Une sélection de bandes dessinées pour buller intelligemment
Alabama, 1920, Roscoe T Martin est fasciné par cette force plus vaste que tout qui se propage avec le nouveau siècle : l'électricité. Il s'y consacre, en fait son métier. Un travail auquel il doit pourtant renoncer lorsque Marie, sa femme, hérite de l'exploitation familiale. Année après année, la terre les trahit.
Pour éviter la faillite, Roscoe a soudain l'idée de détourner une ligne électrique de l'Alabama Power. L'escroquerie fonctionne à merveille, jusqu'au jour où son branchement sauvage coûte la vie à un employé de la compagnie...
Une sélection de bandes dessinées pour buller intelligemment
Tout d'abord une mention spéciale aux éditions Sarbacane pour cette réédition à petit prix (à noter par ces temps - et prix - qui courent) permettant à ceux qui n'ont pas vu la première édition de se rattraper pour une BD qui mérite d'être lue.
C'est un ouvrage dérangeant (sur le fond et la forme), mais au (très) bon sens du terme.
Dans cette Amérique début XXème on va croiser des êtres à la dérive qui ont du mal à réaliser leurs modestes rêves et aspirations, des univers marqués (petite ville typique, pénitencier, …) ou la morale peut facilement disparaitre et où l’amour est compliqué à vivre. Une histoire, avec des destinées noires, qui aurait pu être écrite par ces romanciers américains reconnus, blanchis sous les aisselles, ... alors qu’il s'agit d'une jeune autrice américaine au talent certain.
Alex W.Inker (pseudo d’Alexandre Widendaële) réalise une adaptation efficace avec un choix graphique fort, dans la tonalité de l’histoire, et on a presque l’impression de lire une de ces premières BD du siècle dernier. C’est une réussite que nous offre le jeune dessinateur nordiste.
Un ouvrage qui marque .... à lire donc.
Il me semble difficile de vous parler de cette BD sans commencer par son style graphique si particulier : un dessin détonnant et vintage qui bien que surprenant ne laisse pas indifférent ; j'avoue qu'il m'a fallu quelques pages pour m'habituer, mais cela participe à merveille à l'ambiance de cet album.
L'histoire en elle-même, c'est celle d'hommes brisés par la société, qui malgré leurs tentatives pour s'en tirer sont toujours ramenés vers la misère et la violence. On ressent le poids des oppressions, le racisme, l'injustice. À chaque fois que l'on se dit que ça ne peut pas être pire, ça le devient. Le personnage principal paraît au premier abord antipathique, mais on s'attache à son destin tragique. Je vous recommande donc cette BD captivante, mais seulement si vous êtes prêts à encaisser du drame.
« Un travail comme un autre » d’ Alex W. Inker est l'adaptation du le premier roman de Virginia Reeves paru en 2016 chez Stock.
Comment ne pas être attiré au premier regard par l’objet en lui-même, un album lourd qu’on a bien en main quand on le lit, avec un dos imitant le cuir et une couverture en papier toilé.
Le code couleur frappe tout de suite par son originalité. Le orange est la couleur des uniformes des prisonniers américains depuis les années 70 et symbolise bien à lui-seul l’univers carcéral américain. Le bleu, se rapprochant de l’indigo, est lui la couleur de l’emblématique salopette en tissu denim portée par les travailleurs américains depuis sa création par Levi’s.
Mais la plus grande originalité de cet album tient au graphisme utilisé, issu du pointillisme, technique picturale mise au point par Seurat à la fin du 19e siècle et modernisée par le pop art des années 70 dans les tableaux de Roy Lichtenstein.
Enfin, quand on ouvre cet album, on a la surprise de découvrir une police d’écriture en lettres majuscules grand format qui permet une lecture des plus faciles.
Années 20, en Alabama, état du sud des Etats-Unis, Roscoe T. Martin rencontre Mary qu’il séduit avec ses nombreuses lectures. Mais la véritable passion de Roscoe, c’est la fée électricité. Cependant il doit renoncer à son emploi d’électricien pour travailler dans la ferme dont Mary hérite après le décès de son père. Devenu irascible par son statut de fermier, Roscoe ne retrouve son enthousiasme que quand il se décide à détourner la ligne électrique de l’Alabama Power, afin d’électrifier ses machines agricoles et sauver la ferme de l’hypothèque. Malheureusement ce branchement effectué avec l’aide de Wilson, son ouvrier agricole, va causer la mort d’un employé de l’entreprise d’électricité et envoyer directement Roscoe en prison.
