relation au point qu'il est incommode de la cerner. Cécile se met à guetter le courrier comme une femme amoureuse espère un signe de l'absent.
"L'attente de ces lettres contenait, comme toute forme d'attente, une joyeuse espérance. Mais j'y sentais aussi un arrière-goût marécageux, limoneux. C'était un sentiment qui me tourmentait parfois et qui se mesurait au fait que je ne parlais jamais de cette correspondance."
Doubrovsky revient et lui propose de rester. Elle refuse, tout en laissant quelques-unes de ses affaires, tout en continuant à lui rendre visite presque quotidiennement. Et lui, sûr qu'elle viendra, laisse à son habitude la porte palière entrebâillée.
Un bouquet de fleurs ici, un verre de vin ou un repas là ; leur relation reste clandestine. Elle est flattée bien sûr, comment ne pas l'être !
"[...] je savais très bien, il était impossible de me mentir à moi-même sur ce point, que je n'avais peut-être rien attendu, cette année-là, d'autre que cela : QU'IL ME VOIE."
mais aussi soucieuse du regard et du jugement des autres, et balance entre gêne et fierté. Elle se laisse pourtant aller à avoir avec cet homme certains gestes tendres de l'enfance qui, quand on a 25 ans, sont équivoques au point qu'elle ne sait
"[…] plus ce qui était mal, ce qui était bien. J'avais voulu porter la joie entre ses murs, l'eau dans ses plantes et le vin dans ses verres, mais je lui avais laissé espérer l'inespérable. Cela faisait-il de moi un monstre ?"
J'avoue être prise moi aussi d'hésitation au moment de répondre à cette question et, heureusement, je n'ai pas à le faire ! La lectrice que je suis s'est un peu perdue, je le reconnais, ne sachant plus très bien quoi penser de cette relation floue et, par instants, étouffante. Les promenades dans le labyrinthe new yorkais, de la pointe de Manhattan au pont de Brooklyn et la Promenade, en toutes saisons, sous un ciel changeant, offrent, à cet égard, une respiration bienvenue.
Amitié affectueuse ? amoureuse ? Jeu pervers ? Relation d'une fille à une figure (grand)paternelle qu'elle s'est choisie autant que Doubrovsky l'a choisie, elle ? Admiration d'une étudiante pour son mentor ? d'un personnage pour son auteur ? d'un auteur pour son personnage ? Tentative de tenir la vieillesse à distance en séduisant la jeunesse, pour lui ? Respect et empathie, pour elle ?
Peut-être un peu de tout cela, je suppose, tant la frontière est poreuse.
"Je me sentais bien dans cet appartement, malgré ces femmes, ces âmes disparues qui continuaient de rôder. Je le regardais, je regardais sa tristesse qui s'immisçait en moi, qui commençait à m'envahir, à m'attendrir. Je ne pouvais pas l'abandonner."
Une certaine connivence a fait son lit. Et parce que, oui, elle lui a laissé espérer l'inespérable, un jour, à la dérobée, il a le geste qu'elle n'avait pas prévu - on se demande bien comment ! - mais que le lecteur avait anticipé au point de le guetter. Elle se sent salie, trahie. Aussi, quand il la demande en mariage avec la maladresse de ses 70 ans et les promesses d'une autre génération,
"— Je t'épouse, tu m'entends ? Je te donne la sécurité, la stabilité. Je te donne mon nom. Je te donne la gloire du nom."
la réplique cingle, sans appel
"— Merci ! Mais je me la ferai moi-même !"
Quelle prétention ! Quel manque de clairvoyance ! A-t-il vraiment cru que c'était là ce que sa jeune étudiante était venue chercher auprès de lui ? On peut légitimement douter avec lui.
Doubrovsky, ivre de rage, épouse Élisabeth, 43 ans, dont la philosophie est reposante de bon sens :
"Un être qu'on aime, on ne fait pas de tri dedans, c'est à prendre ou à laisser."
Heureuse personne qui ne s'encombre pas d'atermoiements ! Privilège de femme plus mûre ?