C’est une véritable plongée dans l’univers carcéral et ses dérives que nous permet d’effectuer cet album, ainsi que les conséquences sur une vie de famille. Un très bon rendu de l’atmosphère oppressante et confinée de la prison. Une histoire terrible et parfaitement au diapason avec cette période de la Grande Dépression et de la ségrégation.
Un ouvrage à côté duquel, il ne faut surtout pas passer.
Bien décidée à lire plus de BD en 2021 (genre que j'ai vraiment laissé de côté ces dernières années) j'ai fait une petite razzia en bibliothèque. Première lecture avec « <a href="/livres/Inker-Un-travail-comme-un-autre/1184296" class="titre1">Un travail comme un autre</a> » de Alex W.Inker, une adaptation graphique du roman éponyme de <a href="/auteur/Virginia-Reeves/397160" class="libelle">Virginia Reeves</a>.
Dans l'Alabama des années 20, Roscoe T Martin vit sur la ferme de son épouse. Mais il n'est pas agriculteur, il refuse d’être un fermier. Son truc, sa passion c'est l’électricité. C’était d'ailleurs son métier avant de devoir reprendre cette maudite ferme. Cette situation le rend aigri, violent et son couple, tout comme la ferme, est au bord de la faillite. Pour sortir de cette situation, Roscoe, avec l'aide de son métayer noir, Wilson, décide de détourner la ligne électrique de la compagnie Alabama Power. L'arrivée de l’électricité améliore le quotidien de sa famille et le rendement de la ferme. Jusqu’à ce que le branchement provoque un accident mortel. Roscoe et Wilson sont pour l’un envoyé en prison, pour l'autre à la mine…
Sous la chaleur accablante de l'Alabama, le scénario nous fait suivre la longue descente en enfer d’un homme. le destin tragique de Roscoe se mêle à l'Amérique en crise, celle où des millions de fermiers vont mourir de faim, avec en toile de fond la ségrégation raciale, le milieu carcéral et la violence des rapports sociaux. Je n'ai pas lu le roman mais je regrette ici une histoire un peu hachée qui m'aura gênée par moment.
A l’opposé j'ai trouvé le dessin magnifique. le graphisme rétro en trichromie détaille chaque scène et restitue à merveille une ambiance lourde, poisseuse, parfois violente.
Entre aplats de couleurs et trames, les personnages prennent du relief et des dessins en pleine page viennent ponctuer le récit. A ce plaisir visuel s'ajoute le plaisir du touché avec un papier granuleux et bien épais.
En résumé, et malgré un bémol sur la narration j'ai vraiment apprécié cette BD sociale aux traits puissants et sur laquelle plane l’ombre des romans de Steinbeck.
Une adaptation tout en sobriété
Après sa brillante adaptation du roman chinois « Servir le peuple », Alex W. Inker s’attelle à un autre texte : celui de l’américaine Virginia Reeves. L’histoire se déroulait dans les années 20, il choisit de changer légèrement l’époque en la décalant de 5 ans et en la plaçant dans les années 1930 au moment de la Grande Dépression. En le feuilletant, on y trouvera un air de Steinbeck et des « Raisins de la colère ».
La couverture avec ses gros plans sur des visages permet d’aborder plusieurs thèmes : la Grande Dépression, les différentes classes sociales, la condition ouvrière, elle est assez « flash » et met d’emblée en avant le graphisme choisi (semi réaliste voire un peu burlesque).
La mise en page est variée mais sobre. On passe de pages de 3 à 9 vignettes de forme bien symétriques et séparées par une gouttière à des pleines pages semblables à de belles illustrations. Nombre d’entre elles sont muettes, le dessin se suffisant à lui-même.
La narration de ce one shot est très fluide. Le récit est linéaire et fonctionne sur les ellipses. L’ellipse la plus importante (entre la rencontre et le délitement du couple six ans plus tard) est même matérialisée par une page monochrome.