Ce roman pose la question du passage, de ce mince entre-deux inconfortable où rien n'est jamais tranché, d'un no man's land nébuleux où hésitent le réel et la fiction, le passé et le présent, le bien et le mal, la fierté et l'inquiétude, le vrai et le faux, l'identité réelle et l'identité narrative :
"Je me souviens d'avoir simplement approuvé : j'étais d'accord, il pouvait publier ces mots. Pourtant, je ne m'y retrouvais pas. Tout était vrai et tout était faux. Je ne reconnaissais rien ou presque rien non plus de notre histoire. […] C'est en faisant de moi un personnage d'autofiction qu'il m'avait enseigné, mieux qu'en mille cours, les lois d'un genre dont il avait forgé lui-même le nom. […] Céline avait un rôle à tenir, qui à la fois me dépassait et se situait bien en deçà de ce que j'avais pu vivre. Elle avait une mission, une mission narrative […]"
En refermant ce roman, je suis admirative, parce que convaincue, qu'il faut bien du courage, et une bonne dose d'honnêteté, pour faire de soi un personnage de roman. Écrire sur soi et ceux qui traversent notre vie doit être d'un inconfort sans pareil,
"Écrire, inévitablement, c'était mourir et faire mourir un peu. Faire glisser des êtres bien réels dans le chas d'une histoire, [...] c'était les altérer, les estomper ou bien les amplifier, nécessairement les contorsionner. Les tuer et les ressusciter."
même si, dans le même temps, le lecteur est dispensé de chercher quelle est la part de vrai puisque "tout était vrai et tout était faux". Toujours est-il que lorsque la fiction détourne la matière authentique et que le romanesque ne s'embarrasse pas d'être fidèle aux instants vécus, mémoire et imagination se trouvent réconciliées. Et ici, Cécile Balavoine l'a magistralement orchestré, réussissant un roman pas toujours pudique qui évite cependant l'étalage gênant du journal intime et des tourments narcissiques - ce qui aurait été insupportable -, tout en disant, avec lucidité, sans démonstration ni amertume, les contradictions et les émotions troubles de ce huis-clos particulier où elle a offert à Doubrovsky toute la place qu'il méritait dans cette histoire qu'elle a écrite en en faisant un personnage de roman, comme lui l'avait fait pour elle auparavant.
"Je comprenais maintenant que s'il n'avait été ni un amant ni vraiment un ami, ni un grand-père ni tout à fait un confident, que s'il n'existait pas de mot pour qualifier ce lien qui nous avait unis et qui continuerait probablement de nous unir, Serge était devenu un repère de ma vie."
En aurait-il été fier ? En aurait-il été inquiet ?
Un de mes regrets est que très peu de place ait été laissée aux autres personnes rencontrées. Fernande, Liv, Adrian, Élisabeth, Chris, etc. peinent à exister dans la chiche lumière que leur laissent Cécile et Serge. Raison pour laquelle je parle de huis-clos. D'autres lecteurs auront certainement une autre appréciation.
Je terminerai en m'adressant à l'absent. Merci "Chair Serge" d'avoir soufflé à Cécile
"— Vous devriez écrire."
Elle le fait de belle manière avec une écriture douce, feutrée, enveloppante, humaine, tendre que j'ai eu un plaisir immense à retrouver.
Cette histoire (c'en est bien une, n'est-ce pas ?) m'a perturbée, c'est vrai, faisant de moi une voyeuse à mon corps défendant, mais l'écrire était pour Cécile Balavoine nécessaire : "[le] tuer et [le] ressusciter."
2e roman, lu pour la sélection anniversaire 5 ans des #68premieresfois
https://www.calliope-petrichor.fr/2020/07/03/une-fille-de-passage-cécile-balavoine-mercure-de-france/
Dans l’Amérique de la fin des années 1997/2001, Cécile alors étudiante à New-York rencontre Serge Doubrovsky, l’inventeur et le pape de l’autofiction.
Elle sera son élève et suivra ses cours à NYU. Mais avec ce professeur de 40 ans plus âgé qu’elle, une relation de plus en plus intime va se forger, ils se rencontrent après les cours, puis de plus en plus régulièrement au fil du temps. Au moment où Serge Doubrovsky part quelques mois en France, Cécile et deux autres étudiants vont même sous-louer son appartement avec une vue magnifique sur les twin-towers. Ce sera une expérience étonnante pour la jeune Cécile, mais aussi pour Serge Doubrovsky, de savoir l’autre dans sa chambre, dans ses meubles, plongeant sans retenue dans ses habitudes. Serge est le premier qui lui dira qu’elle doit écrire, qu’elle peut devenir écrivain à son tour.
Ce roman est le récit de la rencontre de deux écrivains ou futur écrivain. Ce sera un amour platonique et sans doute d’une forme de relation au père, ou plutôt au grand-père pour l’une, et d’un amour pour une jeune femme comme il en avait l’habitude, puis la prise de conscience de la réalité du temps qui passe pour l’autre.
De rencontres en échanges épistolaires, au fil des années les secrets, la confiance et l’admiration toujours présente font de cette relation un espace hors du monde. Cécile a besoin du regard de Serge, de son amitié, de son jugement sur ses écrits, Serge s’éloigne un temps, mais sera toujours là, présent, un soutien dans la vie et dans la création pour Cécile.
Un émouvant roman sur cette histoire vécue par l’un et l’autre, même si on peut se demander malgré tout s’ils ont bien vécu la même histoire. Sans doute pas, leur entente a cependant perduré à travers les années jusqu’au décès de Serge et bien après avec l’écriture de ce roman.
Lire ma chronique complète sur le blog Domi C Lire https://domiclire.wordpress.com/2020/06/26/une-fille-de-passage-cecile-balavoine/
Cécile, étudiante française de 25 ans à New-York, sous-loue l'appartement de son professeur et écrivain célèbre Serge Doubrovsky, qui séjourne à Paris durant l'été. Commence alors une relation trouble entre cet homme de 70 ans et Cécile . Le roman suit ces deux personnages sur plusieurs années entre la France et les Etats Unis grâce à des rencontres et une correspondance fidèle.
L'auteur possède une écriture douce, caressante qui crée une ambiance feutrée et pudique autour de cette histoire d'amour particulière. Serge Doubrovsky impressionne Cécile par sa carrure, sa notoriété, son statut d'écrivain reconnu, son intelligence fine mais la touche aussi par sa solitude, son histoire de juif pendant la guerre, ses anciennes femmes disparues. Elle est admirative, attirée par cet homme; elle apprécie leurs conversations intimes et riches, mais ne peut prolonger la relation physique comme le souhaite l'écrivain.Elle garde néanmoins une place privilégiée et secrète au milieu des nombreuses femmes de l'écrivain. Pourtant , quelques scènes amoureuses m’ont un peu dérangées, en ressentant un certain malaise face à des étreintes volées.
Le sujet du livre repose sur la création littéraire dans son ensemble , illustrée par les deux personnages. Ainsi Serge Doubrovsky a été le précurseur de l'"autofiction". Cécile s'interroge sur la représentation de la vie réelle, de la différence entre la vie vécue et fantasmée. Peut-on apprendre à écrire ?
J'ai eu beaucoup de plaisir de parcourir les rues de New-York, entre Brooklyn et Manhattan au gré des promenades de Cécile, avec un petit air Annie Hall. Elle nous embarque dans l'ambiance de cette ville grouillante, elle s'émerveille autant sur les automnes flamboyants que sur l'horreur du 11 septembre.
Le style délicat de l'auteur rend ce roman tendre et pudique . Un vrai plaisir de lecture.
Un grand Merci aux 68Premières Fois.
Grâce aux 68premièresfois, on découvre de premiers romans mais aussi on suit des auteurs. Car cela ne doit pas facile de publier son second roman. le premier texte de Cécile Balavoine, Maestro, dont j'avais apprécié la lecture, nous parlait de musique et de Mozart. Dans ce second, l'auteure nous parle de littérature, du rapport entre vie réelle, vie fantasmée, vie racontée. La narratrice est une jeune étudiante qui est partie à NYC pour des études littéraires. Elle va suivre le cours d'un écrivain connu, l'un des auteurs de l'auto fiction. elle va avant de le connaître, lire et étudier de façon universitaire, littérale ses textes. Et quand elle va le rencontrer en cours, un lien va se créer entre eux. Ce "vieux" écrivain va alors proposer de prêter son appartement new yorkais à cette étudiante et ses deux amis, pendant son séjour à Paris. Un lien amicale, amoureux va alors se lier entre eux. Elle deviendra pour lui, peut être le prochain personnage de son roman. J'ai beaucoup apprécié ce texte qui mêle vie réelle, vie romancée, vie fantasmée. Comment vivre sa vie, comment raconter sa vie ? Comment réagir quand l'on peut devenir un personnage de roman ? Une belle écriture nous entraîne dans ses méandres de la création. Et l'auteure a t elle été simplement une fille de passage dans la vie de cet écrivain ? Nous sommes tous de passage sur la terre, mais on peut décider de vivre sa vie, de rêver sa vie, de rêver la vie des autres. J'ai beaucoup aimé les pages sur la vie à NYC, sur les balades parisiennes de cet auteur. Un second roman réussi. Un nouveau coup de coeur dans cette formidable sélection des 68premièresfois.
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