Ce n’est pas un album bavard : pas de récitatifs, dialogues parcimonieux (mais toujours justes) et de nombreuses pleines pages ou planches muettes. On notera d’ailleurs qu’Inker a transformé la relation existant entre Roscoe et son métayer noir car elle était beaucoup trop fraternelle (tutoiement)dans la traduction. Ici la hiérarchie est bien respectée.
L’envers du rêve américain
Tout commence comme dans une comédie des années trente : Roscoe virevolte, marivaude et séduit. On pourrait croire à une œuvre joyeuse vantant l’ « American dream » et un pays de profusion où tout est possible mais cette rêverie se brise littéralement sur la seule page monochrome de l’album et l’itinéraire du héros va nous plonger bien au contraire dans l’ « American nightmare» !
Alex Inker raconte qu’il a été séduit par l’œuvre de Virginia Reeves grâce à l’histoire d’amour entre Roscoe et Mary. Celle-ci est très subtilement rendue tant dans le coup de foudre que dans son délitement. Il a d’ailleurs choisi de doter le protagoniste de ses propres traits et de donner à Mary et Gerald ceux de sa femme et son fils. Il en fait une histoire très personnelle qui favorise l’empathie avec le personnage de Roscoe présenté de façon très humaine. On le voit avec ses défauts (l’alcoolisme et la violence nés de sa frustration) mais on ne peut s’empêcher de le plaindre en voyant qu’il est obligé de mettre de côté ce qu’il aime (l’électricité) pour faire vivoter la ferme de son beau-père. Il doit sauver son couple mais aussi sa ferme : finalement la tâche est trop grande…. C’est un antihéros. Sa destinée est emblématique de bien d’autres. Là aussi tout est suggéré et rien n’est asséné.
Si la première partie met en scène la grande dépression, la majorité de l’œuvre se passe dans l’univers carcéral et en constitue une critique (un peu comme « l’Accident de chasse » qui se déroule à la même période) par sa description des gardiens brutaux et stupides et des codétenus assassins : y survivre y apparait plus dur que de subir la Crise. Le seul espace de liberté, comme dans l’album de Landis et Blair, est celui qu’on trouve dans les livres.
Inker dépeint ici une tragédie : un homme broyé par le système (la Grande Dépression, le cynisme des banques puis l’univers carcéral) dans sa chair comme dans son âme. Celle-ci est redoublée par le personnage du fermier noir encore moins bien traité dans ce sud ô combien ségrégationniste.
Une bd naturaliste haute en couleur à la croisée des arts
Alex Inker a choisi d’éviter la couleur bateau des années 1930 : le sépia. A la place, il nous gratifie d’un orange presque fluo (et de sa couleur complémentaire le bleu qui le tempère). Cette couleur est surprenante mais se retrouve dans beaucoup d’illustrés européens de l’époque : il l’a trouvée dans « Zig & Puce ». Cela donne donc bien un côté rétro et original à la fois, tout comme les trames qui apportent également dynamisme et substance. La couleur orange rappelle également l’uniforme des détenus dans les prisons américaines.
L’écriture d’Inker est aussi très cinématographique par ses cadrages et l’utilisation de la caméra subjective : une page entière est ainsi composée de vignettes noires pour monter l’évanouissement du héros après une rixe. La partie se déroulant en prison évoque, quant à elle, « O’brothers » des frères Coen (surtout la poursuite avec les chiens).
Enfin les paysages du Sud et les paysans en exode rappellent beaucoup les clichés de Dorothy Lange pour la FSA et les portraits photographiques d’Erskine Cadwell et Margaret Bourke White et captent bien l’atmosphère de l’époque.
Jouant des références dans le monde du 7e, 8e et 9 e art, « Un travail comme un autre » devient ainsi une étonnante bd naturaliste à la croisée des arts.
« Un travail comme un autre » n’est que le quatrième opus d’Alex W. Inker ; mais celui-ci fait preuve d’une étonnante maturité tant dans le graphisme que dans la narration et nous propose un album très subtil et très abouti. Cette bande dessinée est aussi très élégante. La fabrication, comme toujours chez Sarbacane, est hyper soignée : un format généreux de 180p, du papier épais, une impression en quadrichromie (crème, orange, bleu aube et marron), une couverture toilée et une belle reliure aspect cuir. L’objet en lui-même est très beau et très agréable à manipuler et possède un côté massif qui sied bien au propos. Une œuvre parfaitement réussie donc, un vrai coup de cœur !
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